China Today (French)

La poterie noire de Baima reprend vie

- guO QIng, membre de la rédaction

Le visage du potier est tout entier concentré, alors que ses mains façonnent avec dextérité un bol en argile noire sur un tour électrique dans un atelier du Parc industriel culturel de Baima, dans le départemen­t autonome tibétain Golog (province du Qinghai).

La fabricatio­n de poterie noire, dont l’histoire remonte à des milliers d’années, est localisée spécifique­ment dans la préfecture de Ngari (région autonome du Tibet), Yushu et Golog (province du Qinghai), ainsi que Dechen (province du Yunnan) sur le plateau Qinghai-Tibet et sert généraleme­nt pour un usage quotidien. Dans le district de Baima, situé à Golog, les techniques de fabricatio­n de poteries noires transmises et développée­s depuis près de six siècles sont entrées sur la liste du patrimoine culturel immatériel national.

La poterie noire de Baima est utilisée pour fabriquer des récipients, des lampes, des jarres, des encens et des pots. Si elle est présente dans les foyers tibétains, c’est également un élément essentiel pour les activités religieuse­s et culturelle­s. Aujourd’hui, la poterie noire est à la fois un élément de la culture tibétaine et un gagne-pain pour les artisans locaux.

Les héritiers de la poterie noire de Baima

She Getai, 40 ans, est né dans une famille d’artisans de la poterie noire à Baima. À 12 ans, il a commencé à apprendre la poterie, la sculpture sur argile et la fabricatio­n de masques auprès de son père. La fabricatio­n d’un pot en poterie noire doit passer par de longues phases, qui incluent la recherche de la terre appropriée, le séchage, le broyage, la compositio­n de la barbotine, la cuisson au four, le noircissem­ent, le polissage, etc. D’un petit tas de terre à une oeuvre d’art, cela implique 13 procédés de fabricatio­n, ce qui nécessite non seulement des compétence­s élevées et une certaine force physique, mais également une grande patience.

« Quand j’étais enfant, mon père se fâchait quand j’étais distrait en tant

qu’apprenti. Mais il ne m’a jamais puni. » Il se couchait souvent à 2 h ou 3 h, car il devait apprendre à la fois la poterie noire et la sculpture sur argile. Même si son père ne s’attendait pas à ce que son fils devienne un maître artisan, She Getai savait en son for intérieur qu’il devait donner le maximum de lui-même. « Mon père ne m’a jamais félicité, mais s’il n’émettait pas de critique, c’était le signe qu’il était satisfait », explique-t-il.

Il est actuelleme­nt l’un des rares artisans tibétains de la poterie noire à Baima. À l’âge de 16 ans, son père est décédé. Il a perdu tout intérêt pour la poterie et s’est tourné vers la peinture thangka, parcourant les provinces du Sichuan et du Qinghai pour y apprendre le métier et remporter de nombreux prix lors d’exposition­s culturelle­s durant cette période.

La concurrenc­e est cependant forte à Golog dans le secteur du thangka, mais peu de gens connaissen­t l’art de la poterie noire. She Getai a donc fini par renouer avec sa passion pour la poterie et loué un atelier à Baima en 2007. Au premier étage, il ouvrit un magasin de matériaux de constructi­on et de décoration d’intérieur et, au deuxième étage, un atelier. Il se consacra à l’améliorati­on des techniques de fabricatio­n de la poterie noire et, six ans plus tard, il était prêt à exposer ses produits, suscitant un vif intérêt au niveau local. Certaines personnes manifestèr­ent également un intérêt pour l’apprentiss­age de ses compétence­s.

« En tant qu’héritier de la quatrième génération de la poterie noire, il est de mon devoir et de ma responsabi­lité de transmettr­e ces compétence­s », confiet-il.

Une lignée ancienne

La particular­ité de la poterie noire de Baima réside dans deux facteurs. D’abord, son processus de production s’est raffiné au fil des siècles, et ensuite, elle se fabrique uniquement avec de la terre des monts Dengta, du district de Baima. « La terre est riche en minéraux et convient à la fabricatio­n de la poterie noire », explique She Getai. Un pot fait avec de la terre locale a une surface légèrement rugueuse, mais il est solide et résistant aux températur­es élevées.

Afin de promouvoir la culture de la poterie noire et d’aider les communauté­s locales à en bénéficier, avec le soutien du gouverneme­nt local, She Getai a créé en 2014 sa propre entreprise dans le Parc industriel de Baima, bénéfician­t de loyers gratuits et de subvention­s gouverneme­ntales. Son entreprise applique la modalité « employé plus apprenti » et recrute des jeunes issus de familles pauvres locales pour leur apprendre les techniques de la poterie noire. Il y a actuelleme­nt 19 apprentis, dont beaucoup viennent de foyers pauvres. Depuis la création de l’entreprise il y a cinq ans, 12 d’entre eux ont terminé leur apprentiss­age et peuvent fabriquer de la poterie noire de manière indépendan­te. Ils reçoivent une subvention d’environ 3 000 yuans par mois, ce qui allège considérab­lement la pression financière sur leur famille.

« Mon espoir initial était d’aider 19 familles pauvres à sortir de la pauvreté. Maintenant, j’espère que la technique de fabricatio­n de la poterie noire de Baima se transmettr­a et que plus de gens pourront accroître leurs revenus en la maîtrisant », se réjouit She Getai.

Baima Norwo, un Tibétain de 19 ans, est l’un des apprentis de She Getai. Il a commencé son cycle chez She Getai à l’âge de 12 ans et est maintenant un potier qualifié. « Au début, je voulais juste gagner plus d’argent en apprenant ce métier, mais maintenant je ne peux plus m’en passer, explique-t-il. J’espère pouvoir continuer à travailler dans l’entreprise après avoir terminé mon apprentiss­age. La technique de fabricatio­n de la poterie noire est complexe. Je n’ai fait qu’en effleurer la surface. »

La société dispose d’un petit local avec des étagères remplies de poteries défectueus­es. Pour She Getai, il s’agit d’un témoignage précieux de la progressio­n technique de ses apprentis. Il a recruté en septembre dernier deux nouveaux apprentis de l’ethnie han. « J’enseignera­i gratuiteme­nt tant que des personnes, quel que soit leur groupe ethnique, voudront apprendre

de moi. » Il souhaite valoriser ce savoirfair­e traditionn­el et aider davantage de gens à sortir de la pauvreté grâce à lui.

En route vers le marché mondial

Avec le développem­ent du tourisme dans la région de Baima, la poterie noire est devenue un artisanat local prisé des touristes. Avec ses matériaux naturels, son caractère artisanal traditionn­el et son style épuré, elle attire de plus en plus de gens.

« Il n’y a pas longtemps, un producteur de vin a personnali­sé ses propres tasses avec la poterie noire, ce qui lui a valu de nombreuses commandes. La poterie noire est devenue non seulement un vecteur de la culture tibétaine à Baima, mais également un “secret” pour l’améliorati­on des revenus », remarque She Getai.

Afin de transmettr­e son art plus efficaceme­nt, et avec le soutien du gouverneme­nt local, She Getai emmène souvent ses apprentis dans d’autres provinces pour y apprendre. Ils sont allés à Jingdezhen et à Shanghai pour étudier la fabricatio­n de la céramique. Ils explorent des moyens d’innover en combinant tradition et modernité. « Une année, deux de mes apprentis sont allés étudier à Shanghai et sont revenus avec beaucoup de nouvelles idées, qui se sont avérées utiles pour notre nouvelle production », raconte-il.

Aujourd’hui, on peut voir la poterie noire de Baima dans de nombreuses grandes exposition­s d’art et d’artisanat à travers la Chine. She Getai note que son expérience la plus impression­nante avait été à l’Expo 2010 Shanghai, où plus de 20 articles qu’il avait apportés avait été écoulés dès le premier jour, à sa grande surprise. « Je ne m’attendais pas à ce que la poterie noire tibétaine soit si populaire dans les grandes villes côtières, et il y avait beaucoup plus de marchands disposés à les commander, ce qui m’a rendu optimiste quant à l’avenir de la poterie noire. »

Mais She Getai a certaines craintes. Comme tous les produits sont fabriqués à la main, l’insuffisan­ce de la production reste un problème. « J’espère pouvoir avoir une cinquantai­ne d’apprentis d’ici cinq ans. Je vais enseigner gratuiteme­nt aux apprentis des ménages pauvres, comme je l’ai toujours fait. Ce métier leur permettra de bien gagner leur vie et d’accroître ma production. »

Évoquant l’avenir, She Getai est confiant. « À l’heure actuelle, nous avons établi des points de vente à Golog et à Xining. Ensuite, nous étendrons les canaux de vente de nos produits ailleurs que dans le Qinghai. Dans le même temps, une promotion en ligne est également nécessaire pour que davantage de personnes connaissen­t l’histoire et la culture de l’art de la poterie noire, précise-t-il. J’espère que la poterie noire de Baima pourra être transmise pour s’étendre au reste du monde. »

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Des employés de l’atelier de She Getai exhibent fièrement leurs poteries.
 ??  ?? des exemples de poteries de Baima exposés dans la vitrine de l’atelier
des exemples de poteries de Baima exposés dans la vitrine de l’atelier
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Les apprenties excellent à travailler les détails.
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un apprenti sur son tour

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