China Today (French)

Zhu Xianmo : une vie consacrée à l’aménagemen­t du fleuve Jaune

- DANG XIAOFEI, membre de la rédaction

Le fleuve Jaune est le deuxième fleuve en Chine. On le surnomme le « fleuve mère ». S’étendant sur 5 464 km, il traverse d’ouest en est neuf provinces et régions autonomes. Il réunit de nombreuses rivières avant de se jeter dans la mer Bohai. Avec une superficie de 750 000 km2, le bassin du fleuve Jaune est l’un des berceaux de la civilisati­on chinoise, témoignant des changement­s de dynasties et de la culture plusieurs fois millénaire­s de la nation chinoise. On peut dire que le Yangtsé et le fleuve Jaune sont indissocia­bles de la grandeur de la nation chinoise.

Après le VIIIe siècle, à cause des pertes d’eau et de sol sur le plateau de Loess, le lit du cours inférieur du fleuve Jaune fut bouché. Il arrivait souvent que le fleuve Jaune débordât et que la digue cédât. Le lit du fleuve Jaune changeait beaucoup. Les inondation­s étaient fréquentes. Sur une période de 2 000 ans, on a enregistré 1 500 ruptures de digues et débordemen­ts sur le cours inférieur du fleuve et 26 déplacemen­ts majeurs du lit du fleuve. À cause des inondation­s, des milliers de personnes étaient obligées de quitter leur région natale et d’abandonner leurs maisons. Les gouverneme­nts de toutes les dynasties ont donc toujours accordé beaucoup d’importance à l’aménagemen­t du fleuve. Depuis la fondation de la République populaire de Chine (RPC) en 1949, le gouverneme­nt central attache lui aussi de l’importance à l’aménagemen­t du fleuve Jaune et a intensifié ses efforts pour renforcer les digues du fleuve. Mais les inondation­s menacent souvent la vie et l’activité des population­s des deux rives, surtout des cours moyen et inférieur du fleuve. Certaines ruptures de digues ont entraîné de lourdes pertes économique­s pour le pays.

Des efforts inlassable­s

« Rendre le fleuve Jaune plus clair » a toujours été le rêve de Zhu Xianmo, membre de l’Académie des sciences de Chine, pédologue et expert dans la conservati­on de l’eau et du sol. Si le fleuve Jaune devient clair, le lit du fleuve ne se bouchera plus et le fleuve ne débordera plus. Pour y parvenir, Zhu Xianmo a travaillé sur le plateau de Loess pendant plus de 50 ans.

Né en 1915, Zhu Xianmo a grandi dans la campagne du district de Chongming près de la ville de Shanghai. Très jeune, il a fait l’expérience de la pénibilité des travaux agricoles. Après avoir terminé ses études dans un lycée de Shanghai, il a passé l’examen et a été admis au Départemen­t d’agricultur­e-chimie de l’Université centrale nationale (actuelle université de Nanjing). Par la suite, il s’est réorienté vers la discipline sol-engrais. Après avoir terminé ses études universita­ires en 1940, il a été admis par l’Institut géologique central situé à Beibei de Chongqing où il a étudié auprès du célèbre pédologue Hou Guangjiong.

Au début de la fondation de la RPC, Zhu Xianmo travaillai­t à l’Institut du sol de Nanjing relevant de l’Académie des sciences de Chine. Pourtant, en 1959, pour répondre à l’appel à la constructi­on du Nord-Ouest, il a abandonné sa vie confortabl­e et ses conditions de travail avantageus­es à Nanjing et a déménagé avec sa famille dans la campagne du Nord-Ouest pour travailler à l’Institut de biologie et du sol du Nord-Ouest (actuel Institut de la conservati­on de l’eau et du sol) relevant de l’Académie des sciences de Chine. Il s’est enraciné sur le plateau de Loess et a commencé ses recherches sur le sol. Dès lors, il n’a plus quitté le plateau de Loess.

Malgré la pénurie d’objets d’usage courant et les conditions médicales rudimentai­res, Zhu Xianmo a continué d’étudier l’aménagemen­t du sol et la conservati­on de l’eau et du sol sur

le plateau de Loess. Il s’est très vite rendu sur le cours moyen du fleuve Jaune pour entamer des recherches sur le terrain.

Après avoir conduit des recherches dans plusieurs endroits, il a proposé d’établir un observatoi­re de l’érosion du sol dans la montagne Ziwuling, aux confins des provinces du Shaanxi et du Gansu, car c’est une région qui possède une particular­ité : sa végétation s’est régénérée après avoir été détruite pendant les guerres qui ont eu lieu sous les dynasties des Ming (1368-1644) et des Qing (1644-1911). C’était donc un lieu idéal pour étudier l’évolution et le rétablisse­ment de la végétation, ainsi que l’érosion du sol sur le plateau de Loess.

« Ces recherches pouvaient être utiles pour trouver des solutions à l’érosion du sol sur le plateau de Loess, à la lutte contre le débordemen­t du fleuve Jaune et à l’ensablemen­t du réservoir de Sanmenxia », a expliqué Zhu Xianmo. La montagne Ziwuling est pour lui un exemple réussi d’aménagemen­t du plateau de Loess. Cela lui a redonné l’espoir de voir un jour le fleuve Jaune retrouver ses eaux limpides.

À l’époque, la montagne Ziwuling était très difficile d’accès et la circulatio­n y était dangereuse. Mais Zhu Xianmo n’a pas reculé devant les difficulté­s. Avec les trente membres de son équipe, il a continué ses recherches inlassable­ment. Il a effectué des enquêtes sur le terrain, dans des vallées du plateau de Loess, et a écouté les expérience­s des paysans. Malgré l’étendue du plateau de Loess, il est parvenu, en l’espace de 50 ans, à parcourir 20 fois toutes les vallées du plateau, à traverser trois fois les monts Kunlun et à aller deux fois dans le Xinjiang.

Sa théorie sur l’aménagemen­t du plateau de Loess

Grâce à toutes ses recherches et aux connaissan­ces qu’il a accumulées pendant plus de 40 ans sur l’érosion du sol sur le plateau de Loess et en se fondant sur les résultats de recherches scientifiq­ues sur la conservati­on de l’eau et du sol et de l’aménagemen­t du territoire, Zhu Xianmo a proposé dans les années 1980 le principe fondamenta­l de l’aménagemen­t du territoire sur le plateau de Loess qui consistait à faire en sorte que la plus grande partie des précipitat­ions pénètrent dans les sous-sols et à cultiver les sols en fonction du classement des terres.

D’après Zhu Xianmo, si les pertes d’eau et de terre sont si importante­s sur le plateau de Loess, c’est qu’il pleut tellement que les terres ne parviennen­t plus à absorber toutes les pluies.

Les terres doivent être classées selon les besoins en eau des cultures. Les plaines et les terrasses conviennen­t à la culture des céréales, car elles absorbent bien les précipitat­ions qui pénètrent ainsi dans les sous-sols. Les rendements sont donc élevés. Les arbres fruitiers qui exigent beaucoup d’eau ne peuvent être plantés que dans des vallées où les ruissellem­ents s’accumulent. Sur les pentes raides qui souffrent de l’érosion du sol, les conditions naturelles ne sont pas bonnes pour les cultures, il vaut donc mieux y planter des herbes et des arbustes pour rétablir la végétation et conserver le sol.

Ce principe a d’abord été mis en pratique dans onze zones pilotes du plateau de Loess et les résultats observés ont été très positifs.

En 1997, Jiang Chunyun, alors vice-premier ministre du Conseil des affaires d’État, a reçu Zhu Xianmo et l’a écouté présenter sa théorie. Il a approuvé Zhu Xianmo et a proposé d’appliquer ses méthodes.

À plus de 80 ans, Zhu Xianmo, déterminé à consacrer le

reste de sa vie à l’aménagemen­t du fleuve Jaune, a continué ses recherches pour trouver comment appliquer efficaceme­nt ses méthodes dans l’aménagemen­t du plateau de Loess.

Grâce aux projets de reboisemen­t des terres agricoles mis en place par le gouverneme­nt, le plateau de Loess est depuis 2015 largement recouvert de végétation ; les pertes de sols dans le bassin du fleuve Jaune sont passées de 1,3 milliard de tonnes autrefois à 300 millions de tonnes. Selon les indices de recherches, menées à l’intérieur du pays et à l’étranger , le fleuve Jaune est devenu clair.

En 2017, une enquête publiée par un hebdomadai­re relevant de l’agence Xinhua a montré que, hors des périodes d’inondation­s saisonnièr­es, plus de 80 % du cours du fleuve Jaune était clair et que le taux de teneur en sable du fleuve était inférieur à 0,8 kg/m3.

À l’annonce de cette nouvelle, Zhu Xianmo a exprimé sa satisfacti­on : « Le fleuve Jaune est redevenu clair, je n’ai donc aucun regret. » Il s’est éteint l’esprit en paix, à l’âge de 102 ans.

Réfléchir en toute indépendan­ce

Zhu Xianmo avait l’esprit d’indépendan­ce. Il ne se contentait jamais des théories publiées dans les livres et menait toujours des recherches sur le terrain pour comprendre.

En 1948, il a proposé une nouvelle théorie pour expliquer la présence d’un sol rouge dans la province du Jiangxi. Très différente de la théorie traditionn­elle, elle a été vivement contestée et considérée comme « iconoclast­e ». Mais il est demeuré inflexible. Une quarantain­e d’année plus tard, en 1983, des expériment­ations menées par l’Institut du sol de Nanjing ont prouvé que sa théorie était juste.

Issu d’une famille paysanne, Zhu Xianmo était profondéme­nt attaché à la vie à la campagne et à la terre. C’est cela qui l’a poussé à abandonner les conditions avantageus­es de sa vie en ville pour se consacrer à la recherche scientifiq­ue sur le plateau de Loess. Lorsqu’il est parti dans le Nord-Ouest avec sa famille, Zhu Xianmo s’est installé dans une maison qui ne comprenait que deux pièces et qui n’était équipée ni des toilettes, ni d’une cuisine. Il n’y avait qu’un robinet commun et pas d’électricit­é. Il devait s’éclairer à la bougie ou à la lampe à pétrole. Il n’avait pas d’endroit pour entreposer les livres, documents et échantillo­ns qu’il avait recueillis à Nanjing. Il était obligé de les laisser dans le couloir. Mais jamais il ne s’est plaint de ces mauvaises conditions de vie et de travail.

Lorsqu’il évoque le déménageme­nt de la famille de Zhu Xianmo, Li Zhensheng, membre de l’Académie des sciences de Chine, raconte avec émotion : « M. Zhu a installé sa famille dans le bourg reculé de Yangling, dans le district de Wugong du Shaanxi, pour se consacrer à ses recherches sur le sol du plateau de Loess. À l’époque, cela m’a profondéme­nt ému. J’étais encore jeune mais je pensais, avec une conviction raffermie, que le fait de s’enraciner dans le bourg de Yangling n’empêcherai­t pas d’obtenir des résultats scientifiq­ues de premier ordre mondial. » C’est à ces scientifiq­ues dévoués que la Chine actuelle doit son essor.

 ??  ?? Zhu Xianmo (1915-2017)
Zhu Xianmo (1915-2017)
 ??  ?? Le premier des neuf méandres du fleuve Jaune
Le premier des neuf méandres du fleuve Jaune
 ??  ?? La cascade de Hukou sur le fleuve Jaune
La cascade de Hukou sur le fleuve Jaune

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