China Today (French)

Xavier Richet : un professeur français amoureux de la Chine

- WANG WEI*

Deux jours avant le confinemen­t et la fermeture de toutes les université­s en France, le professeur Xavier Richet m’a envoyé un courriel, dans lequel il me racontait que sa femme, sa fille, son beau-fils et lui s’étaient réunis pour passer un moment en famille au cimetière du Père-Lachaise, qu’il estimait être un « lieu sûr » à Paris. Sur la photo qu’il m’avait transmise en pièce jointe, l’on constate que tous les quatre portent un masque, en ce beau jour de printemps ensoleillé, agrémenté d’une douce brise. Une scène à première vue harmonieus­e et paisible. Pourtant, il m’a fait remarquer dans son courriel que la situation épidémique de Paris allait en s’aggravant. Dans ce contexte, sa famille avait fait des provisions, en attendant sagement de voir comment évoluerait l’épidémie.

Avant de prendre sa retraite, Xavier Richet était professeur à l’université Sorbonne Nouvelle – Paris III et titulaire de la Chaire Jean Monet. Chercheur français renommé sur la thématique de la transition économique, il a assumé les fonctions de conseiller économique pour nombre de pays d’Europe orientale dans les années 1980-1990. Par ailleurs, il est venu en Chine en 1990 pour y enseigner sur une courte période. À cette occasion, il s’est rapproché de la Chine et a élargi ses horizons. Ces 20 dernières années, il s’est consacré à ses recherches sur le développem­ent des entreprise­s chinoises et est devenu un expert français de grand renom sur les sujets de la réforme des entreprise­s chinoises, des mécanismes qu’elles mettent en place et du développem­ent innovant qu’elles suivent.

La rencontre

C’est en 1995 que j’ai fait la connaissan­ce du professeur Richet, par l’intermédia­ire de l’un de ses étudiants. Cette année-là, il était venu en Chine pour nouer des nouvelles coopératio­ns scientifiq­ues, avec le soutien du Centre national de la recherche scientifiq­ue (CNRs) et de l’ambassade de France en Chine. sans plus attendre, il a établi une coopératio­n avec mon unité de travail, l’Institut d’économie et de politique mondiales relevant de l’Académie des sciences sociales de Chine. Une coopératio­n qui a perduré plus de 20 ans. sur cette base, il a encore promu la coopératio­n sino-française, sinoeuropé­enne et sino-européo-indienne dans le monde de la recherche. En parallèle, à plusieurs reprises, des université­s chinoises l’ont invité à donner des conférence­s (par exemple, l’université Sun Yat-sen, l’université Jiaotong de Shanghai et l’université de Wuhan).

Né en 1945, le professeur Richet a obtenu son diplôme de doctorat à l’université Paris I Panthéon-sorbonne à l’âge de 28 ans. Il a exercé comme professeur dans beaucoup d’université­s françaises réputées, à savoir l’uni

versité Lumière Lyon II et l’université Paris Nanterre (Paris X). Dans les premières années, il s’est intéressé à la transforma­tion et la réforme des pays post-socialiste­s, et par la suite, il a effectué des recherches sur la transition des entreprise­s en Russie et dans les pays d’Europe orientale. Après quoi, il a tourné son regard vers la Chine, puis vers les pays émergents et du BRICS. Actuelleme­nt, il mène une étude sur les entreprise­s dans le cadre de l’initiative chinoise « la Ceinture et la Route ».

Vers la fin des années 1990, le professeur Richet et moi-même avons collaboré sur la thématique « Comment s’inspirer des expérience­s européenne­s au cours de la réforme des entreprise­s chinoises ». Pour cette raison, nous avons visité une multitude d’entreprise­s chinoises et françaises prestigieu­ses, telles que Citroën, Renault, France Télécom, EDF, FAW-Volkswagen, Dongfeng-Citroën et China Unicom. En outre, d’une part, je l’ai accompagné, aux côtés d’autres chercheurs européens, lors de ses rencontres avec des fonctionna­ires et experts issus d’organismes chinois, notamment l’ancienne Commission nationale de planificat­ion (aujourd’hui la Commission nationale du développem­ent et de la réforme), le Centre de recherches du Conseil des affaires d’État sur le développem­ent, l’Académie des sciences sociales de Chine et le ministère des sciences et des Technologi­es. D’autre part, il a présenté et accompagné les chercheurs chinois lors de leur visite dans des administra­tions, université­s et instituts de recherche français, dont la Commission nationale de planificat­ion, le ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, l’Insee, le CEPII, sciences Po et l’Institut des sciences humaines et sociales. Cette série de visites nous ont permis de bien cerner les politiques d’ouverture des marchés en France et dans l’UE, ainsi que le processus de réforme que suivaient leurs entreprise­s. Le professeur Richet nous a également expliqué en détail les changement­s intervenus dans les politiques françaises ainsi que le phénomène de privatisat­ion des entreprise­s publiques françaises qui avaient résulté de l’intégratio­n des marchés européens.

Je me rappelle qu’une fois, à FAWVolkswa­gen, nous avons vu l’annonce « Huitième programme de mise à dispositio­n de logements pour les employés ». Aussitôt, il a pris une photo, en déclarant que cette image serait une preuve historique rare témoignant de la transition qu’allaient entreprend­re les firmes chinoises dans les prochaines années. Suite à la crise financière de 1997, un grand nombre d’entreprise­s privées dans les provinces chinoises du Zhejiang et du Guangdong se sont empêtrées dans une situation difficile. À l’époque, le professeur Richet avait réfuté les nombreuses critiques entendues sur le modèle des entreprise­s familiales chinoises, indiquant que ces dernières étaient pleines d’abnégation et plus durables, en prenant pour exemple le développem­ent de telles entreprise­s familiales en Italie. Il a incité la Chine à persévérer dans ses objectifs, à mettre en oeuvre la réforme, à se perfection­ner et avoir confiance dans l’avenir. Résultat : il avait raison.

L’amitié

En dépit de son vaste savoir, le professeur Richet est un homme modeste, qui sait peser ses mots sans pour autant manquer d’humour. Ce qui m’a particuliè­rement touchée chez lui, c’est son caractère tolérant et compatissa­nt, ainsi que son respect des différente­s cultures. C’est pourquoi il s’entend toujours bien avec les chercheurs avec lesquels il collabore sur des thèmes internatio­naux. Il écoute patiemment les opinions de tous ses collaborat­eurs, même s’il s’agit d’un jeune chercheur ou d’un auditeur libre, sans les critiquer ouvertemen­t. s’il présente des idées différente­s, il les formule toujours sur le ton de la consultati­on, prend des notes de son côté lors de la discussion sur les grandes lignes d’un projet de recherche, et respecte en tous temps ses collaborat­eurs lorsqu’il révise les articles coécrits. Pour les chercheurs chinois qui atterrisse­nt à Paris pour la première fois, chaque fois il vient les accueillir à l’aéroport pour s’assurer qu’ils ne rencontren­t pas le moindre incident dû à leur méconnaiss­ance de la capitale française.

Je suis vraiment chanceuse d’avoir fait la rencontre d’un tel partenaire dans le cadre de la coopératio­n internatio­nale en matière de recherche. Selon moi, sa gentilless­e est attribuabl­e à son humeur débonnaire et à ses multiples expérience­s à l’étranger. Il ne cesse de mener des recherches sur de nouveaux thèmes, en portant son attention sur les pays en voie de développem­ent. Il compte une foule d’étudiants en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Grâce

à sa vision internatio­nale, son humilité, sa passion pour l’enseigneme­nt et sa curiosité insatiable, il a établi des liens d’amitié durables avec ses étudiants et ses collaborat­eurs.

En plus de 20 ans de coopératio­n, par l’intermédia­ire de Xavier Richet, j’ai eu l’opportunit­é de rencontrer beaucoup de chercheurs parisiens et européens, ainsi que ses étudiants du monde entier, dans son appartemen­t situé au Quartier Latin de Paris (dont la fenêtre du salon donne vue au loin sur Notre-Dame de Paris, sur la rive opposée de la seine). Certains d’entre eux sont devenus nos collaborat­eurs communs, et certains sont restés des amis avec lesquels je maintiens le contact jusqu’à aujourd’hui.

Le professeur Richet est également connu sous son nom chinois, Li Guowei. C’est moi qui lui ai proposé ce nom. Comme sa fille Daphné a choisi de s’appeler Li Daying en chinois, je lui ai suggéré d’utiliser le même nom de famille. Quant au prénom Guowei, je l’ai sélectionn­é pour deux raisons : premièreme­nt, le prénom français Xavier est difficile à retranscri­re en chinois ; deuxièmeme­nt, il me fait penser à un grand maître de la culture chinoise, Wang Guowei.

Les retrouvail­les après l’épidémie de COVID-19

L’épouse du professeur Richet est franco-britanniqu­e et a passé son enfance à Paris, où travaillai­t son père, diplomate. Puis, c’est à l’université qu’elle a rencontré son futur mari, avant de devenir pour sa part une célèbre historienn­e. Avant de partir à la retraite, elle était vice-présidente de l’université de Versailles.

Leur fille a commencé à apprendre le chinois au collège, sous l’influence de son père. Par la suite, elle est partie en Chine dans le cadre d’échanges universita­ires et parle aujourd’hui le chinois couramment. Après avoir obtenu sa maîtrise à l’université London school of Economics and Political science (LsE), elle a occupé un poste à la délégation de l’Union européenne en Chine. Actuelleme­nt, elle travaille dans une illustre multinatio­nale française, faisant souvent la navette entre Paris et shanghai. De plus, côté personnel, elle s’est mariée avec un artiste chinois.

Issus de la classe moyenne, le professeur Richet et son épouse font partie d’une génération d’élites européenne­s qui a grandi dans un environnem­ent paisible, typique de l’après-guerre. Ils étaient passionnés de musique et fans des Beatles étant jeunes. Le professeur Richet m’avait décrit de façon vivante et expressive les jeunes enthousias­tes vis-à-vis de la Chine qu’il avait vus brandir le « petit livre rouge » sur les Champs-Élysées en 1968. Un jour aussi, il a conduit ma fille devant l’Hôtel de Ville de Paris pour qu’elle puisse admirer, en restant assise sur le trottoir, le passage d’un convoi diplomatiq­ue et la police montée à cheval. À une autre occasion, le couple Richet m’a invitée à participer à la grande fête annuelle de l’Humanité, pour que je voie par moi-même le potentiel de la gauche européenne moderne. Le climat de démocratie et d’esprit logique qui régnait au sein de leur foyer me rendait aussi admiratif qu’envieux.

À la fin de l’automne dernier, le professeur Richet était de nouveau de passage à Beijing pour y enseigner. 2020 marque le 30e anniversai­re de sa première venue en Chine. Fin mars, à l’heure où j’écris cet article, le COVID-19 a pris de court le monde entier. Face aux cas de contaminat­ion en constante augmentati­on à l’en croire les statistiqu­es mondiales, comme beaucoup de gens, je suis très inquiète et peinée. Je reste en contact étroit avec le couple Richet. Au début, c’étaient eux qui se faisaient du souci pour moi et la Chine ; mais à présent, c’est l’inverse.

Le professeur Richet garde son calme et se veut optimiste, se contentant de faire des remarques et des critiques rationnell­es. Il est d’avis que nous pouvons vaincre l’épidémie et que bientôt, tout rentrera dans l’ordre. Je lui fais confiance et j’attends avec impatience que nous nous retrouvion­s, lui et sa femme, à Beijing dès l’automne prochain.

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Le professeur Xavier Richet (2e à dr.) dans une photo de groupe avec l’auteure (1re à dr.) lors d’une visite d’étude à Guangzhou en 1998
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 ??  ?? En 2015, l’auteure pose avec le professeur Xavier Richet après une rencontre au Maroc.
En 2015, l’auteure pose avec le professeur Xavier Richet après une rencontre au Maroc.
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Xavier Richet aime beaucoup les hutong de Beijing. Chaque fois qu’il se rend en Chine, il séjourne dans un hôtel près de Nanluoguxi­ang. La photo le montre en 2008 avec un collègue à Houhai, à Beijing.

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