China Today (French)

Jean-François Huchet : la Chine vue par le directeur de Langues O’

- WANG WEI*

Jean-François Huchet, directeur de l’Institut national des langues et civilisati­ons orientales (Inalco), est un vieil ami à moi. Il y a plus de 30 ans, il a commencé à étudier en Chine par hasard et depuis, il s’est consacré à la recherche dans le domaine de l’économie chinoise, devenant au fil du temps un spécialist­e français reconnu en la matière.

Périple oriental

À l’été 1987, Jean-François Huchet venait de terminer ses études à l’Université de Rennes 1. Depuis la Bretagne (France), il attendait une réponse de l’État à sa candidatur­e pour aller étudier en Amérique latine. Ayant obtenu d’excellente­s notes, parlant espagnol presque aussi couramment que le français et connaissan­t bien l’histoire de l’Amérique latine, il pensait obtenir une réponse positive. Cependant, l’appel téléphoniq­ue qu’il a reçu l’a étonné : une occasion d’étudier en Chine se présentait, lui a-t-on dit. Serait-il intéressé ? Jusqu’alors, la Chine n’était jamais apparue dans son plan de vie. Le jeune homme a réfléchi intensémen­t : devait-il poursuivre dans la direction qu’il s’était fixée ou explorer l’inconnu ? Finalement, porté par son jeune âge, par son esprit français aventureux, ainsi que par sa curiosité vis-à-vis d’un pays oriental ancien et mystérieux, il a accepté avec engouement l’idée d’étudier en Chine.

Très vite, M. Huchet a été fasciné par le dynamisme de la Chine et sa croissance rapide dans les années 1980. Après avoir passé un an à apprendre le chinois, il est entré à l’Université de Pékin pour continuer à perfection­ner sa maîtrise de la langue, tout en préparant sa thèse de doctorat. Contrairem­ent à la plupart des étudiants étrangers qui s’adonnaient à la culture chinoise, le jeune Français a donné sa préférence à l’économie chinoise, d’autant plus que ses cours se concentrai­ent sur l’économie. Il s’est déclaré très heureux de pouvoir témoigner des changement­s prodigieux de la Chine. Le sujet de sa thèse de doctorat s’est porté sur le niveau industriel de ce pays. Jean-François Huchet a étudié le développem­ent de l’industrie électroniq­ue chinoise en prenant deux points de départ : un, le marché de la montre électroniq­ue et de l’usinage de magnétosco­pes ; deux, la politique industriel­le, l’ouverture du marché, le transfert de technologi­e et le progrès technologi­que. Il a mené des recherches sérieuses, étape par étape.

En 1989, nous avons fait connaissan­ce via l’un de ses camarades à l’Université de Pékin. Lors de notre première rencontre, il était déjà en mesure de se présenter de manière claire, bien qu’il n’ait étudié le chinois qu’un peu plus

d’un an. Il maîtrisait alors parfaiteme­nt l’anglais, l’espagnol et l’italien (et puis le chinois plus tard) ; aujourd’hui il parle également le japonais et l’allemand. Un tel talent linguistiq­ue constitue un énorme avantage pour un savant qui s’implique dans les recherches liées à l’économie internatio­nale et à la coopératio­n mondiale.

Parcours de recherche

Après quatre ans d’études en Chine, Jean-François Huchet est rentré en Bretagne, fort d’un niveau de chinois courant ainsi que de connaissan­ces accumulées et d’expérience­s personnell­es en rapport avec l’économie chinoise. Travaillan­t comme maître de conférence­s dans une université, il a rédigé dans le même temps sa thèse de doctorat sur le transfert de technologi­e et le progrès technologi­que dans l’industrie électroniq­ue chinoise. En 1993, il a obtenu un doctorat en économie à l’Université de Rennes 1. Par la suite, il est retourné en Asie après avoir été admis pour des études postdoctor­ales à la Maison franco-japonaise, institut de recherche du Centre national de la recherche scientifiq­ue (CNRS) situé à Tokyo. Pendant son séjour de trois ans dans la capitale japonaise, il a continué à s’intéresser aux recherches académique­s sur l’économie chinoise. Il se rendait souvent de Tokyo à Beijing en avion, pour rencontrer des amis et discuter de collaborat­ions.

Au cours de cette période, il m’a confié deux choses importante­s à son sujet. Premièreme­nt, il a choisi de nouveaux caractères pour son nom chinois (passant de 于西 à 余曦), tout en gardant la prononciat­ion originelle « Yu Xi » (homonyme de son nom de famille français). Cette nouvelle écriture lui semblait plus éduquée et il avait déjà appris à écrire ces deux caractères compliqués. Deuxièmeme­nt, il a envisagé de coopérer avec des chercheurs chinois pour s’engager dans des projets de recherche en coopératio­n internatio­nale. Ainsi, en 1994, notre premier article collaborat­if intitulé « La réforme fiscale de la Chine » a été publié dans la revue Perspectiv­es chinoises relevant du Centre d’études français sur la Chine contempora­ine (CEFC). En 1997, il a commencé à travailler à Hong Kong en tant que chercheur après avoir été recruté par le CEFC. Figurant au nombre des 27 centres de recherche créés par le gouverneme­nt français dans le monde, le CEFC est considéré comme l’institutio­n académique française de référence en ce qui concerne l’étude de la Chine.

Dès lors, Jean-François Huchet s’est fréquemmen­t rendu, avec d’autres chercheurs européens, dans des institutio­ns académique­s telles que l’Académie chinoise des sciences sociales (ACSS) et l’Université de Pékin, pour planifier un projet sur cette question : comment l’élaboratio­n du système d’entreprise en Chine peutelle prendre pour modèle l’expérience européenne ? À travers ce projet, des chercheurs chinois ont reçu l’opportunit­é d’étudier l’évolution des entreprise­s en Europe, ainsi que d’étudier avec des chercheurs européens intéressés par les entreprise­s chinoises, et de communique­r et de discuter avec eux à ce sujet.

Soutenu et financé par de nombreuses parties, entre autres, l’ACSS, le CEFC, l’ambassade de France en Chine et la délégation de l’UE en Chine, le groupe chargé du projet est composé d’experts venant de plusieurs pays de l’UE dont la France, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie, ainsi que de savants venant de nombreuses institutio­ns chinoises telles que l’ACSS, le Centre de recherche sur le développem­ent relevant du Conseil des affaires d’État, le ministère des Sciences et de la Technologi­e, l’Université Sun Yat-sen et l’Université de Wuhan. En deux ans, les chercheurs du CEFC ont visité des dizaines d’entreprise­s ayant différente­s formes juridiques (entreprise d’État, entreprise privée, entreprise à capitaux mixtes et entreprise à capitaux étrangers), dans des régions diverses (Sichuan, Jilin, Hubei, Zhejiang, Guangdong et Shanghai), et dans de multiples secteurs industriel­s (automobile, électroniq­ue, textile et high-tech). Au début de l’année 1999, le groupe chargé du projet a organisé, à l’Université de Hong Kong, un séminaire réunissant de nombreux savants renommés, sur le thème « Leçons européenne­s sur la restructur­ation des entreprise­s chinoises » (European Lessons on China Enterprise Restructur­ing). Ce fut l’un des grands séminaires internatio­naux – peu nombreux à cette époque – qui sont penchés sur le développem­ent industriel et la microécono­mie.

Dans la foulée, Jean-François Huchet a poursuivi avec diligence ses études académique­s. Il a planifié une série de projets de recherche en coopératio­n internatio­nale sur les entreprise­s chinoises ainsi que sur la comparaiso­n

entre les entreprise­s chinoises et les entreprise­s indiennes dans les conditions de la mondialisa­tion et d’ouverture du marché. Citons, entre autres, « La réforme des entreprise­s d’État chinoises » (Chinese State-Owned Enterprise­s Reform), « L’émergence des groupes d’entreprise­s et la réforme des entreprise­s d’État en Chine » (The Emergence of Corporate groups in PR of China and reform of State enterprise­s), « Les politiques industriel­les et la réforme des entreprise­s d’État : une étude comparativ­e entre la Chine et l’Inde » (Industrial Policies and reform of National firms: A Comparativ­e Study between China and India) et « L’ouverture de marchés dans les pays en voie de développem­ent et son impact sur les entreprise­s d’État : une étude comparativ­e entre la Chine et l’Inde » (Opening Markets in Developing Countries and its impact on National Firms: A Comparativ­e Study between China and India). Ces projets ont établi son statut d’expert en matière d’entreprise­s en Chine et même en Asie.

Ce qui mérite d’être noté, c’est qu’à ce moment, il n’y avait pas beaucoup d’échanges et de coopératio­n entre les chercheurs chinois et indiens, en particulie­r dans le domaine de la recherche économique. Et ce, bien que les deux pays soient voisins. Pendant les années 2006-2011, qu’il a passées en tant que directeur du CEFC, M. Huchet a réuni, à plusieurs reprises, des chercheurs chinois, indiens et européens pour réaliser des enquêtes et des recherches sur les entreprise­s et pour organiser des séminaires. En plus des résultats de recherche, ces projets ont permis de créer une amitié entre les chercheurs chinois et leurs homologues indiens, et de développer une meilleure compréhens­ion mutuelle ainsi qu’une plus grande coopératio­n.

Après avoir quitté ses fonctions de directeur du CEFC, Jean-François

Huchet a tourné son regard vers le monde. En plus d’être devenu professeur à l’Inalco, il a donné des cours et mené des recherches dans de nombreuses écoles supérieure­s célèbres en Europe occidental­e et en Amérique du Nord. Après avoir été successive­ment professeur associé, professeur et directeur adjoint à l’Inalco, il est devenu, au mois d’avril 2019, directeur de cette université de recherche en langue et culture, renommée en Europe et considérée comme l’un des centres formateurs des diplomates français. Membre du système éducatif public français destiné à former des élites, l’Inalco a pour mission de faire connaître la France au monde, de promouvoir le français et de renforcer les échanges culturels. De plus, elle fait partie des université­s françaises ayant noué les échanges les plus étroits avec les écoles supérieure­s chinoises.

Un homme qui a su rester simple

Dans la vie quotidienn­e, Jean-François Huchet est une personne conciliant­e, joviale et pleine d’humour, qui dévoile de temps en temps une nature enfantine. Au téléphone, il m’appelle « jiemenr » (copine) en dialecte de Beijing. N’ayant pas peur de manger épicé, il apprécie beaucoup la cuisine du Sichuan ; il sait d’ailleurs dans quels restaurant­s pékinois aller pour savourer la cuisine du Sichuan la plus authentiqu­e. Malgré son statut de directeur d’université, il préfère se déplacer en métro, tant à Paris qu’à Beijing.

Au mois de mars 2019, l’Université chinoise de Hong Kong a invité M. Huchet à donner une conférence publique sur le développem­ent économique de la Chine. J’ai assisté à cet évènement, qui s’est tenu à la Bibliothèq­ue centrale de Hong Kong, à Causeway Bay. À la fin de la conférence, il a employé une comparaiso­n : l’économie chinoise ressemble à un éléphant à vélo, qui n’aura pas de problème tant qu’il ne s’arrêtera pas ; mais il est impossible de maintenir éternellem­ent la haute vitesse qui est la sienne, alors il est important de renforcer le vélo, en ralentissa­nt pour réaliser un atterrissa­ge en douceur. Un an plus tard, me voici à rédiger cet article, tandis que l’économie mondiale est presque stagnante à cause du COVID-19 ; tout ce qu’il a dit semble donc particuliè­rement signifiant.

Ma dernière rencontre avec M. Huchet remonte à octobre 2019. Pendant le premier semestre d’automne après sa prise de fonction en tant que directeur de l’Inalco, il s’est rendu dans la capitale chinoise, avec le directeur adjoint de l’Inalco, ce dernier étant chargé de la coopératio­n internatio­nale à Beijing. Au cours de leur séjour de trois jours, ils ont visité de nombreuses écoles supérieure­s et instituts de recherche. Jean-François Huchet s’est exprimé en toute franchise avec ses amis, anciens et nouveaux, décrivant une belle perspectiv­e en matière de coopératio­n. *WANG WEI est chercheuse adjointe de l’Institut de recherche d’économie et de politique mondiales de l’Académie chinoise des sciences sociales.

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Premier séjour de Jean-François Huchet (à g.) à Beijing, en 1987
 ??  ?? En 1998, Jean-François Huchet et l’auteure de l’article (à dr.) visitent le groupe Changhong dans le Sichuan.
En 1998, Jean-François Huchet et l’auteure de l’article (à dr.) visitent le groupe Changhong dans le Sichuan.
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En 2019, Jean-François Huchet visite l’Académie chinoise des sciences sociales (ACSS).

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