Rencontre avec la Chine : échanges et amitié
Philippe Herman Dequesne, peintre belge qui vit et travaille à Paris, est né à Bruxelles en 1954 dans une famille qui aime l’art. Après avoir obtenu son diplôme d’architecture, il a travaillé pendant quinze ans dans une agence d’architecture jusqu’en 1996 où il arrête son activité pour ne plus faire que de la peinture, à laquelle il s’adonne depuis son plus jeune âge et qu’il n’a jamais cessé d’apprendre et de pratiquer.
Il y a plus de trente ans, il rencontre Rémy Aron, célèbre peintre français et chevalier des Arts et des Lettres, et en deviendra l’élève. Aujourd’hui, il crée des natures mortes, des paysages, des intérieurs et des marines dans un style qui lui est propre. Depuis plus de vingt ans, il expose son travail en France, en Belgique, aux États-Unis et maintenant en Chine.
En août dernier, il a fait une exposition solo à l’Académie Hongluo (l’Escargot Rouge) situé dans un village de la banlieue de Beijing, à l’invitation de Zhou Jianpeng, jeune peintre chinois et initiateur du village d’art Ruoxi et de l’Académie de campagne Nanxi, situés tous les deux dans sa province natale du Zhejiang, et de l’Académie Hongluo à Beijing. Zhou Jianpeng souhaite revitaliser la campagne par l’implantation de l’art.
C’était une semaine pleine de souvenirs inoubliables pour M. Dequesne, mais ce n’est pas la première fois qu’il va en Chine. Depuis 2018, il a déjà séjourné à Wenzhou et à Suzhou, deux villes du sud-est de la Chine, à chaque fois deux semaines, dans le cadre de deux événements de peinture sur nature et d’échanges entre les artistes chinois et français.
Le voyage en Chine modifie profondément sa vision du monde et par là même agit sur sa création artistique. « Depuis mon retour (à Paris), j’essaie de continuer à peindre ce que je vois mais aussi un peu comme mes amis chinois avec un petit peu de poésie », dit-il à La Chine au présent.
Wenzhou : rencontre avec les artistes chinois et les habitants locaux
En mai 2018, M. Dequesne arrive pour la première fois en Chine, à Wenzhou, lieu de naissance de la poésie paysagère chinoise, dans le cadre de l’événement « Peinture et Nature : Paris-Wenzhou » qui a rassemblé neuf artistes chinois et neuf artistes français, réunis par Zhou Jianpeng et Rémy Aron, ce dernier est président de l’Association française des Arts plastiques (l’AFAP).
À Wenzhou, l’une des grandes villes de la province du Zhejiang qui dispose d’une économie développée et de riches ressources naturelles et culturelles, les artistes des deux pays ont passé ensemble deux semaines bien remplies : exposition thématique, colloque académique et peinture sur nature dans la ville, la campagne et les sites touristiques locaux tels que les montagnes Yandang.
« À Wenzhou, j’ai eu la chance de pouvoir participer à une rencontre entre artistes chinois et français sur le thème de la peinture de paysage, des monts et des eaux. Il n’était pas possible pour les uns de peindre comme les autres, mais plutôt d’échanger en gardant la spécificité de chacun, dans le dialogue, le partage et l’amitié », dit M. Dequesne à La Chine au présent.
Pendant leur séjour, les artistes ont été hébergés au « village d’art Ruoxi », qui a été aménagé sur la base de Shangrichuan, village natal de Zhou Jianpeng lequel espère apporter un nouvel élan de développement à la campagne par l’introduction de l’art. Dans ce petit village entouré de montagnes et traversé par la rivière Ruoxi, les artistes sortent le jour peindre dans les champs, potagers et tout autour du village et le soir, avec les villageois, ils chantent, dansent et communiquent dans une atmosphère détendue.
« Je suis très heureux d’avoir partagé pendant un bref instant la vie de ce village où j’ai rencontré des habitants très sympathiques. Nous avons bénéficié d’un accueil chaleureux de la part de nos hôtes mais aussi de l’ensemble des villageois qui ont fait preuve d’une hospitalité exceptionnelle. À tel point que nous sommes devenus résidents d’honneur du village d’art Ruoxi », raconte M. Dequesne,
Un voyage riche d’enseignement qui a abouti à la création de nombreuses oeuvres exposées à l’« Exposition d’artistes sino-français et peinture sur nature à Wenzhou » ouverte le 4 avril à l’Hôtel de ville de Versailles, mettant un point final parfait à ces échanges inaugurés en février 2018.
Néanmoins, les échanges entre les artistes sont loin d’être terminés.
Suzhou : « La ville me rappelle Bruges en Belgique, ma terre natale. »
M. Dequesne est revenu en Chine en juin 2019, à Suzhou, dans le Jiangsu, surnommée le « paradis terrestre » et connue pour ses jardins traditionnels, dans le cadre d’un autre événement intitulé « I Paint Suzhou » réunissant huit peintres chinois et huit peintres français dont Pierre Le Cacheux, président par intérim de l’AFAP, Jean
Daniel Bouvard, Clémentine Odier et aussi Philippe H. Dequesne qui avaient tous participé à l’événement de Wenzhou, il y a un an.
D’après Thierry Liu, secrétaire général de l’AFAP et gestionnaire de la Galerie Francis Barlier de Paris qui a travaillé comme responsable dans l’organisation des artistes occidentaux et interprète en chef au cours de ces deux événements de Wenzhou et de Suzhou, le dernier événement a été organisé suivant le même modèle que le précédent, « mais à chaque fois il y a quelque chose de nouveau ».
« J’ai fait un séjour au Pavillon de France dans la ville historique de Suzhou... avec un groupe de peintres partis de France à la rencontre de peintres chinois, avec l’objectif de peindre sur le motif dans les jardins traditionnels, dans les rues de la ville et aux bords des canaux », se rappelle M. Dequesne.
Comme les autres artistes occidentaux, M. Dequesne a été très impressionné par la bonne préservation de l’ancienne cité de Suzhou qui lui rappelle Bruges en Belgique, sa terre natale, qui sont toutes les deux bâties de pierre et de brique sur l’eau : « On dit de Bruges que c’est la Venise du Nord... et on pourrait ajouter que Venise est la Suzhou de l’Italie ! ».
Au-delà de la splendeur des canaux, le plus impressionnant pour lui était la proportion paysagère des jardins traditionnels, « ils paraissent immenses alors qu’ils sont construits parfois sur de toutes petites parcelles ». Selon lui, venir peindre ces jardins conçus avec un soin raffiné de l’esprit et façonné par la philosophie, c’est essayer de comprendre ce rapport de proportion : « Peinture et philosophie ont bien pour sujet fondamental l’interprétation du monde », fait-il remarquer.
Au bout de dix jours d’échanges et de création, 39 oeuvres réalisées par les artistes des deux parties ont été exposées à Suzhou, permettant aux citoyens locaux de redécouvrir leur ville au bout des pinceaux des artistes venant de loin. À cette occasion, M. Dequesne a fait la donation d’un de ses tableaux à la ville de Suzhou qui a réveillé chez lui une certaine nostalgie.
Beijing : exposition solo et amitié avec un enfant
Aux yeux de Zhou Jianpeng, les oeuvres de M. Dequesne présentent un style tout en « simplicité » qu’il admire beaucoup : « La peinture de Philippe est très simple ; c’est souvent la relation entre quelques blocs de couleurs, coupés minutieusement par des formes géométriques. » « Un style extrêmement simple mais très riche en même temps que j’aime beaucoup », Thierry Liu partage la même opinion. Selon M. Zhou, la simplicité artistique est cohérente avec celle de sa manière de vivre : « Philippe mène une vie très simple qui n’a presque rien d’autre chose que la peinture, à part les concours hippiques auxquels il va le weekend. » M. Dequesne le reconnaît lui-même volontiers : « Je partage mon temps entre la peinture et les chevaux qui m’apportent une part d’humilité et de ruralité nécessaire dans cette vie urbaine. »
En août dernier, sur l’invitation de M. Zhou, M. Dequesne a fait une exposition solo à l’Académie Hongluo situé dans le village Luzhuang au district de Huairou, dans la banlieue de Beijing. Une expérience qui lui a permis, entre autres, de voyager dans une ville du nord de la Chine, découvrant des paysages différents de ceux des régions du sud qu’il avait visitées.
Il aime beaucoup le Temple Hongluo, un temple millénaire situé tout près du village Luzhuang : « Le Temple Hongluo enveloppe le visiteur dans un espace sacré, et toute le calme de la montagne Hongluo autour est impressionnant avec la douceur de ses sentiers à l’ombre des bois sous la chaleur de l’été, et en même temps si proche du centre-ville de Beijing ».
Par ailleurs, il a visité la Cité interdite « surprenante par son gigantisme et son architecture qui défie les siècles d’histoire », la Grande Muraille devant laquelle « l’émotion est bien évidemment totale », le Temple du Ciel, le quartier « 798 » des galeries d’art, le lac Yanqi, etc, accompagné, entre autres, par un enfant chinois de sept ans qui s’appelle Liangzi.
« Cet enfant est très attentif et curieux de toutes choses en général et en particulier de celles de l’art. Il manifestait son désir d’apprendre à peindre et il m’a beaucoup observé. »
Malgré la barrière linguistique, M. Dequesne s’entend bien avec cet enfant qui est venu passer quelques jours à l’Académie avec sa mère lors des vacances d’été. Ils ont passé ensemble beaucoup de moments joyeux.
« Je n’oublierai pas la fois où je les ai accompagnés, lui et mes hôtes, à une partie de pêche où nous avons
fait tellement de bruit dans la nuit que seulement un tout petit poisson s’est laissé attraper pour le grand plaisir de Liangzi. Nous nous sommes promis d’y retourner et de faire mieux la prochaine fois », se rappelle M. Dequesne.
Avant son départ, M. Dequesne a peint spécialement un tableau représentant le Temple Hongluo pour l’offrir à Liangzi comme souvenir, tandis que celui-ci lui a offert, avec sa mère, un coffret de pinceaux comme cadeau.
« Je veux vraiment apprendre un peu le français pour aller à Paris, voir Philippe et sa jument noire », dit Liangzi dans un article écrit par sa mère racontant cette expérience avec M. Dequesne.
Chine : formidable opportunité pour l’avenir de la peinture dans le monde
Pour M. Dequesne, le voyage en Chine lui a permis de mieux connaître l’Empire du Milieu dans son ensemble et surtout son développement artistique.
« C’est une chance inouïe de venir dans ce pays raffiné et de pouvoir échanger avec des gens qui croient en l’art comme un moyen de développement par la culture. » Il est ravi d’avoir rencontré des amateurs d’art, qu’ils soient praticiens comme les peintres, les calligraphes ou collectionneurs amateurs, ou encore tout simplement curieux, « parce qu’en Chine le peuple aime les belles choses de l’art ».
Selon lui, la Chine est une formidable opportunité pour l’avenir de la peinture dans le monde. « Dans une Chine à la croissance fulgurante, j’ai rencontré des peintres qui cultivent l’héritage millénaire, qu’ils étudient, fidèles à ce qui fait depuis toujours leur identité. » Il lui semble qu’aujourd’hui en Chine, on a la possibilité de continuer à avoir un enseignement classique, à copier d’après les anciens. « Les maîtres sont respectés. On peut dessiner d’après nature, on peint d’après modèle, on peint des portraits et des paysages sur le motif », une tradition que l’Occident perd au profit de ce qu’on appelle « l’art contemporain », selon M. Dequesne. « Cette situation est désolante », soupire-t-il.
Sensibiliser à cette situation en Occident, c’est aussi l’objectif poursuivi en organisant des séjours de peinture sur nature en Chine, selon M. Zhou.
Il dit que c’est un avis partagé aussi par Rémy Aron. Les artistes chinois et occidentaux ont besoin de trouver des espaces possibles de liberté artistique et c’est pourquoi on organise de tels échanges transculturels pour, entre autres, revaloriser la tradition de peindre sur le motif.
Une forme d’échanges applaudie par les artistes participants, tant chinois qu’occidentaux, comme ce qu’en dit M. Dequesne sur le séjour à Wenzhou : « Nous travaillons de concert dans le même souci de cultiver l’esthétique par la contemplation de la circulation lumineuse qui anime le spectacle du monde. C’est par des échanges de ce type que les peintres (les peuples) se rassemblent dans la paix. »
Quant aux villes et régions chinoises qu’il voudrait visiter la prochaine fois, M. Dequesne dit qu’il y a tellement de belles destinations à découvrir en Chine, que « lorsque je reviendrai, je voudrais d’abord revoir mes amis chinois et je leur demanderai conseil pour m’orienter ! J’aimerais aussi rencontrer des cavaliers, pour les dessiner... »