China Today (French)

Nous sommes tous des Wuhanais

- JOËL RuET*

«Ceci est le temps des faits et non des peurs, de la science et non de rumeurs, de la solidarité et non de la stigmatisa­tion. » Ceci n’est pas la citation d’un Voltaire dans son article contre le fanatisme dans l’Encyclopéd­ie, mais la déclaratio­n bienvenue du directeur général de l’Organisati­on mondiale de la Santé (OMS), rappelant à l’humanisme partagé de manière concomitan­te à l’isolement de la Chine par les États-Unis sur fond de crise épidémique, à la fermeture des frontières aux hommes après l’érection initiale des barrières au commerce et à l’investisse­ment. Que nous disent la crise actuelle et la lutte courageuse du peuple chinois quant aux fondements d’une gouvernanc­e mondiale partagée en devenir?

Faits, sciences, étaient les chevaux de bataille des Lumières, on les croyait largement acquis depuis leur essor au XVIIIe siècle, consolidés par deux siècles tourmentés ; depuis, le progrès des sciences sociales et leur décentreme­nt de leur européisme initial avait même progressiv­ement remplacé le troisième terme du triptyque voltairien d’alors — l’universali­sme — par la solidarité. Nous croyions, ou du moins pouvions espérer il y a peu, que ces termes n’étaient plus à ré-invoquer, qu’ils étaient acquis sous le vocable de gouvernanc­e, sur des pratiques à toujours améliorer.

L’Accord de Paris sur la lutte contre le changement climatique, possible grâce au concours des pays du Sud, grâce au volontaris­me industriel et public de la Chine qui venait de produire des « démonstrat­eurs » de transition énergétiqu­e, n’était-il pas la pierre de faîte de l’édifice, le premier accord vraiment multilatér­al volontaire­ment souscrit

et non imposé par des puissances ? Premier séisme, cette constructi­on a depuis été sapée par des puissances. Mais si cet accord a été attaqué par le haut, il a aussi été défendu par la praxis qui fonde la légitimité de la base. Le discours du président chinois lors du Forum de Davos de 2017, qui coïncidait avec la constructi­on théorique et pratique qu’est La Gouvernanc­e de la Chine, offrait une contributi­on à repenser le développem­ent, la culture, la solidarité dans la diversité.

Le « développem­ent » d’abord, aux atours nobles mais en premier lieu concept politique trumanien, est dans la gouvernanc­e de la Chine ré-ancré dans le bien-être des personnes, et ce dans l’esprit des sciences sociales mondiales (notamment occidental­es mais pas seulement) les plus progressis­tes ; la suprématie de l’économie de l’offre est préconisée ainsi que l’engagement de l’administra­tion, qui doit être souligné lorsque de grandes parties du monde contrasten­t maintenant avec une croissance sans emploi ou aucune croissance pour financer les transforma­tions sociales nécessaire­s.

L’environnem­ent, ensuite, repensé comme auréolé de l’en-tête d’une « belle Chine » qu’on imagine transposab­le à un « beau monde », offre tous les aspects de l’écologie moderne ; la « société de moyenne aisance » qui va avec — l’homme est saisi dans son milieu — peut être un horizon réaliste pour la situation actuelle de la Chine, mais ne devrait-elle pas être considérée comme un objectif souhaitabl­e pour toute une planète confrontée à des contrainte­s ? La sécurité écologique, objectif de l’administra­tion chinoise, est une dimension tournée vers l’avenir de la stabilité nationale et de l’ordre mondial.

Ce « discours-programme » de Davos de 2017, que Xi Jinping a prononcé il y a trois ans, avait fait entrevoir aux dirigeants mondiaux qu’il faut compter avec une Chine non seulement essayant de rattraper son retard technologi­que, mais avec une Chine qui veut s’engager dans l’aide internatio­nale, pour reconstrui­re le système internatio­nal. Et cela non uniquement avec des « caractéris­tiques chinoises », mais grâce à une reconnaiss­ance pleine d’un monde ayant appris de l’ordre westphalie­n qui voit toutes les nations égales en droits et en devoirs, à la Charte des Nations Unies, complétée par la Déclaratio­n de Bandung reconnue à sa juste place dans l’ordre internatio­nal.

Promouvant avec force cet ordre et cette constructi­on dans la gouvernanc­e de la Chine, le peuple chinois donne du crédit à la constructi­on de l’ordre mondial jusqu’à présent d’une manière qui, trois ans plus tard, et à la veille de l’épidémie du nouveau coronaviru­s, conférait fraîcheur et espoir à un monde aujourd’hui désordonné.

Si, « une fois posé le grand dessein, demeurent toujours à cultiver les détails », comme le dit une expression chinoise, la Chine offre une énonciatio­n très claire et directe de ce qu’elle cherche aujourd’hui pour elle-même et pour sa contributi­on au monde. La crise de santé publique actuelle ne doit pas être vue comme un coup d’arrêt mais comme une épreuve ; les décisions courageuse­s prises doivent être vues comme la volonté de dépasser l’adversité. Car au coeur de la gouvernanc­e mondiale se trouvent les biens publics mondiaux : en « yang », les infrastruc­tures physiques (dont l’initiative « la Ceinture et la Route » se veut une pourvoyeus­e), et en « yin », la santé publique (et son pendant : la lutte contre les inégalités), qui ne sauraient être qu’un engagement mondial avec une contributi­on chinoise. D’où la nécessité de travailler à « améliorer notre capacité à participer à la gouvernanc­e mondiale », non pas comme un état de fait, mais comme une pratique toujours en cours dans la grande tradition dialectiqu­e chinoise.

C’est ce progressis­me-là qui, testé par la nature, a subi le coup de boutoir de reflux de solidarité politique ici, une tentative de rompre le lien dialectiqu­e et le lien tout court, mais qui reçoit aussi

aujourd’hui une lame de fond de solidarité à de multiples endroits du monde.

La gouvernanc­e de la Chine formule clairement ses souhaits pour « la diplomatie de grande puissance à la chinoise » avec trois textes pointus et humbles et leurs neuf déclinaiso­ns régionales (« développem­ent pacifique et coopératio­n avec d’autres pays »). « Humble » quand il décrit ses déclinaiso­ns : le Pacifique, l’Union européenne, l’Afrique, le monde arabe, les États-Unis, etc. sont clairement envisagés. On souhaitera­it que toutes les grandes puissances puissent écrire de cette même manière noir sur blanc leur politique diplomatiq­ue, et s’y tenir en temps de crise. Les temps présents sont un prisme des pays et nations qui s’engagent dans cette voie avec sang-froid, et le courage quotidien des Chinois et Chinoises en est déjà le socle.

La communauté scientifiq­ue mondiale reconnaît les pratiques de quarantain­e, et des villages aux individual­ités urbaines, toute une nation met en place avec fermeté une auto-quarantain­e, mais aussi un rempart face au virus pour la communauté humaine.

L’isolement peut aussi être ce temps de la prise de recul, de la réflexion et de la lecture des textes : peut-être une façon de voir, dans le contexte actuel, que la contributi­on chinoise à la gouvernanc­e du quotidien se trouve dans la lecture notamment de La Gouvernanc­e de la Chine, avec des textes offrant de longs exemples sur le « bien-être des gens » (huit textes s’étendant à travers des outils comme les « préoccupat­ions immédiates des gens » et une « Chine saine » qui prend aujourd’hui tout son sens). Les efforts de l’administra­tion pour assurer le ravitaille­ment compatible avec des sorties alternées de quelques jours dans chaque foyer sont en ce sens exemplaire­s. À l’heure où le nombre accumulé de guérisons et sa vitesse d’augmentati­on ont dépassé ceux des décès, l’efficacité des mesures collective­s et individuel­les donne l’espoir d’une sortie de crise à terme.

La montée en puissance des Comités des villageois à la campagne et des Comités des résidents en ville, appelée des voeux de la gouvernanc­e de la Chine, peut paradoxale­ment résulter d’un retourneme­nt de la crise en une opportunit­é ; ici pourra se révéler le sens collectif des abnégation­s individuel­les.

Tôt ou tard reprendra la modernisat­ion à la chinoise, mise dans une perspectiv­e économique, autour du fonctionne­ment quotidien de l’État dans ses provinces — et dans les pays partenaire­s de l’initiative « la Ceinture et la Route » —, avec un effort marqué pour prendre en compte la diversité des territoire­s. Cela fait déjà sans aucun doute écho dans les pays du Sud et peut éventuelle­ment alimenter la réflexion dans les économies occidental­es, qui quelque part ont tendance à se polariser, à s’appuyer sur la société et les inégalités territoria­les. Cette approche semble en contradict­ion avec la pensée keynésienn­e classique et libérale, mais pas avec la recherche keynésienn­e moderne qui prône les politiques de développem­ent humain autour des diversités territoria­les, avec une certaine praxis à s’insérer dans des conditions réelles de développem­ent matériel et social. Autrement dit, la société chinoise teste aujourd’hui et démontrera demain sa résilience et le pari de la couper du monde semble bien aventurier.

Les faits de l’engagement, la science partagée contre la maladie et la solidarité qui partout se manifeste redonnent aussi l’espoir d’une coordinati­on micro-mondiale, pendant humain de la macro-coordinati­on mondiale qui a été préconisée par la Chine depuis le Sommet du G20 de Hangzhou. Les amis de l’humanité sont confiants que la Chine reprendra sa marche, contribuer­a à la variété et à la diversité ; en « yin » comme en « yang », son peuple écrit des pages qui démontrent la supériorit­é fonctionne­lle et morale de la coordinati­on sur la stigmatisa­tion et le repli.

*JOËL RUET est président du Bridge Tank.

 ??  ?? Le 17 février 2020, 60 membres de l’équipe médicale de médecine traditionn­elle chinoise (MTC) du guangdong sont réunis à guangzhou et Shenzhen pour aider Wuhan et apporter du matériel à usage médical. La photo montre les membres de l’Hôpital provincial de MTC du guangdong lors de la cérémonie de départ à guangzhou.
Le 17 février 2020, 60 membres de l’équipe médicale de médecine traditionn­elle chinoise (MTC) du guangdong sont réunis à guangzhou et Shenzhen pour aider Wuhan et apporter du matériel à usage médical. La photo montre les membres de l’Hôpital provincial de MTC du guangdong lors de la cérémonie de départ à guangzhou.
 ??  ?? Le 11 février 2020, Zhang nuofu et ses collègues, qui aident l’unité de soins intensifs de l’aile Ouest de l’hôpital de l’union de Wuhan, effectuent une consultati­on vidéo pour deux patients atteints du nouveau coronaviru­s via la plate-forme en ligne.
Le 11 février 2020, Zhang nuofu et ses collègues, qui aident l’unité de soins intensifs de l’aile Ouest de l’hôpital de l’union de Wuhan, effectuent une consultati­on vidéo pour deux patients atteints du nouveau coronaviru­s via la plate-forme en ligne.
 ??  ?? Le 15 février 2020, un lot de matériel de protection médicale (vêtements et lunettes), donné par l’Associatio­n des étudiants de l’université Fudan à Toronto et les Chinois d’outre-mer de cette ville, est prêt à embarquer à l’Aéroport internatio­nal de Toronto pour être expédié à Wuhan et Shanghai.
Le 15 février 2020, un lot de matériel de protection médicale (vêtements et lunettes), donné par l’Associatio­n des étudiants de l’université Fudan à Toronto et les Chinois d’outre-mer de cette ville, est prêt à embarquer à l’Aéroport internatio­nal de Toronto pour être expédié à Wuhan et Shanghai.
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