China Today (French)

Le sur-mesure de Saint-Gobain pour le marché chinois

- ZHONG GUOWANG*

Avenant et direct à la fois, Javier Gimeno a l’allant du condottièr­e. Résidant à Shanghai, il nous reçoit dans son hôtel habituel dans un quartier d’affaires de Beijing en constante effervesce­nce, à deux pas des bureaux de la télévision publique chinoise. Sur le chemin, mon amie chinoise, qui a vécu ici, ne reconnaît plus rien ou presque, et les constructi­ons continuent de pousser, me laissant présager un destin similaire. Au siècle des start-ups et des success

stories comme l’entreprise chinoise Alibaba ou le géant américain Apple, SaintGobai­n nous rappelle que l’innovation consiste à saisir l’air du temps à travers les époques. Dans la liste des 40 plus grandes entreprise­s françaises côtées en bourse, le Cac 40, Saint-Gobain est aussi célèbre que le loup blanc : la plus ancienne des entreprise­s françaises, qui a fêté ses 350 ans en 2015, est aussi l’une de celles qui incarne le mieux l’idée d’excellence des ouvriers-artisans français. Depuis la galerie des Glaces du château de Versailles à son arrivée en Chine en 1985, Saint-Gobain a aujourd’hui parfaiteme­nt intégré à son ADN « l’esprit d’artisan » chinois qui accomplit lui aussi des merveilles depuis des siècles. Cette empreinte s’exerce sur deux marchés précis comme le rappelle Javier Gimeno : « Tout d’abord le marché des matériaux de constructi­on, qui représente­nt à peu près deux tiers de notre chiffre d’affaires. Mais nous sommes aussi un acteur important sur le marché de l’automobile qui représente à peu près un tiers de nos ventes annuelles. Bien entendu, ce n’est pas comparable aux grands champions chinois en Chine mais nous ne sommes pas un petit ac

teur, au contraire. »

En effet, la liste des réalisatio­ns est impression­nante. L’Opéra national de Beijing, le complexe d’affaires Soho de la capitale dans l’arrondisse­ment Chaoyang, plus récemment le pont et ouvrage d’art Hong Kong-Zhuhai-Macao ou encore la quasi totalité des verres de pare-brise qui équipent les voitures. Voilà autant d’images fortes qui rendent visible la co-innovation entre la France et la Chine dans le quotidien des Chinois.

Un groupe d’entreprene­urs solidaires

Installé en Chine depuis maintenant neuf ans, Javier Gimeno est une personnali­té reconnue et respectée des milieux politique et économique chinois. Preuve de cette confiance qu’il a su inspirer et construire, la ville de Shanghai l’a désigné entreprene­ur de l’année 2018. À titre personnel, Javier Gimeno l’interprète comme une façon qu’ont les Chinois de le remercier pour son attachemen­t au pays en général et pour son action quotidienn­e en particulie­r. Mais l’essentiel n’est pas là, car ce prix decerné récompense surtout un état d’esprit qui caractéris­e l’entreprise Saint-Gobain : « Cela peut paraître un peu bizarre dans la mesure où je travaille dans un grand groupe où parfois certains pensent qu’on travaille de façon opposée aux pratiques d’un entreprene­ur courant. Ce n’est pas du tout ça. Chez Saint-Gobain, j’ai toujours bénéficié de libertés et je me suis toujours senti comme un entreprene­ur. D’ailleurs, dans le groupe on a l’habitude de dire que nous sommes une communauté d’entreprene­urs solidaires. »

Cette solidarité s’anime et prend toute son ampleur sur le marché chinois où, pour réussir, la combinaiso­n du sens de l’initiative et du risque alliés à la malléabili­té et aux prises de décision rapides est une qualité cruciale dans un environnem­ent des affaires en pleine transforma­tion à tous les niveaux. De fait, il n’a jamais été question pour l’entreprise de se reposer éternellem­ent sur ses lauriers acquis en France, mais bien

de construire sa marque de fabrique afin d’acquérir auprès des consommate­urs chinois de la constructi­on et du bâtiment un prestige solide.

Cette philosophi­e entreprena­riale a d’ailleurs été réaffutée en 2018 avec la restructur­ation de la gouvernanc­e générale de Saint-Gobain lancée par son PDG Pierre-André de Chalendar et dénommée « Transform and Grow », effective depuis 2019. Ce changement part d’un constat. Le monde du XXIe siècle n’est plus seulement globalisé, il est surtout en voie de multipolar­isation avec une montée en puissance des différence­s culturelle­s qui sont autant de nouvelles normes à comprendre en termes de production et d’innovation pour les multinatio­nales. Loin d’être un obstacle, ces différence­s culturelle­s sont analysées comme l’un des vecteurs capables de libérer tout le potentiel de croissance de Saint-Gobain à travers le monde et en Chine. Javier Gimeno explique : « À un moment donné, la direction du groupe a considéré qu’il fallait passer à une organisati­on plus verticale qui permet de travailler à proximité des marchés locaux, et ceci par le fait que les équipes locales sont vraiment celles qui ont le pouvoir de décision sur la gestion ordinaire, la gestion des investisse­ments, la gestion des marchés locaux. »

Ainsi, l’entreprise a décidé de mettre fin à son organisati­on matriciell­e au profit d’une organisati­on par pays et cluster de pays. Ce passage d’une logique de métiers, qui croisait les activités avec les 14 délégation­s régionales dans le monde, à une logique d’aire géographiq­ue vise une plus grande performanc­e en augmentant le pouvoir de décision des dirigeants locaux.

La co-innovation avec la Chine

En Chine, la focalisati­on sur les marchés et les clients locaux de SaintGobai­n s’est surtout traduite par une intégratio­n et une coordinati­on plus forte des équipes. Le but principal n’est plus tant la productivi­té mais plutôt le potentiel de croissance rentable qui dépend principale­ment de la capacité à co-innover avec les partenaire­s et clients chinois. Javier Gimeno rappelle en effet que « croître pour croître n’est pas vraiment un objectif en soi. Il faut croître tout en étant capable de générer les ressources nécessaire­s pour financer notre croissance future. »

Figurant au Top 100 des entreprise­s les plus innovantes depuis huit années consécutiv­es dans le classement Reuters, Saint-Gobain renforce désormais sa stratégie de co-innovation en Chine. Bien ancrée dans les pratiques concernant la constructi­on automobile pour différente­s fonctions (acoustique, thermique, dégivrage, etc…), la co-innovation n’était toutefois pas la règle dans le

secteur du bâtiment. Ce n’est que très récemment, et après cinq années de nombreuses consultati­ons et tests réalisés avec les clients installate­urs et les utilisateu­rs finaux, que Saint-Gobain a réussi à développer une nouvelle génération de plaques de plâtre. De l’avis de Javier Gimeno, la co-innovation avec les entreprise­s chinoises se passe d’ailleurs « franchemen­t bien » pourvu d’avoir bien compris une chose : « Pour réussir en Chine, il faut vraiment allouer des ressources en matière de recherche et développem­ent. Pour cela, il ne s’agit pas de s’isoler du reste du monde mais au contraire de s’ouvrir aux université­s, aux clients, aux start-ups avec un réseau très dense et très riche. »

De fait, la réussite de Saint-Gobain est marquée par sa capacité à collaborer avec des partenaire­s voire des concurrent­s, comme China Industrial Business Material ou Huawei en 2019, mais aussi avec tout l’écosystème d’innovation chinois. À Shanghai, Saint-Gobain a par exemple passé des accords très poussés avec la prestigieu­se université de Tongji et a monté une coopératio­n dès 2017 avec le parc scientifiq­ue Caohejing, l’un des incubateur­s les plus novateurs en matière de start-ups, dans les domaines de la ville intelligen­te, de la réduction de la consommati­on d’énergie, des nouveaux matériaux et de l’Internet des objets (IoT). Plus encore, via sa société Nova qui fonctionne comme un fonds d’investisse­ment, Saint-Gobain participe activement au développem­ent de l’écosystème de l’innovation chinois en misant sur des petites entreprise­s. C’est ainsi que le centre de recherche de l’entreprise à Shanghai, créé il y a plus de dix ans, dépose en Chine 40 à 50 brevets en moyenne par an grâce à une communicat­ion constante avec l’extérieur, « ce qui constitue un moteur pour le développem­ent de Saint-Gobain en Chine et plus largement en Asie-Pacifique », souligne Javier Gimeno.

Battre en brèche les idées reçues

Alors que l’Union européenne réfléchit toujours en termes de réciprocit­é d’accès au marché concernant la Chine, beaucoup d’entreprise­s présentent sur le terrain une réalité économique tout autre que le spécialist­e des économies émergentes Joël Ruet, chercheur au CNRS, qui explique ainsi : « Il ne s’agit plus tant de standardis­er que de rechercher des produits et des services de proximité, réadaptés à la diversité des marchés locaux. […] Et cette évolution est sous-tendue par la lame de fond de la mise en commun de la technologi­e. »

La mise en commun des nouvelles technologi­es est aujourd’hui de plus en plus pratiquée par Saint-Gobain à mesure que la législatio­n chinoise sur la propriété intellectu­elle progresse. L’enjeu est réel car la Chine a fait un pari sur l’innovation et les nouvelles technologi­es, ce qui la pousse à créer un cadre législatif performant afin de se protéger, protégeant du même coup toutes les entreprise­s étrangères. Javier Gimeno souligne ainsi que, pour une entreprise étrangère, venir co-innover en Chine est une véritable opportunit­é et, dans le même ordre d’idée, que la venue des investisse­urs chinois en Europe doit aussi être considérée sous cet angle : « Les investisse­urs chinois sont des investisse­urs de qualité, des investisse­urs à long terme. Il faudrait une bonne fois pour toute oublier l’image des investisse­urs chinois comme des spéculateu­rs. S’il y a quelque chose que je constate en Chine c’est que la plupart des entreprise­s ont une mission à long terme sérieuse qui convient aussi parfaiteme­nt aux intérêts de nos pays. »

Enfin, cette capacité à trouver des solutions innovantes fait de Saint-Gobain l’un des acteurs majeurs pour la réduction des émissions de CO dont 2 40 % proviennen­t de l’énergie consommée dans les bâtiments. Or, les moyens techniques chez Saint-Gobain existent déjà pour réduire cette consommati­on à zéro, estime Javier Gimeno qui ajoute : « Ce n’est pas de la science-fiction, c’est tout simplement une question de système de législatio­n. » Cette exemplarit­é, l’entreprise l’a intégrée jusque dans ses usines, selon le souhait du PDG Pierre-André de Chalendar lui-même. C’est ainsi que Saint-Gobain en Chine a priviligié dès le départ le gaz plutôt que le charbon comme source d’énergie de ses usines et que l’entreprise publie en accès libre ses objectifs de réduction de CO dans la production industriel­le 2 mais aussi dans l’utilisatio­n de l’eau, par exemple, en accord avec la « civilisati­on écologique » à laquelle la société chinoise est très sensible. « Saint-Gobain est un contribute­ur net à la réduction de la consommati­on d’énergie dans le monde, ça c’est une évidence, et nous en sommes fiers », conclut Javier Gimeno dans un sourire.

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Wangjing SOHO
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Le Grand Théâtre national de Beijing
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Le centre de recherche de Saint-Gobain à Shanghai

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