China Today (French)

Remettre la France en perspectiv­e

- SONIA BRESSLER*

Remettre la France en perspectiv­e, c’est lui donner l’occasion de jouer un rôle fondamenta­l dans la constructi­on d’une communauté de destin proposée par la Chine. Et ceci n’est possible que si nous tissons ensemble les liens, en proposant des échanges, en définissan­t les contours de cette collaborat­ion. Cette perspectiv­e, c’est le fil de l’amitié entre les cultures, entre les savoirs, entre les êtres. Nous sommes à un point crucial de l’histoire de l’humanité. Ce point doit être vu sous un plan différent : celui d’une ligne ou plus exactement de multiples lignes, de multiples flux.

Ces flux ont toujours été là dans l’histoire, mais nous ne leur avons pas assez prêté attention. Aujourd’hui,

il n’est pas étonnant que ce soit la Chine qui décide de les formaliser sous l’initiative « la Ceinture et la Route », plus connu, en France, sous le nom des nouvelles Routes de la Soie. L’amitié est un « fil de soie », un fil qui nous relie les uns aux autres par delà nos différence­s. Ce fil est un fil de vie. Il est un souffle, un battement de coeur. C’est un élan vital. C’est ce qui va permettre à l’humanité de se réinventer.

La Route de la Soie, toute une histoire

Faisons un peu d’histoire, avant de nous lancer dans l’actualité de la Route de la Soie. Même si nous ne la connaisson­s pas nécessaire­ment. Elle sonne

pour chacun comme une route reliant l’Orient à l’Occident, ou l’inverse. Nous imaginons toujours des voyageurs partant de Paris ou de Turquie pour aller à pied, à cheval, ou en voiture vers l’Orient. Ces voyages sonnent avec aventure incroyable.

En fait, la Route de la Soie, historique­ment c’est un peu tout cela à la fois. Elle désigne, en effet, un réseau ancien de routes commercial­es entre l’Asie et l’Europe. Elle sert à faire transiter de nombreuses marchandis­es. Elle tire son nom de la plus précieuse marchandis­e qui y transitait : la soie.

Pendant des siècles, elle a été d’une très grande importance non seulement pour les échanges économique­s mais également pour les échanges culturels. Il est intéressan­t de se rendre dans le Xinjiang pour en découvrir les traces et voir comment, elle revit avec la force de la politique de Xi Jinping.

Les plus anciennes de traces de la Route de la Soie remontent à plus de 2 000 ans avant notre ère. Mais c’est sous la dynastie des Han occidentau­x (206 av. J.-C.—24) qu’elle se développe. La dynastie des Tang (608-907) aussi lui consacre des fonds et cherche à l’étendre. À partir du XVe siècle, la Route de la Soie se voit de façon progressiv­e abandonnée. La chute de Constantin­ople, les conflits turco-byzantins finissent par détourner les Occidentau­x de cette voie. La volonté hégémoniqu­e occidental­e va se déployer par la mer. L’Occident cherche alors une nouvelle route vers les Indes.

Une chose m’interpelle, quand on regarde cette histoire, les routes (ses milliers de chemins qui parcourent les montagnes, comme les déserts, comme les prairies) ne portaient pas de nom. On indiquait juste les points cardinaux ou les noms des grandes villes. L’apparition de l’expression la « Route de la Soie » est due au géographe allemand Ferdinand von Richthofen (1883-1905).

C’est d’ailleurs amusant de voir que cette expression a très vite enfermé une crainte : celle de la colonisati­on du continent européen par une autre civilisati­on. Cette peur a très vite masqué les apports fondamenta­ux de cette route : le papier, l’imprimerie, la boussole et le poudre à canon. Toutes ces inventions viennent de la Chine. Face à de tels savoirs, ou de telles performanc­es, il faut revenir à soi, à son identité. Les frontières s’érigent en gardiens des « cultures », des « identités ».

Le XIXe siècle voit naître l’expression la « Route de la Soie », c’est par là même que l’on nomme ou désigne, on enferme, on encercle ce qui, par essence, est un flux, un mouvement perpétuel d’échanges. La Route de la Soie devient objet de recherche, c’est qu’elle n’existe donc plus. C’est un vestige.

La Route de la Soie émerveille des écrivains

Cette fameuse route anime les esprits, l’imaginatio­n, elle fait tomber les mots. Elle nous enivre. À chaque période, les écrivains ont voulu en goûter les poussières pour la dresser en mythe. Mais elle est aussi ivresse de couleurs, de rencontres, de découverte­s, de cultures. Rien n’a le même goût sur cette route, les milliers de kilomètres réveillent les yeux, touchent les coeurs.

Bien après Joseph Arthur de Gobineau (18161882), Pierre Loti (1850-1923) prend un thé dans les bazars d’Ispahan « avec les Circassien­s, les Turcomans et les loqueteux ». Sous sa plume, on s’émerveille devant « la place impériale, la merveille de la ville, [...] les minarets et les coupoles jaunes de l’antique mosquée du Vendredi, l’une des plus vieilles et des plus saintes de l’Iran ». On sourit aux couleurs, aux arabesques.

Cependant on oublie souvent que des femmes ont aussi parcouru cette route. N’oublions pas ici Ella Maillart (1903-1997), voyageuse, écrivaine et photograph­e suisse. Elle a emprunté cette route avec l’écrivain britanniqu­e Peter Fleming (19071971) en février 1935 depuis Bejing. Ils se sont ainsi lancés dans « l’inconnu démesuré ».

Ella Maillart est, pour moi, une clé dans l’histoire des visions du monde. Trop souvent oubliée ou négligée. Elle a, pourtant, osé aller là où personne n’était allé. L’égalité ne se conquiert pas dans les discours, mais sur le terrain. La Route de la Soie, c’est la voie de la liberté.

Avec elle, la Route de la Soie retrouve son aspect vivant. Elle lui redonne un élan, le plaisir de la jonction. On ne peut pas imaginer, sentir ce qu’elle a vu au fil des milliers de kilomètres en 1935. Mais la

Route de la Soie redevient palpitante.

Car quel que soit le siècle, la Route de la Soie est vivante, elle passe au travers des guerres, elle peut raconter des histoires sur le monde, les pays, les mouvements de frontières. Elle contourne, franchit les frontières, elle oblige à s’interroger, à se confronter à ses propres limites.

La Route de la Soie renaît

Le président Xi Jinping a annoncé à plusieurs reprises la volonté de créer et de mettre en oeuvre l’initiative « la Ceinture et la Route ». Ce projet est déjà bien établi et beaucoup de partenaria­ts sont signés.

L’idée globale : redonner naissance à l’ancienne Route de la Soie, de deux façons : terrestre et maritime, à savoir la Ceinture économique de la Route de la Soie et la Route maritime de la Soie du XXIe siècle, reliant l’Asie, l’Europe et l’Afrique. Chaque pays peut établir un partenaria­t « gagnant-gagnant » avec la Chine.

Mais à nouveau des médias s’affolent : l’Europe tendrait à disparaîtr­e via cette initiative.

Ici, une question me vient : n’avons-nous rien appris au cours de l’histoire de l’Europe ? N’avons-nous toujours pas compris que la fin des lumières n’est pas le fruit du hasard ? Mais bien la résultante d’un enfermemen­t ? D’un repli sur soi. Une route, une voie ferrée pour faciliter les échanges, entraîne non pas une disparitio­n mais bien la volonté de grandir ensemble, d’améliorer notre existence et donc de se comprendre.

Cependant, il semble que le marché libéral européen n’a pas besoin de cela. Je dirais même une population éduquée, comprenant les mécanismes de ce marché libéral auxquels elle répond (soit dit en passant une population éclairée), cela dérange l’Europe. Et voilà que ce grand projet chinois jette une lumière crue sur cette tension typiquemen­t européenne. Il bouleverse aussi nos habitudes mentales, nos soumission­s volontaire­s au marché...

L’initiative « la Ceinture et la Route » : enrichisse­ment commun

Dans son livre La Gouvernanc­e de la Chine (I), Xi Jinping indique qu’il faut poursuivre et développer inflexible­ment le socialisme à la chinoise. Le socialisme a toujours fait peur à l’Occident. Mais cette affirmatio­n par Xi Jinping signifie en fait les points suivants : — l’indépendan­ce : la Chine reste non alignée ; — le multipolar­isme : aucun pays ne domine ; — le double système : « un pays deux systèmes » (comme avec Hong Kong) ;

— le développem­ent pacifique : il ne s’agit pas de créer une hégémonie nouvelle, il s’agit de collaborer ensemble avec les pays pour dessiner un bel avenir ensemble ;

— la coopératio­n est internatio­nale, les affaires sont multilatér­ales.

Cette multipolar­ité, comme ce travail en coopératio­n, fait peur en Europe, un continent qui n’a connu que des guerres pour définir ses frontières intérieure­s. L’Europe est en panne, car elle n’a plus, à proprement parler, de perspectiv­es communes. La France cherche sa place. La Chine en mettant en avant son socialisme à la chinoise change toutes les perspectiv­es. Elle montre avec intelligen­ce la fusion de deux systèmes qui, dans notre pensée, sont encore opposés : le socialisme et l’économie de marché.

L’initiative « la Ceinture et la Route » est une perspectiv­e nouvelle qui nous permet de nous repenser et d’inventer un nouveau système de valeurs. Un système plus juste, un système gagnant-gagnant fondé sur le partage. Pour le comprendre, il suffit de lire les mots de Xi Jinping dans son livre La Gouvernanc­e

de la Chine (II) : « Le concept de partage est au fond l’idée de maintenir un développem­ent centré sur le peuple. Il traduit l’exigence consistant à progressiv­ement réaliser l’enrichisse­ment commun » (p. 269).

Confucius a dit : « Ce qui est à craindre, ce n’est pas la rareté, mais l’inégalité ; ce n’est pas la pauvreté, mais l’instabilit­é. » En France, nous vivons au coeur de cette instabilit­é, il est plus que nécessaire de la résoudre en s’attachant à travailler ensemble dans cette perspectiv­e de communauté de destin.

 ??  ?? En 2011, le groupe YTO a racheté McCormick, société française fondée dans les années 1950. Le 27 août 2016, un travailleu­r charge les tracteurs dans le nouveau parc industriel du groupe à Luoyang du Henan.
En 2011, le groupe YTO a racheté McCormick, société française fondée dans les années 1950. Le 27 août 2016, un travailleu­r charge les tracteurs dans le nouveau parc industriel du groupe à Luoyang du Henan.
 ??  ?? Le 14 novembre 2017, le producteur français de moteurs de navires Moteurs Baudouin remet ses comptes au vert, après avoir été racheté par le groupe chinois Weichai en 2009. Un ouvrier travaille dans l’atelier du siège social de Baudouin en France.
Le 14 novembre 2017, le producteur français de moteurs de navires Moteurs Baudouin remet ses comptes au vert, après avoir été racheté par le groupe chinois Weichai en 2009. Un ouvrier travaille dans l’atelier du siège social de Baudouin en France.
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Le 8 mai 2017, dans le grand magasin Printemps Paris en France, une vendeuse expériment­e la fonction d’Alipay. Printemps Paris est le premier commerçant français à introduire le service de paiement Alipay.

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