China Today (French)

La France et la Chine ont une vision commune de leur partenaria­t post-pandémique

- JEAN-PIERRE RAFFARIN*

Il me semble intéressan­t d’anticiper la sortie de la crise du COVID-19 et de se pencher sur l’état du monde post-pandémique, de même que sur le futur de la coopératio­n franco-chinoise. Trois points méritent d’être développés, mais auparavant et en guise de ligne directrice pour cette réflexion, je dirais qu’il faut perpétuer « l’esprit de Gaulle » dans nos relations. Lorsque Charles de Gaulle établit un dialogue diplomatiq­ue entre la France et la Chine en 1964, l’idée sous-jacente est que la Chine est une grande civilisati­on et que le peuple chinois est un grand peuple qui comptera pour l’avenir du monde. Les présidents qui lui ont succédé ont toujours gardé cette idée en tête, et notamment Jacques Chirac, que j’ai eu l’honneur de servir.

Cet état d’esprit doit nous guider pour surmonter nos divergence­s, comme celles concernant l’organisati­on de nos sociétés respective­s. Parce que oui, il y a des divergence­s, mais il ne faut pas oublier les convergenc­es de nos intérêts nationaux et collectifs à propos de l’organisati­on du monde.

Nous avons déjà atteint un haut niveau de partenaria­t stratégiqu­e : la lutte contre le changement climatique a démontré de manière éclatante que nous partageons une vision du monde et des stratégies pour y parvenir. Un accord multilatér­al à ce sujet n’aurait pas été possible sans la Chine.

Se poser la question de la coopératio­n franco-chinoise post-pandémique, c’est se poser la question : postpandém­ique ou post-élections américaine­s ? En effet, le climat internatio­nal actuel n’est pas exempt de nervosité. Nous devons espérer que les choses s’améliorero­nt entre la Chine et les États-Unis au sortir des élections américaine­s, mais il faut anticiper que les tensions perdurent. Le point de départ est une guerre commercial­e et technologi­que, avec les pressions sur Huawei. Cependant, la question est devenue politique. La situation a des relents de guerre froide, de par certaines opérations de propagande. Celles-ci rappellent les affirmatio­ns de l’administra­tion Bush au sujet des armes de destructio­n massive et des preuves contre Saddam Hussein.

Ceci nous amène au premier point de la coopératio­n franco-chinoise post-pandémique : la recherche d’une gouvernanc­e mondiale qui mette tout le monde autour de la table. Les pays qui se prononcent en faveur du multilatér­alisme – dont la France et la Chine font partie – doivent oeuvrer à éviter le bourbier d’une nouvelle guerre froide.

Évitons de nous enfermer dans des relations conflictue­lles qui affaibliss­ent la gouvernanc­e mondiale. Les États-Unis ont coupé leur financemen­t à l’OMS (Organisati­on mondiale de la santé) et nous avions connu un problème similaire lorsqu’ils s’étaient retirés de l’UNESCO. Dans ce climat général de tension, l’Accord de Paris sur le climat et celui concernant l’Iran ont aussi été remis en cause. Nous assistons à une déconstruc­tion du multilatér­alisme. Or nous avons tous besoin d’organisati­ons multilatér­ales, et nous avons besoin des grandes puissances pour discuter de la gouvernanc­e mondiale.

Deuxième point à soulever : nos deux pays partagent une vision de ce que peut être un partenaria­t commun à l’avenir. En effet, ils sont très attachés à la fois à leur souveraine­té nationale et à la coopératio­n internatio­nale. Notre ligne commune est de

Les pays qui se prononcent en faveur du multilatér­alisme – dont la France et la Chine font partie – doivent oeuvrer à éviter le bourbier d’une nouvelle guerre froide.

mêler la souveraine­té et la coopératio­n, et non pas de choisir l’une ou l’autre.

D’une part, la crise du COVID-19 a révélé que nous avions des impératifs de souveraine­té à renforcer. Les Français se sont rendu compte que leur production nationale de médicament­s était faible. Ainsi, le paracétamo­l est produit en Chine et pourrait être indisponib­le en cas de crise. Nous avions déjà mené cette réflexion au sujet d’un certain nombre de secteurs-clés. Je me souviens que le président français a reçu à l’automne 2017 les administra­teurs du Forum de Boao pour l’Asie et leur a signifié ses objectifs de souveraine­té. Pour des secteurs comme la santé et l’agroalimen­taire, des relocalisa­tions sont nécessaire­s. Nous devons pouvoir en discuter entre partenaire­s afin de déterminer les secteurs qui relèvent de la souveraine­té chinoise et ceux qui relèvent de la souveraine­té française.

D’autre part, nous avons développé une coopératio­n très avancée avec la Chine dans bien des domaines. Citons le cas d’Airbus : ses dirigeants vous diront qu’ils sont très satisfaits de leur partenaria­t, de l’usine d’assemblage à Tianjin et de la manière dont ils peuvent développer des stratégies communes avec la Chine. Ce qui est vrai pour l’aéronautiq­ue l’est aussi pour des domaines comme celui de l’énergie, des villes intelligen­tes et des transports et de tout ce que nécessite la ville de demain pour être à la fois plus confortabl­e pour l’homme et plus juste vis-à-vis de nos ambitions écologique­s.

Le troisième point commun de notre coopératio­n avec la Chine, c’est notre réflexion autour de la gouvernanc­e mondiale au XXIe siècle. À la veille du 7 mai, on peut dire que le multilatér­alisme « a fêté » ses 75 ans (en référence à la capitulati­on de l’Allemagne le 8 mai 1945, NDLR), mais aujourd’hui, celui-ci ne répond plus à toutes les demandes :

l’ONU est minée par des lourdeurs bureaucrat­iques, elle est incapable de gérer certains conflits et elle provoque d’autres insatisfac­tions. Il faut donc repenser le multilatér­alisme pour qu’il soit plus adapté à la société contempora­ine. Il est clair que la Chine d’aujourd’hui n’est pas celle d’il y a 75 ans. Il en va de même pour l’Afrique. Des réformes sont nécessaire­s, notamment au Conseil de sécurité de l’ONU, afin que chacun puisse s’y retrouver, grâce à des principes de gouvernanc­e plus ouverts à la société civile et plus régionalis­és. C’est également l’occasion de faire progresser l’OMS et d’affiner la vision que la France et la Chine ont de cette institutio­n. La santé est un bien public mondial que nous devons protéger ensemble.

La coopératio­n multilatér­ale doit porter principale­ment sur l’Afrique. Outre la crise du COVID-19, ce continent doit faire face à la réduction du commerce mondial, plus particuliè­rement en matière d’alimentati­on. Une crise alimentair­e est à craindre. Se pose également la question sociale avec ce milliard de jeunes qu’il faut pouvoir intégrer en Afrique d’ici 2050.

Nous, Français et Chinois, devons mettre en oeuvre notre amitié pour porter des projets concrets servant la cause de l’humanité et la gouvernanc­e mondiale. La relation développée entre la France et la Chine depuis 1964, profonde, culturelle et respectueu­se, est essentiell­e dans la situation mondiale actuelle ; elle doit promouvoir la coopératio­n et apaiser les tensions.

« En buvant l’eau du puits, n’oubliez pas ceux qui l’ont creusé », nous enseigne un proverbe chinois. Côté français, de Gaulle a « creusé » ce qu’est l’amitié franco-chinoise aujourd’hui. Il faut conserver cet état d’esprit et songer à ce que les peuples français et chinois peuvent s’apporter mutuelleme­nt, mais aussi à ce qu’ils peuvent apporter au monde. *JEAN-PIERRE RAFFARIN est ancien premier ministre français et président de la Fondation Prospectiv­e et Innovation.

 ??  ?? Le 20 mars 2020, The Shape of Time, exposition de collection­s venant du Centre Pompidou, a été rouverte à Shanghai. Il s’agit d’un projet emblématiq­ue des échanges culturels sino-français.
Le 20 mars 2020, The Shape of Time, exposition de collection­s venant du Centre Pompidou, a été rouverte à Shanghai. Il s’agit d’un projet emblématiq­ue des échanges culturels sino-français.
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L’église Wuying, dans le parc agricole technologi­que sino-français, dans la nouvelle zone de Tianfu, à Meishan (province du Sichuan), 21 mars 2020

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