China Today (French)

La vie en rose

- Narratrice : ZHANG XIAOJUAN Rédacteur : MA LI, membre de la rédaction

Je suis très attachée à Gulangyu, une petite île très romantique. Je découvris cette île par une belle journée qui commença au débarcadèr­e du bac, avec la caresse de la brise marine. Sur mon chemin, je rencontrai par hasard des habitants de l’île et je m’assis avec eux sur des pierres pour discuter en prenant de thé. Au cours de la conversati­on, ces inconnus évoquèrent les changement­s historique­s de l’île comme s’ils ne dataient que de la veille. Une tasse de thé, un profond sentiment d’humanité, voici le quotidien des habitants de l’île Gulangyu.

Les habitants de l’île aiment beaucoup la musique qui est un élément indispensa­ble de leur vie quotidienn­e. De temps en temps, on entend un air de piano au détour d’une ruelle. À cette époque, la plage était calme ; des jeunes garçons et des jeunes filles peignaient sur le vif, se fondant parfaiteme­nt dans le beau paysage insulaire.

Je suis tombée amoureuse de cette île et de ses vieilles maisons, au point que j’ai fini par souhaiter y ouvrir une auberge. Je voulais que cette île fasse partie de ma vie. J’y ai lié une profonde affinité avec un Français qui est devenu mon mari.

Le prélude à la rencontre

Après un an de recherche, j’ai fixé mon regard sur une constructi­on située au no 32 de la Rue Sanming. Une maison avec une cour à l’anglaise, achevée en 1883, qui avait été d’abord la résidence de William Willison, deuxième consul de Belgique accrédité en Chine, puis le siège de Tait Marketing, première entreprise étrangère à Xiamen (province du Fujian) après la guerre de l’Opium.

Afin de préserver l’aspect original du bâtiment, j’ai consacré treize mois au design et à la rénovation de cette auberge. J’ai fini par aboutir à la structure idéale au moment où j’arrivais au bout de mes économies. J’ai voulu lui donner un style tango : pièces sombres, lierre, étoffes et souliers rouges, bandonéon, gourmandis­es, champagne, café, peintures à l’huile, musique de Piazzolla, etc., et je l’ai nommée « Puerto Tango 1919 ».

Le temps a filé sans que je ne m’en aperçoive ; des visiteurs des quatre coins du monde se sont succédé dans mon auberge. De manière inattendue, l’un de mes hôtes, un Français, est devenu mon mari. Il s’appelle Pierre-Yves Gervais, mais je l’appelle Lao Pi (littéralem­ent vieux Pierre). Professeur à l’École nationale supérieure des BeauxArts de Paris, il séjourne chaque année en Chine où il expose ses peintures.

Lao Pi est né dans les années 1960. Il a commencé à apprendre la peinture à l’âge de trois ans. À huit ans, il a vu des images de la Chine dans un dessin animé à la télévision française qui ont éveillé chez lui une profonde curiosité pour ce pays oriental mystérieux.

Notre premier rendez-vous a eu lieu au Starbucks du débarcadèr­e du bac. En réalité, ce n’était pas un lieu approprié, car Lao Pi, après avoir longuement étudié le menu, n’a pas trouvé de café satisfaisa­nt. Il a fini par commander un expresso à contrecoeu­r. Les Européens, surtout les Français, n’apprécient guère le café américain.

Au cours de ce rendez-vous, Lao Pi a beaucoup parlé du réalisateu­r Zhang Yimou et de l’actrice Gong Li. Grand fan de cette dernière, il a vu presque tous ses films, non seulement au cinéma, mais aussi en DVD.

Peut-être parce qu’il possède ce caractère romantique qu’on attribue aux Français, ou parce qu’il fait preuve d’un profond respect envers les femmes, Lao Pi éprouve une forte compassion pour les personnage­s incarnés par Gong Li. Il m’a expliqué que selon lui, les maris des femmes jouées par l’actrice dans les films Ju Dou (premier film chinois à être nominé dans la catégorie meilleur film en langue étrangère aux Oscars) et

épouses et concubines, étaient des hommes irrespectu­eux. Puis il a ajouté que, pour sa part, il chérirait la femme de son coeur. Son regard plein de tendresse et d’affection m’a alors fait rougir.

Le coup de foudre

Lao Pi avait découvert la Chine en 2006 à l’occasion d’une exposition qu’il avait organisée à Zibo (province du Shandong), ville jumelée avec La Roche-sur-Yon.

Cette visite lui a permis d’en apprendre davantage sur la culture chinoise et d’apprécier encore plus ce pays. À partir de ce moment, il a commencé à ajouter des détails empruntés à la culture chinoise dans ses oeuvres, entre autres la boucle chinoise, le bambou et le noeud chinois. Il est ensuite revenu en Chine chaque année pendant ses vacances pour y développer sa créativité artistique.

Un jour du mois d’avril 2014, Lao Pi est entré par hasard dans mon auberge. Ça a été le début de notre histoire d’amour.

Rétrospect­ivement, cette semaine au cours de laquelle Lao Pi a découvert l’île est notre plus beau souvenir. Je le guidais pour visiter tous les coins de l’île Gulangyu, en lui racontant les moeurs et coutumes locales ainsi que l’histoire que renfermait chaque bâtiment historique. Il était fasciné par la culture et l’art traditionn­els chinois. Il trouvait que les ruelles de l’île Gulangyu étaient très tranquille­s, les vieilles constructi­ons très charmantes, et la douce brise marine lui rappelait son enfance à Rennes, sa ville natale.

Le jour où il est parti, je l’ai accompagné sur le quai. À ce moment-là, il n’était pour moi rien de plus qu’un simple ami. Je ne pensais pas qu’il reviendrai­t un jour. Pourtant, à partir de ce moment, il n’a jamais cessé de me suivre. J’ai alors découvert le romantisme à la française. Plus tard, il m’a avoué son amour de manière artistique, en m’offrant des peintures au style naïf et enfantin, et m’a même écrit des lettres d’amour.

Du fait que la durée de ses vacances était limitée, Lao Pi était obligé de rentrer en France. Malgré les six heures de décalage horaire qui nous séparaient, il m’écrivait chaque jour des messages le matin, le midi et le soir. Il m’envoyait également des fleurs qu’il commandait en France à l’occasion de mes anniversai­res.

Petit à petit, mon coeur a été conquis par cet amour romantique. En avril 2016, Lao Pi, né en 1960, et moi, née en 1977, nous nous sommes mariés.

Par amour

Après notre mariage, Lao Pi a continué de travailler en France et je suis restée sur l’île Gulangyu pour y tenir mon auberge. Et malgré la distance, nos coeurs sont restés liés. Des yeux qui font baisser les miens Un rire qui se perd sur sa bouche Voilà le portrait sans retouche De l’homme auquel j’appartiens Quand il me prend dans ses bras il me parle tout bas Je vois la vie en rose… Voici les paroles de la chanson La vie

en rose que nous aimons fredonner. En 2017, je suis allée dans la région dont est originaire Lao Pi. J’y ai rencontré ses parents, ses proches, et découvert son lieu de travail. Je ne me suis jamais sentie mal à l’aise au cours du voyage, tout comme Lao Pi sur l’île Gulangyu. J’ai reçu un accueil cordial et j’avais l’impression de suivre mon destin.

L’année dernière, Lao Pi est venu en Chine pour célébrer mon anniversai­re ; avec des roses et à la lueur d’une bougie, il m’a chanté dans un chinois terrible la chanson En raison de l’amour. J’ai été extrêmemen­t touchée et je continue de penser que c’est la plus jolie chanson que j’ai jamais entendue.

Lao Pi dit qu’il viendra vivre à Gulangyu après sa retraite et qu’il restera à mes côtés jusqu’à la fin de sa vie. Et la vieillesse ne changera rien à notre amour.

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L’intérieur de l’auberge Puerto Tango 1919
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Zhang Xiaojuan par Pierre-Yves Gervais

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