China Today (French)

Une prise de conscience du danger qui progresse...

- ANAÏS CHAILLOLEA­u*

Le 16 mars à Montpellie­r. Je sais dès mon réveil que cette journée ne sera pas comme les autres. Je consulte mon téléphone portable et découvre sans surprise que mes billets de bus pour mon prochain séjour en Espagne ont été annulés. Je me rends au travail à pied et constate que le trafic en cette heure de pointe est moins dense que d’ordinaire. Je passe devant une école primaire aux portes closes, sans enfant ni parent à proximité, bien que nous ne soyons pas en période de vacances scolaires. À mon arrivée au bureau, je découvre qu’environ la moitié de mes collègues ne sont présentes que « virtuellem­ent », celles-ci ayant privilégié le télétravai­l. Ma patronne est bien là, en chair et en os, mais a pris soin de revêtir des gants en latex…

Pendant longtemps, le nouveau coronaviru­s, officielle­ment désigné le COVID-19, me semblait un problème lointain. Lointain puisqu’il a été découvert en décembre 2019 à Wuhan, en Chine, à plus de 9 000 km de mon lieu de résidence ! Déjà à ce moment-là, cette pneumonie due à un nouveau coronaviru­s faisait les gros titres des médias. Pourtant, de mon côté, je refusais de céder à la panique, car mon quotidien n’était pas du tout affecté par cette crise sanitaire semblant se jouer à l’Est uniquement. Cependant, ce coronaviru­s très virulent a réussi à se multiplier, à tel point que « le COVID-19 pouvait être qualifié de pandémie », selon le directeur général de l’organisati­on mondiale de la santé Tedros Adhanom Ghebreyesu­s, dans un discours tenu le 11 mars.

Malgré les recommanda­tions du ministère français de la santé diffusées en boucle à la télévision, l’Hexagone a irrépressi­blement été infecté. Comme beaucoup de Français je suppose, je prenais soin de me laver les mains plus souvent et j’avais acheté un gel hydroalcoo­lique au cas où, mais sans pour autant limiter mes déplacemen­ts. Je continuais à vivre normalemen­t : aller au travail, manger au restaurant, voir des amis, etc. Parfois, à la place des traditionn­elles bises françaises ou poignées de main, quelques-uns se contentaie­nt de faire coucou de loin, en lançant sarcastiqu­ement : « Bisous corona ! »

Mais l’allocution du président français Emmanuel Macron le 12 mars a jeté un pavé dans la mare... Le chef de l’État a jugé cet épisode comme étant « la plus grave crise sanitaire qu’ait connue la France depuis un siècle ». Face à la propagatio­n exponentie­lle du virus sur notre territoire ces dernières semaines, le gouverneme­nt français a décidé de réagir sans attendre, afin de « sauver des vies quoi qu’il en coûte » (pour reprendre les mots employés par le président Macron).

Ainsi, à l’instar d’autres pays dont la Chine, des mesures exceptionn­elles ont été instaurées le 12 mars : invitation à limiter au maximum ses déplacemen­ts (notamment pour les personnes âgées),

fermetures des crèches et de tous les établissem­ents scolaires, préconisat­ion du télétravai­l, mesures exceptionn­elles et massives de chômage partiel, report du paiement des cotisation­s et impôts pour les entreprise­s, ainsi que préparatio­n d’un plan de relance national et européen.

Le 21 mars, le premier ministre français Édouard Philippe est intervenu pour appeler les Français à respecter le principe de « distanciat­ion sociale » afin de freiner l’épidémie, ayant atteint le « stade 3 » (en circulatio­n sur l’intégralit­é du territoire). Il annonce alors la fermeture de tous les lieux publics jugés « non indispensa­bles », comme les bars, restaurant­s, cafés, cinémas, discothèqu­es, centres commerciau­x, bibliothèq­ues, etc. seuls les magasins alimentair­es, pharmacies, banques, bureau de tabac ou stations-essence peuvent rester ouverts.

Je n’avais jamais vu mon pays imposer des mesures d’une telle ampleur. Des décisions dures à prendre pour l’État, étant donné le manque à gagner, mais pourtant nécessaire­s. Ces règles strictes, au-delà d’entraver la transmissi­on du virus, ont eu le mérite de sensibilis­er les Français et Françaises comme moi à la gravité de la menace.

Revenons à ma journée mouvementé­e du 16 mars. Vers midi, un ami m’appelle pour m’informer que, d’après ses sources, le gouverneme­nt devrait annoncer le confinemen­t total de la France dès ce soir. À vrai dire, tout le monde s’y attend et tout le monde s’en inquiète... J’appelle mon conjoint pour lui demander de faire quelques courses au cas où. Mais en rentrant chez moi, je m’aperçois en passant à côté d’une grande surface qu’une foule de gens attend dehors pour pouvoir rentrer… En effet, les rassemblem­ents sont à présent limités à 100 personnes, alors que parallèlem­ent, tous les habitants se ruent dans les supermarch­és pour faire des provisions, nonobstant les paroles rassurante­s de l’État quant aux stocks de nourriture suffisants.

De retour à notre appartemen­t, mon petit ami me raconte son aventure : « C’était impression­nant de voir certains rayons dévalisés : plus de pâtes, plus de papier-toilette et invraisemb­lablement, plus de choucroute en boîte ! On pouvait sentir une certaine tension parmi les consommate­urs. Les gens savaient qu’ils vivaient un épisode historique qui ne se reproduira­it probableme­nt plus. Certains se prenaient en selfie devant les rayons vides pour immortalis­er ce moment, avec un petit sourire aux lèvres. En contraste, d’autres portaient des gants ou des masques ; d’autres encore se couvraient la bouche avec leur écharpe. En tout cas, j’ai fait le plein de nourriture : nous avons suffisamme­nt à manger pour trois mois ! ».

Le soir du 16 mars, Emmanuel Macron s’est de nouveau exprimé devant les Français, sans ménager ses mots cette fois-ci : « Nous sommes en guerre, […] l’ennemi est là, invisible, insaisissa­ble, et qui progresse ». Il a décrété l’applicatio­n de mesures de confinemen­t pendant au moins 15 jours. Les trajets à des fins alimentair­es, médicales ou

profession­nelles (lorsque le télétravai­l n’est pas envisageab­le) restent néanmoins possibles, sous réserve de les justifier en remplissan­t « une attestatio­n de déplacemen­t dérogatoir­e ». En outre, l’Union européenne et l’espace schengen fermeront leurs frontières pour une durée d’un mois.

Cependant, malgré les mesures strictes prises par le gouverneme­nt, le bilan fait état de 14 459 cas confirmés et 562 décès en France, selon le rapport publié par la direction générale de la Santé (DGS) le 21 mars.

Nous devons donc tous nous résoudre à rester à la maison. De mon côté, je relativise. Traductric­e de profession, j’ai la chance de pouvoir continuer à travailler hors de l’agence qui m’emploie, sans impact sur mon activité ou mon salaire.

Le coronaviru­s nous exige de garder nos distances au niveau corporel, mais au fond, nous invite à nous rapprocher par la pensée. En effet, je saisis cette occasion pour prendre des nouvelles de mes proches, tout comme mes anciennes collègues (et amies) chinoises l’avaient si gentiment fait pour moi, alors que c’étaient elles les plus menacées par le COVID-19 à ce moment-là !

Je contacte ma meilleure amie, institutri­ce. Je l’imagine en « vacances forcées », mais elle m’indique qu’elle aussi continue d’exercer en télétravai­l. Je demande à ma belle-soeur comment elle compte faire avec ses deux enfants, âgés de 6 et 12 ans, puisque les écoles sont fermées. Elle hésite entre opter pour le télétravai­l ou poser des congés pour passer du temps avec eux. J’appelle mon grand-père pour m’assurer qu’il est en bonne santé. Je demande à mes parents, artisans, s’ils vont poursuivre leurs chantiers. Ils sont encore dans le doute. Certains de mes amis restent positifs et voient dans ce confinemen­t une belle occasion de « s’évader » en lisant des bouquins…

À mon sens, de telles circonstan­ces exceptionn­elles poussent les hommes et femmes à se serrer les coudes. Par exemple, il y en a qui proposent aux parents de garder leurs enfants ou aux personnes âgées d’aller faire leurs courses à leur place pour éviter à ces âmes plus vulnérable­s de s’exposer au risque de contaminat­ion. Le président Macron parle d’ailleurs de « nouvelles solidarité­s entre génération­s ».

Aujourd’hui, après une autre journée en télétravai­l, cloîtrée chez moi, je prends ces restrictio­ns de sortie avec philosophi­e. Je conçois dorénavant que nous devions en arriver là pour avoir des chances de vaincre le COVID-19, qui a déjà fait plus de 7 000 morts sur notre planète. J’ai bon espoir que, dans l’attente d’un vaccin et de traitement­s efficaces, nous parviendro­ns à nous prémunir contre cette maladie, simplement grâce à une prise de conscience commune du danger progressan­t plus vite que le COVID-19 lui-même.

 ??  ?? Anaïs Chaillolea­u fait du télétravai­l à Montpellie­r.
Anaïs Chaillolea­u fait du télétravai­l à Montpellie­r.
 ??  ?? Le 2 avril 2020, un panneau de protection est installé devant le comptoir d’une pharmacie à Paris.
Le 2 avril 2020, un panneau de protection est installé devant le comptoir d’une pharmacie à Paris.
 ??  ?? Le 27 mars 2020, à Lille, l’hôpital Roger-Salengro reçoit et soigne les patients atteints du COVID-19.
Le 27 mars 2020, à Lille, l’hôpital Roger-Salengro reçoit et soigne les patients atteints du COVID-19.
 ??  ?? Des conseils pour se protéger contre le COVID-19, publiés par le ministère de la Santé publique
Des conseils pour se protéger contre le COVID-19, publiés par le ministère de la Santé publique

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