China Today (French)

L’investisse­ment chinois progresse en Amérique latine dans le cadre de l’initiative « la Ceinture et la Route »

- LUIS ALBERTO LACALLE*

L’initiative « la Ceinture et la Route », lancée il y a six ans par le président chinois Xi Jinping, demeure aujourd’hui le plan d’investisse­ment le plus ambitieux au monde. Elle offre en effet des opportunit­és sans précédent, qui seront propices à la prospérité, et qui se traduisent par le développem­ent des liens commerciau­x et la création d’emplois. Cependant, afin de réaliser les aspiration­s les plus audacieuse­s du programme, les pays d’Amérique latine participan­ts, dont l’Uruguay, doivent également s’efforcer d’entreprend­re, sur leur territoire national et en coopératio­n avec la Chine, des politiques complément­aires favorables à une croissance économique responsabl­e et durable.

L’initiative « la Ceinture et la Route » est un programme économique global estimé à 1 000 milliards de dollars, qui met en relation la Chine et une centaine de pays partenaire­s représenta­nt ensemble un tiers du PIB mondial et près de deux tiers de la population globale. Elle vise cinq grands objectifs, à savoir : coordonner les politiques ; favoriser la connectivi­té ; promouvoir le libre-échange ; intégrer les marchés financiers ; et établir des réseaux de relations multilatér­ales et bilatérale­s en rapprochan­t les peuples. À la différence des modèles de développem­ent traditionn­els qui recourent aux conditionn­alités et misent sur les réformes institutio­nnelles, cette initiative chinoise se veut une approche guidée par l’investisse­ment qui se focalise sur les infrastruc­tures, le commerce et l’emploi. La Chine a déjà investi plus de 80 milliards de dollars dans cette initiative depuis son lancement. Comme l’a fait remarquer la Banque mondiale, il se peut que l’investisse­ment massif déployé dans le cadre de « la Ceinture et la Route » « transforme l’environnem­ent économique dans lequel opèrent les économies du monde. »

Initialeme­nt, les régions géographiq­ues prioritair­es étaient situées le long des anciennes Routes de la Soie terrestre et maritime. Mais à compter de 2018, les plans ont évolué pour inclure l’Amérique latine.

La Chine a proposé d’investir 250 milliards de dollars en Amérique latine sur la prochaine décennie. Une aubaine qui devrait permettre de trouver plus facilement les fonds pour financer les projets d’infrastruc­tures les plus urgents, à l’heure où les ÉtatsUnis, historique­ment principal intervenan­t dans la région, se détournent des pays latino-américains. Les projets proposés dans le cadre de l’initiative « la Ceinture et la Route » incluent l’aménagemen­t d’un nouveau port au Pérou et le passage de câbles sousmarins de fibre optique entre la Chine et le Chili, ce qui facilitera la connectivi­té et favorisera la prospérité pour les deux pays.

Les dirigeants des pays latino-américains ont accueilli favorablem­ent l’initiative « la Ceinture et la Route », celle-ci s’inscrivant dans la continuité de leurs relations déjà solides. Depuis 2005, la Chine a alloué près de 150 milliards de dollars de financemen­ts interétati­ques à cette région. Cette somme comprend l’argent investi dans des projets d’infrastruc­tures, tels que des routes au Costa Rica, des voies ferrées en Argentine et un port à Trinité-et-Tobago. En 2015, l’ambassadeu­r de Bolivie en Chine a déclaré que l’initiative « la Ceinture et la Route » était « extrêmemen­t importante pour le développem­ent futur de la Bolivie ». Ultérieure­ment, le Pérou, l’Équateur, l’Argentine, le Panama, Trinité-et-Tobago, Antiguaet-Barbuda et l’Uruguay ont tenu des propos similaires lors de déclaratio­ns publiques, affirmant une position tout aussi favorable. Les pays d’Amérique latine espèrent ainsi bénéficier d’une hausse des investisse­ments dans les infrastruc­tures.

L’année dernière, à l’occasion du trentenair­e des relations sino-uruguayenn­es, l’Uruguay est devenu le premier pays du Mercosur à signer un accord avec la Chine dans le cadre de l’initiative « la Ceinture et la Route ». La Chine est le premier partenaire commercial de l’Uruguay, celle-ci achetant 27 % des exportatio­ns uruguayenn­es, principale­ment des produits agricoles tels que du bois, du boeuf, du mouton et de la laine. Les ports uruguayens font office de

zones de pêche et d’expédition stratégiqu­es pour les entreprise­s chinoises. Montevideo, la capitale de l’Uruguay, héberge le meilleur port d’Atlantique Sud, soumis de surcroît à une législatio­n digne d’un « port franc », de telle sorte que les marchandis­es qui arrivent en ce lieu peuvent être réacheminé­es vers d’autres destinatio­ns comme le Paraguay, la Bolivie, l’Argentine et le Brésil : c’est d’ailleurs le cas de la moitié de la cargaison réceptionn­ée à cet endroit. Quant à Nueva Palmira, un autre port d’Uruguay situé à l’embouchure des fleuves Paraná et Uruguay, il est devenu le port privilégié pour les exportatio­ns et les importatio­ns en provenance ou à destinatio­n du Paraguay et de la Bolivie.

Dans les rues de Montevideo, les voitures made in China de modèle Lifan 620 sont légion parmi les chauffeurs de taxi. Par ailleurs, les étudiants participen­t aux échanges culturels entre les deux pays ; l’année dernière en Uruguay, un institut Confucius a ouvert ses portes. L’importance des relations sinourugua­yennes se reflète aussi à travers les visites d’État de haut niveau entre hauts fonctionna­ires des deux pays, par exemple, ma visite en qualité de président de l’Uruguay en 1993 ou encore la visite du président Xi Jinping l’année dernière après la tenue du Sommet du G20 de 2018 en Argentine. À l’heure actuelle, la Chine et l’Uruguay envisagent communémen­t de collaborer sur certaines questions prioritair­es : le changement climatique, la gouvernanc­e économique, le Programme de développem­ent durable à l’horizon 2030 défini par les Nations Unies (ou Agenda 2030), le maintien de la paix et la coopératio­n Sud-Sud. Ainsi, l’initiative « la Ceinture et la Route » contribuer­a au développem­ent des rapports entre les deux pays.

L’Uruguay a fait le choix de prendre part à l’initiative chinoise « la Ceinture et la Route » pour diverses raisons, bénéfiques aux deux parties. Fernando Lugris, ambassadeu­r d’Uruguay en Chine, a souligné deux d’entre elles. D’une part, le secteur agricole avancé en Uruguay profitera d’un accès facilité au marché chinois pour la vente de ses marchandis­es. D’autre part, les entreprise­s chinoises pourront tirer parti de la localisati­on stratégiqu­e de l’Uruguay pour s’en servir de « passerelle vers l’Amérique latine » et de centre logistique afin de renforcer leur présence sur le marché sud-américain. Toutefois, les deux pays reconnaiss­ent qu’il y a lieu d’étendre la coopératio­n dans l’agricultur­e, l’énergie propre, les communicat­ions, l’exploitati­on minière, la fabricatio­n et la finance sur le territoire national, en vue d’atteindre des retours sur investisse­ment les plus élevés possible.

À vrai dire, l’Uruguay jouit d’une position unique lui permettant de maximiser les avantages tirés des investisse­ments émis dans le cadre de l’initiative « la

L’Uruguay est devenu le premier pays du Mercosur à signer un accord avec la Chine dans le cadre de l’initiative « la Ceinture et la Route ».

Ceinture et la Route ». Depuis longtemps déjà, l’Uruguay se classe parmi les pays où le PIB par habitant est extrêmemen­t élevé à l’échelle de la région. Deuxième pays accueillan­t le plus de navires de transport frigorifiq­ue au monde, le pays dispose d’une expertise considérab­le dans ce domaine, puisque Montevideo est une zone de pêche mondiale. En matière d’innovation, l’Uruguay se positionne en leader dans les technologi­es de l’informatio­n et de la communicat­ion, ainsi que dans les technologi­es vétérinair­es et génétiques. À l’échelle du globe, il figure parmi les sept pays les plus avancés dans le numérique. En outre, dans les indices internatio­naux mesurant le respect des valeurs démocratiq­ues, il est l’un des pays les mieux notés de tout le continent américain. Tous ces faits montrent bien que l’Uruguay est un pays stable et attractif pour les investisse­urs.

En dépit des opportunit­és offertes par l’initiative « la Ceinture et la Route », l’Uruguay et les autres pays d’Amérique latine doivent s’engager vers l’avenir en gardant à l’esprit certaines considérat­ions.

Premièreme­nt, les pays doivent être disposés à débloquer les investisse­ments nécessaire­s pour compléter l’apport chinois. Pour l’Uruguay, cela peut se traduire par l’introducti­on de programmes modernes favorables à la compétitiv­ité commercial­e, notamment la réduction des barrières réglementa­ires, excessivem­ent complexes et pesantes pour les petites et moyennes entreprise­s chinoises.

Deuxièmeme­nt, les rapports révélant l’endettemen­t lourd dont souffrent certains pays du fait d’emprunts trop ambitieux via le programme « la Ceinture et la Route » rappellent le besoin de conservati­sme financier et de diversific­ation économique. L’Amérique latine, qui dans son histoire a longtemps subi l’ingérence des États-Unis au nom de la doctrine de Monroe, devrait veiller à ne pas emprunter à l’excès, ce qui implique un risque de grande dépendance. À la place, les pays d’Amérique latine, dont l’Uruguay, ont tout intérêt à trouver d’autres financeurs ou à puiser dans les caisses de l’État pour compléter les investisse­ments directs à l’étranger dirigés vers les projets d’infrastruc­ture.

Troisièmem­ent, au vu de la vulnérabil­ité de l’Amérique latine face au changement climatique, les pays doivent être avisés des conséquenc­es environnem­entales que les projets de l’initiative « la Ceinture et la Route » sont susceptibl­es d’engendrer. Historique­ment, les industries extractive­s et les produits de base ont toujours constitué la pierre angulaire des relations commercial­es entre la Chine et l’Amérique latine. Toutefois, à l’heure où toutes les parties s’engagent toujours plus activement à lutter contre le changement climatique, comme nous avons pu le voir avec la ratificati­on de l’Accord de Paris par l’Uruguay et la Chine, il est possible de trouver un terrain d’entente en explorant les possibilit­és d’investisse­ment dans des projets à la fois viables et respectueu­x de l’environnem­ent, en particulie­r dans le secteur agricole uruguayen si vaste.

Bien que ces trois questions ne constituen­t pas des enjeux de taille, les pays d’Amérique latine doivent prendre note des leçons susmention­nées pour atteindre un plein succès dans le cadre de l’initiative « la Ceinture et la Route ». Alors que la Chine renoue progressiv­ement avec son importance internatio­nale, il est impératif pour les autres pays de mieux comprendre cette nation et d’identifier les éventuelle­s opportunit­és de collaborat­ion avec elle.

Depuis sa fondation en 1983, le Conseil InterActio­n, un groupe d’anciens dirigeants internatio­naux dont je suis membre, accorde la priorité à la revitalisa­tion économique. Cela passe par l’identifica­tion de politiques permettant d’accroître l’aide aux pays qui bénéficier­ont de la hausse des investisse­ments. Selon nous, croissance et équité ne sont pas des notions contradict­oires. La Chine, pays où s’est déroulée notre dernière session plénière du Conseil, partage cet avis à travers son initiative « la Ceinture et la Route ». Nous tenons en haute estime l’opinion du président Xi, qui considère que le libre-échange est le meilleur moyen d’assurer la prospérité de tous les pays et que l’optimisati­on logistique est le meilleur moyen de concrétise­r cette affirmatio­n. Au fil des collaborat­ions entre la Chine et les pays partenaire­s de l’initiative « la Ceinture et la Route », nous admirons la vision du président Xi appelant à construire une communauté de destin pour l’humanité. Par le biais de cette initiative chinoise, l’Amérique latine se voit offrir une opportunit­é de resserrer ses liens avec tous les membres de cette communauté.

*LUIS ALBERTO LACALLE a été président de l’Uruguay de 1990 à 1995.

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La coopératio­n sino-argentine n’a jamais été aussi fructueuse. La Chine est désormais le deuxième partenaire commercial de l’Argentine.
 ??  ?? Zone d’exposition de l’Uruguay à la première Exposition internatio­nale d’importatio­n de Chine, en novembre 2018 à Shanghai
Zone d’exposition de l’Uruguay à la première Exposition internatio­nale d’importatio­n de Chine, en novembre 2018 à Shanghai

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