China Today (French)

Chen Zonglie : des photos pour immortalis­er l’histoire

- LI YUAN et GUO QING, membres de la rédaction

Au début de l’année 2019, nous avons rendu visite à Chen Zonglie, photograph­e qui a consacré sa carrière au Tibet. Maintenant âgé de 87 ans, Chen Zonglie, qui se rappelle nettement les scènes du passé, nous a raconté avec verve ce qu’il avait vécu là-bas.

Chen Zonglie a été photojourn­aliste pour Tibet Daily et la revue Beijing Re

view. Il est arrivé au Tibet dès 1956 et a passé 25 années dans cette région en altitude. Comme il nous l’a confié, il chérit toujours cette expérience qui lui a donné l’opportunit­é d’être un témoin de la réforme démocratiq­ue au Tibet. En tant que photograph­e, armé de son objectif, il a enregistré cette période historique importante et unique.

Ses premiers pas sur le plateau tibétain

En 1956, Chen Zonglie, 24 ans, partit pour Lhassa dans l’idée de s’installer là-bas et de contribuer à la constructi­on du Tibet. Néanmoins, il connaissai­t encore mal cette terre mystérieus­e.

« À l’époque, le Tibet était une terre vierge avec un régime féodal de servage. Alors que j’étais en route vers le Tibet, j’avais l’intention de m’investir dans la transforma­tion de la société tibétaine, une tâche glorieuse et ardue. La future réforme démocratiq­ue au Tibet allait s’inscrire dans la révolution de la démocratie nouvelle de la Chine. Je désirais m’installer à long terme dans cette région frontalièr­e pour apporter ma pierre à l’édificatio­n du Tibet et servir les travailleu­rs tibétains », se rappelle-t-il.

Chen Zonglie prit d’abord le train jusqu’à Xining (capitale du Qinghai), puis un véhicule pour rejoindre Lhassa via la route Qinghai-Tibet. Lui et une vingtaine d’autres personnes montèrent à l’arrière d’un camion Dodge. À l’origine, ce véhicule appartenai­t à l’armée américaine et était destiné à transporte­r des canons. Sans siège ni prise pour se tenir dans ce camion, qui empruntait en plus des chemins cahoteux, ils mirent 21 jours pour atteindre leur destinatio­n finale.

Une fois arrivé sur le plateau tibétain, tout semblait nouveau aux yeux de Chen Zonglie. Dans la rue, il pouvait croiser des habitants portant des vêtements des ethnies minoritair­es, des nobles suivis de serviteurs, des moines vêtus d’une kasaya... Il sortit son appareil et photograph­ia des scènes de la vie courante propres au plateau tibétain, à une époque où le Tibet était encore hors d’atteinte pour la plupart des gens.

Au fil de son reportage photo, Chen Zonglie se rendit compte, avec étonnement, de la profonde misère dans laquelle vivait le peuple tibétain. « Avant d’aller au Tibet, je m’étais renseigné sur certains aspects de la vie là-bas. Mais une fois sur place, la réalité m’a bouleversé. Ces habitants vivaient dans un dénuement total. On peut dire que le Tibet, en proie à d’épineux problèmes à l’époque, était la région la plus arriérée, la plus reculée et la plus pauvre au monde. »

À travers son objectif, Chen Zonglie prit des clichés de pasteurs habillés de guenilles vivant dans des conditions déplorable­s au nord du Tibet, de

langsheng (appellatio­n des esclaves) logeant sous les toilettes de nobles, d’un serf âgé inapte au travail et moribond qui avait trouvé refuge sous une tente...

En contraste, il photograph­ia également le dalaï-lama assis dans un palanquin donné par l’empereur Shunzhi des Qing (1644-1911), des nobles hautains, ainsi que des seigneurs menant une vie de luxe.

Chen Zonglie se disait au fond de luimême : « Le Tibet a besoin de réformes. Il doit changer ! »

Un mouvement abolitionn­iste retentissa­nt dans le monde

Après 1959, le thème des photos de Chen Zonglie évolua. Il riva son objectif sur les serfs émancipés, qui brûlaient les contrats de vente qui avaient fait d’eux des esclaves, des paysans heureux parce qu’ils venaient d’acquérir des terres et du bétail, le premier conducteur de tracteur au Tibet... Cette année-là, la réforme démocratiq­ue du Tibet a eu un fort écho dans le monde : le régime de servage, ancré depuis plus de 1 000 ans au Tibet, fut enfin aboli !

En 1951, le gouverneme­nt populaire central de la République populaire de Chine avait signé avec le gouverneme­nt local du Tibet l’Accord en 17 points sur la libération pacifique du Tibet. L’Armée populaire de Libération était stationnée au Tibet en vue de défendre les frontières. En 1959, le Tibet réprima une rébellion visant à diviser la patrie et mit en place la réforme démocratiq­ue.

Selon Chen Zonglie, cette réforme démocratiq­ue a adopté une politique distincte. Les terres et biens des nobles, des seigneurs et des propriétai­res des serfs qui avaient participé à cette rébellion furent confisqués et redistribu­és gratuiteme­nt aux serfs et esclaves ; quant à ceux qui n’y avaient pas pris part, qu’ils soient grands seigneurs ou simples propriétai­res de serfs, l’État racheta leurs terres et biens et leur confia un emploi.

« La répression de la rébellion et la réforme démocratiq­ue au Tibet, en

tant que mouvements visant à abolir le servage, ont eu des effets retentissa­nts dans le monde. Un tel mouvement abolitionn­iste a eu lieu partout sur le globe, aux États-Unis, en Europe et en Afrique, commente Chen Zonglie. L’esclavagis­me avait existé aussi en Chine dans les temps anciens, sous les dynasties des Xia (XXIe—XVIe av. J.-C.), des Shang (XVIe—XIe av. J.-C.) et des Zhou (XIe—221 av. J.-C.). Mais même à cette époque lointaine, les esclaves ne représenta­ient que 40 % de la population totale. Au Tibet, à l’époque moderne, les serfs et les esclaves représente­nt 95 % de la population tibétaine et le système de servage y a perduré pendant plus de 1 000 ans ! »

Pour Chen Zonglie, vivre et participer à ce grand tournant historique a été une expérience passionnan­te : « Avec le Parti et le peuple, ensemble, nous avons transformé le système social et j’ai le sentiment d’avoir accompli une glorieuse mission. J’ai été très chanceux et je reste profondéme­nt reconnaiss­ant d’avoir archivé cette grande période au travers de mes photos. »

Des photos retraçant une histoire sans pareille

Pendant 25 ans, de 1956 à 1980, Chen Zonglie arpenta tout le Tibet, à l’exception de la préfecture de Ngari. Il fut témoin des grands bouleverse­ments qui ont eu lieu au Tibet : l’abolition du régime de servage, la rébellion, la réforme démocratiq­ue, la Révolution culturelle, la 3e session plénière du XIe Comité central du Parti communiste chinois… De par ses clichés, il immortalis­a la transition historique entre le « vieux Tibet » et le « nouveau Tibet ».

Il compte à son actif entre 20 000 et 30 000 photos du Tibet, dressant le portrait de nobles, seigneurs, pasteurs, serfs, mendiants... Des visages tantôt misérables et indignés, tantôt éclatants et joyeux... Quand nous avons demandé à Chen Zonglie comment il qualifiera­it le genre de ses oeuvres, il a répondu : « Mes photos ne reflètent pas un style particulie­r et n’ont rien d’innovant. Je suis juste un photojourn­aliste de terrain. » Et d’ajouter : « Je ne suis pas prêt à sacrifier la réalité des faits au profit de l’art. » Un principe que lui dictèrent les photograph­es et révolution­naires de la génération précédente et qu’il s’était promis de suivre.

Zhai Fengjian, chercheur spécialisé dans le domaine culturel, est d’avis que les photograph­es profession­nels doivent faire preuve d’empathie et d’humanité à l’égard des sujets de leurs photos. « Nous pouvons voir que Chen Zonglie traite équitablem­ent tous les personnage­s qui se retrouvent devant son objectif, qu’il s’agisse de hauts dignitaire­s, de serfs ou de mendiants. Ces hommes et femmes incarnent toutes sortes de revendicat­ions... Le Tibet a toujours été diversifié, et n’a jamais été un paradis. Un melting pot où se mélangeaie­nt les civilisati­ons et cultures venant de l’arrière-pays et de l’extérieur du Tibet. Les croyances religieuse­s pieuses ne pouvaient pas apporter purificati­on de l’âme et affection de ce monde. Il y avait la souffrance, l’oppression et la révolte », a expliqué Zhai Fengjian. À travers ses photos, Chen Zonglie nous a présenté un Tibet appartenan­t au peuple, une contrée simple au passé chargé d’histoire.

En mars 2009, Chen Zonglie a fait don au Musée national de Chine de 100 oeuvres photograph­iques illustrant le Tibet. C’est la première fois que ce musée accueillai­t une collection spéciale consacrée au Tibet. Le musée a organisé une exposition des clichés du Tibet pris par Chen Zonglie entre 1959 et 1980. Sur le livre d’or installé dans la salle, un visiteur a commenté : « Les photos de Chen Zonglie ouvrent pour nous une fenêtre sur le passé du Tibet. Ces clichés reflétant l’histoire touchent directemen­t quiconque les contemple. »

 ??  ?? Chen Zonglie
Chen Zonglie
 ??  ?? Les serfs émancipés brûlent les contrats par lesquels ils se vendent.
Les serfs émancipés brûlent les contrats par lesquels ils se vendent.
 ??  ?? Une dame âgée sert du thé aux jeunes soldats venus aider à la moisson d’automne.
Une dame âgée sert du thé aux jeunes soldats venus aider à la moisson d’automne.
 ??  ?? Des serfs émancipés reçoivent du bétail.
Des serfs émancipés reçoivent du bétail.
 ??  ?? L’Armée populaire de libération stationnée dans la banlieue est de Lhassa prête main-forte aux habitants pour les récoltes automnales.
L’Armée populaire de libération stationnée dans la banlieue est de Lhassa prête main-forte aux habitants pour les récoltes automnales.
 ??  ?? Une femme tibétaine au volant d’une moissonneu­se-batteuse
Une femme tibétaine au volant d’une moissonneu­se-batteuse

Newspapers in French

Newspapers from Canada