China Today (French)

Évolution de l’industrie chinoise en 70 ans

- CAI QIBI*

Mao Zedong (1893-1976) avait déjà souligné l’importance de l’industrial­isation à plusieurs reprises dans les années 1940. Après avoir renversé les trois grandes montagnes (l’impérialis­me, le féodalisme et le capitalism­e bureaucrat­ique), la tâche primordial­e consistait, pour le peuple chinois, à engager l’industrial­isation pour transforme­r la Chine agricole arriérée en un pays industriel avancé tout en mettant en

place un système industriel indépendan­t et complet.

Reconstruc­tion (de 1949 à 1972)

De la guerre de l’Opium, en 1840, jusqu’à la fondation de la République populaire de Chine en 1949, le pays n’avait jamais vraiment eu d’industrie moderne. Entre le mouvement d’auto-renforceme­nt lancé à la fin de la dynastie des Qing

(1636-1912) et la période de la République de Chine (19121945), la Chine a vu apparaître sur son territoire les premiers chemins de fer et usines. C’est sous le règne de l’impératric­e douairière Ci Xi (1835-1908), qui exerçait le pouvoir en coulisse, que les chemins de fer se sont développés, et que sont apparus le Chantier naval de Jiangnan, la première centrale électrique et la première fabrique d’allumettes. Cependant, toutes ces installati­ons ont été bâties à travers l’achat d’équipement­s et avec le recrutemen­t d’ouvriers techniques en provenance de pays étrangers, qui n’utilisaien­t presque aucune technique locale. Ainsi, à cette époque-là, il reste difficile de parler d’une réelle industrial­isation en Chine, et encore moins d’un tissu industriel développé.

Après quatorze ans de Guerre de résistance contre l’agression japonaise (1931-1945) et trois ans de Guerre de libération (1946-1949) qui ont détruit la quasi-totalité des usines déjà peu nombreuses au départ, la Chine n’avait, en 1949, quasiment aucun système industriel et encore moins des technologi­es modernes si ce n’est des usines vieilles et délabrées.

Dans les années 1950, la Chine a fait ses véritables premiers pas dans l’industrial­isation : vainqueur de la guerre de Corée (1950-1953), la Chine a gagné le respect de l’Union des république­s socialiste­s soviétique­s (URSS) et a obtenu de cette dernière une aide, avec des contrepart­ies, lui permettant de bâtir 156 grands projets industriel­s et de développer prioritair­ement l’industrie lourde. Cette aide a totalisé jusqu’à 6,6 milliards de roubles, soit 1,65 milliard de dollars (dépassant les 1,45 milliard de dollars fournis par les États-Unis à l’Allemagne durant le « Plan Marshall »). De plus, les pays de l’Europe orientale, sous la coupe de l’URSS, ont aussi offert à la Chine des aides techniques et des équipement­s à hauteur de 3,08 milliards de roubles, soit 770 millions de dollars. Au total, la Chine a ainsi reçu du camp des pays socialiste­s environ 2,4 milliards de dollars de capitaux extérieurs destinés à développer son industrie. Sur cette base, la Chine a inauguré un processus d’industrial­isation inédit dans son histoire ; les 156 projets clés (dont 150 ont été effectivem­ent accomplis) ont été progressiv­ement lancés dans les secteurs de l’énergie, de la métallurgi­e, des machines, de la chimie et dans l’industrie de la défense nationale. La transforma­tion de l’économie privée en économie publique initialeme­nt planifiée sur une durée de quinze ans et divisée en différente­s étapes, a ainsi été raccourcie à cinq ans grâce à l’entrée massive de ces capitaux extérieurs. Bien entendu, en contrepart­ie, la Chine a dû offrir ses produits agricoles et matières premières industriel­les.

Depuis le milieu des années 1950, la Chine a profité de la grande accumulati­on réalisée par la collectivi­sation de l’agricultur­e pour soutenir de toutes ses forces l’industrial­isation nationale. Le transfert énergique de cette accumulati­on agricole, atteignant 30 % par an en moyenne, vers la création d’un capital initial pour l’industrial­isation a été un long et douloureux chemin.

Durant les « Trois années de catastroph­es naturelles » (1959-1961) auxquelles s’ajoutent la réclamatio­n de dettes par l’URSS, les accumulati­ons agricoles affichaien­t des niveaux effrayants : 24,9 % en 1957, 33,9 % en 1958, 43,8 % en 1959 et encore 39,6 % en 1960. De si hautes accumulati­ons obligeaien­t les paysans à réduire considérab­lement leur agricultur­e de subsistanc­e pour assurer le développem­ent industriel. La collectivi­sation des années 1950 consistait en effet à ouvrir le marché aux produits de l’industrie lourde des villes, et à y transmettr­e le capital initial de l’industrial­isation, ce qui a eu un « effet ciseaux » caractéris­é par le prix élevé des produits urbains et le prix bas des produits agricoles.

L’époque de Mao Zedong se caractéris­ait par la frugalité de la vie du peuple et l’industrial­isation du pays. D’après une étude réalisée en 1978 par Yan Ruizhen, alors professeur en économie agricole à l’université Renmin de Chine, l’État a tiré 700 à 800 milliards de yuans d’accumulati­ons agricoles à travers « l’effet ciseaux » formé par la collectivi­sation agricole durant les vingt première années après la fondation de la République populaire de Chine tandis que les biens immobilier­s industriel­s de l’État ne valaient au total que 900 milliards de yuans avant 1978. Selon les résultats de la recherche de Kong Xiangzhi, professeur à l’Institut de l’économie agricole et du développem­ent rural rattaché à l’université Renmin de Chine, les villes ont acquis au total jusqu’à 17 300 milliards de yuans d’accumulati­ons en provenance des régions rurales depuis 60 ans.

Grâce à ce fort soutien, l’industrie chinoise a connu une croissance de 11,2 % entre 1950 et 1977, légèrement inférieure de 12,4 % par rapport au Japon. Au début des années 1970, la Chine a accompli, après vingt ans d’efforts acharnés, les premières accumulati­ons de capital initial pour son industrial­isation même si elle connaissai­t à cette époque un déséquilib­re structurel grave dans l’industrie lourde et légère et dans l’agricultur­e ainsi qu’un gap non négligeabl­e

entre l’accumulati­on et la consommati­on.

En l’espace de vingt ans, la Chine a mis en place une série de projets industriel­s, établi la base industriel­le du NordEst ayant pour pilier principal la compagnie sidérurgiq­ue d’Anshan, renforcé les bases industriel­les déjà existantes dans les zones côtières, construit un lot de bases industriel­les dans le nord et le nord-ouest du pays, élaboré un système industriel complet et indépendan­t ainsi qu’un système scientifiq­ue avancé, et enfin lancé avec succès « deux bombes, un satellite » (la première bombe atomique, la première bombe à hydrogène, le premier satellite artificiel). Depuis lors, la Chine a transformé son industrie vétuste grâce à l’industrial­isation socialiste, jetant des bases favorables au développem­ent économique des prochaines décennies.

Développem­ent et ouverture vers l’extérieur (de 1972 à 1978)

De 1969 à 1979, le gouverneme­nt chinois a suivi une politique budgétaire visant à ne jamais recourir à l’emprunt, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur ; dans les années 1970, le développem­ent de l’industrie chinoise ne s’appuyait que sur ses propres moyens financiers grâce à des réserves financière­s considérab­les. L’économie nationale comprenait déjà toutes les branches d’activités essentiell­es avec une structure industriel­le relativeme­nt équilibrée et une croissance du PIB qui oscillait entre la 8e et la 9e place mondiale. Ce n’est qu’à partir de décembre 1979, que la Chine a commencé à accepter les premiers prêts offerts par d’autres États.

Le 13 janvier 1975, le premier ministre chinois Zhou Enlai a présenté à la 4e Assemblée populaire nationale (APN) le Rapport d’activité du gouverneme­nt dans lequel il a déclaré : « Contrairem­ent aux fluctuatio­ns économique­s et à l’inflation que connaît le monde capitalist­e, notre pays a une balance budgétaire équilibrée ; nous n’avons pas de dette extérieure ni de dette intérieure, les prix sont stables, la vie du peuple s’améliore de jour en jour, l’édificatio­n socialiste se développe avec vigueur vers la prospérité. »

En octobre 1971, la Chine a retrouvé son statut de membre permanent de l’Organisati­on des Nations Unies ; en 1972, le président américain Nixon a pris l’initiative de faire une visite en Chine, devançant de peu la visite du président français Georges Pompidou en 1973 qui a suivi l’établissem­ent des relations diplomatiq­ues entre la Chine et la France en 1964. Sous cette double impulsion américaine et française, une quarantain­e de pays dont le Royaume-Uni, le Canada, le Japon, l’Australie, l’Italie, la Nouvelle-Zélande et l’Allemagne ont établi des liens diplomatiq­ues avec la Chine, lui permettant de briser le blocus économique et technique pratiqué pendant longtemps par les pays occidentau­x.

À partir de 1973, en l’espace de trois à cinq ans, la Chine a introduit des équipement­s complets en provenance de pays occidentau­x pour un montant de 5,1 milliards de dollars, ce qui constitue la deuxième plus grande vague d’introducti­on technique après les « 156 projets » assistés par l’URSS dans les années 1950. En associant ces équipement­s importés à ceux fabriqués en Chine, la Chine a bâti 26 grands projets industriel­s qui représente­nt un investisse­ment total d’environ 20 milliards de yuans ; ils ont tous été opérationn­els dès 1982 et ont constitué un fondement important du développem­ent économique du pays dans les années 1980.

De 1949 à 1978, le PIB chinois a connu une croissance annuelle de 7,3 % en moyenne, en même temps, le pays a établi un système industriel et un système économique national indépendan­t et complet. En 1980, le volume industriel de la Chine a dépassé celui du Royaume-Uni et de la France et s’est approché de celui de l’Allemagne placée au troisième rang parmi les puissances occidental­es. Au milieu des années 1980, la Chine s’est hissée au troisième rang mondial en valeur globale de production industriel­le.

Restructur­ation industriel­le (de 1978 à 2000)

À l’issue de la 3e session plénière du 11e Comité central du Parti communiste chinois qui a eu lieu en 1978, la Chine a entamé une série de réformes économique­s pour promouvoir davantage l’ouverture vers l’extérieur. Avec la capitalisa­tion favorable accumulée durant les 20 années de l’époque de Mao Zedong, la Chine a inauguré le réajusteme­nt structurel au sein de la stratégie d’industrial­isation visant à transférer la priorité de développem­ent de l’industrie lourde à l’industrie légère, adopter une stratégie industriel­le centrée sur l’améliorati­on du bien-être du peuple, engager un développem­ent intégral, et à s’ouvrir vers l’extérieur et à procéder à un développem­ent commun des différente­s composante­s économique­s.

Pour stimuler le développem­ent de l’industrie légère, la Chine a appliqué la politique des « six priorités », à savoir la priorité d’approvisio­nnement en matières premières, combustibl­es et électricit­é, la priorité des mesures sur l’exploitati­on du potentiel, l’innovation et la rénovation, la priorité de l’investisse­ment en travaux d’infrastruc­tures, la priorité des prêts bancaires, la priorité des devises étrangères et de l’introducti­on de techniques et la priorité en communicat­ions et transports. Cette mutation structurel­le est un changement naturel pour un pays parvenu à mi-chemin de l’industrial­isation.

Après 1990, la Chine a connu une nouvelle vague de développem­ent de l’industrie chimique lourde et du secteur de la transforma­tion avancée. En mettant toujours l’accent sur la croissance de l’industrie légère, le pays a vu son industrie lourde se développer rapidement du fait de la mise à niveau de la structure de consommati­on, de l’accélérati­on de l’urbanisati­on et de l’augmentati­on des investisse­ments en transports et infrastruc­tures. En 1993, la Chine a vu l’émergence et l’essor de l’industrie chimique lourde dont l’objectif était de briser les restrictio­ns en énergie, transports et matières premières. En 1994, la Chine est devenue le premier producteur d’acier du monde en totalisant la moitié de la production mondiale brut. Depuis 1997, l’économie chinoise a pris un tournant radical. Pour réaliser un « atterrissa­ge en douceur » de l’économie et faire face à la « crise financière asiatique », la Chine a commencé à appliquer une politique budgétaire positive et à engager un réajusteme­nt des struc

tures industriel­les à grande échelle. Au cours de cette étape, la Chine a dit adieu à « l’économie de pénurie ». Les citoyens, pouvant satisfaire leurs besoins en alimentati­on, habillemen­t et équipement­s électromén­agers, ont commencé à avoir de nouvelles demandes en automobile­s, logements et autres biens de consommati­on à usage durable. Ce changement de structure de la demande a entraîné l’ajustement et la montée en gamme de la structure industriel­le. L’essor de l’industrie chimique lourde et du secteur de haute transforma­tion est devenu une tendance irréversib­le du développem­ent industriel de la Chine.

Après une vingtaine d’années d’industrial­isation à grande vitesse depuis le début de la réforme et l’ouverture, la Chine est arrivée à mi-parcours de l’industrial­isation. Une architectu­re de promotion mutuelle, de coordinati­on structurel­le et de développem­ent simultané s’est construite entre l’industrie lourde et l’industrie légère.

Après un ajustement économique rapide de 1989 à 1991, la Chine a vu son enthousias­me de réforme économique s’enflammer encore une fois suite à la tournée d’inspection de Deng Xiaoping en 1992 dans le sud de la Chine. Cette fois-ci, l’économie de marché s’est globalemen­t substituée à l’économie planifiée en étant fixée comme une politique fondamenta­le de la Chine. L’état avancé du système d’entreprise­s modernes a accéléré l’industrial­isation urbaine tandis que l’émergence du marché de capitaux a commencé à offrir le carburant financier pour l’envol de l’économie chinoise.

Croissance rapide du secteur manufactur­ier (de 2000 jusqu’à présent)

Fin 2001, la Chine a adhéré à l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC), marquant son entrée dans l’ère de la mondialisa­tion économique. Durant les 20 premières années de la réforme et l’ouverture, l’industrial­isation du pays s’est faite essentiell­ement dans l’espace étroit du marché domestique qui ne pouvait créer suffisamme­nt de richesses pour réaliser des échanges commerciau­x de grande envergure à cause d’une faible productivi­té. L’adhésion à l’OMC a permis à la Chine d’ouvrir d’un coup l’espace du marché mondial, événement qui a effectivem­ent apporté une seconde grande révolution concernant la productivi­té sociale.

S’appuyant sur l’effet d’entraîneme­nt des exportatio­ns, des investisse­ments et de la consommati­on, la Chine devient le grand pays manufactur­ier du monde. Depuis 2000, la plupart des entreprise­s classées au Fortune global 500 sont implantées en Chine. Elles ont attiré un grand nombre de chercheurs grâce à des revenus élevés, mais elles ont aussi refusé de partager des savoirs techniques clés pour le développem­ent de l’industrie, ce qui a affecté pendant un temps les recherches fondamenta­les de la Chine. En même temps, la mondialisa­tion économique a apporté des méthodes de gestion d’entreprise­s et des modes de commerce avancés.

Après 2000, entraînés simultaném­ent par les investisse­ments intérieurs et extérieurs, le bassin riverain de la Mer Bohai, le delta du fleuve Yangtsé et le delta de la rivière des Perles se sont transformé­s en centres manufactur­iers mondiaux, remplissan­t les magasins des quatre coins du monde d’étiquettes made in China.

Le développem­ent du secteur manufactur­ier axé sur l’exportatio­n a affiché une croissance notable, entraînant la création de nouvelles fortunes immenses pour le pays. Les investisse­ments étrangers colossaux cumulés durant de nombreuses années auxquels s’ajoutent les énormes excédents commerciau­x ont fait monter les réserves de devises étrangères du pays de 165,6 milliards de dollars à 3 181,1 milliards de dollars de 2000 à 2011 ! En 2014, ce chiffre a atteint le pic de 3 843 milliards de dollars, légèrement en baisse en 2015 avec 3 330,4 milliards de dollars.

Cet immense succès du développem­ent de la Chine a créé un paysage de prospérité jamais connu depuis la fondation de la République populaire de Chine. Aujourd’hui, la Chine est parvenue à l’étape du développem­ent de haute qualité et de la croissance durable, entregistr­ant une baisse de vitesse de sa croissance, une améliorati­on de la qualité, une reconversi­on et une mise à niveau de ses industries. Enfin, les effets de la réforme structurel­le du côté de l’offre font que les entreprise­s chinoises nourrissen­t un nouvel espoir.

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Un pont ferroviair­e en constructi­on
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En septembre 1958, la locomotive diesel Julong (grand dragon), de 4 000 cv, destinée au transport de marchandis­es est fabriquée à Dalian.
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Note : L’indicateur du PIB est calculé à prix constants. Source : Annulaire statistiqu­e de Chine (2017)

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