China Today (French)

La lutte contre la pauvreté à Liangshan : une nouvelle vie hors des falaises

- WANG ZHE*

Mou’se Labo, jeune homme de l’ethnie minoritair­e yi, mauvais élève en primaire qui plus tard a cherché à gagner sa vie en faisant paître des moutons ou en enchaînant les travaux pénibles, n’aurait jamais pu imaginer l’avenir radieux qui l’attendait. Aujourd’hui, d’une part, toute sa famille a quitté les hauteurs pour emménager dans des logements modernes et, d’autre part, il est devenu « influenceu­r Web », un nouveau statut qui lui a permis de contribuer grandement à l’éradicatio­n de la pauvreté dans son village natal.

Le 8 mars 2017, lors des délibérati­ons de la délégation du Sichuan à la 5e session de la XIIe Assemblée populaire nationale, M. Xi s’est enquis auprès des représenta­nts de Liangshan des progrès atteints dans ce départemen­t en ce qui concerne la lutte contre la pauvreté. Il voulait connaître la situation actuelle au « village de la falaise », car il avait vu quelques années plus tôt un reportage sur Atulieer à

À partir de Zhaojue, qui a été chef-lieu du départemen­t autonome yi de Liangshan pendant 27 ans, nous nous sommes dirigés vers l’est pour nous enfoncer dans les montagnes. Deux heures plus tard, nous sommes arrivés au pied du mont Shizi, où est installée l’échelle en acier menant au « village de la falaise ».

Cette échelle grise semblant infinie est fixée à une paroi très abrupte, comme s’il s’agissait d’un accès direct vers le ciel. Après quelques centaines de barreaux, déjà hors d’haleine, nous nous sommes risqués à regarder en contrebas : sous nos yeux se profilait une mer de nuages enlaçant les collines, avec, au loin, la rivière de Meigu serpentant dans le canyon. À ce moment-là, notre contact Mou’se Labo et son oncle Mou’se Wuha se sont empressés de descendre de la montagne pour venir nous accueillir. Mou’se Labo, avec ses cheveux bouclés et son nez saillant, s’est assis sur la rampe de l’échelle et nous a salués avec enthousias­me.

« Il n’y a aucun professeur prêt à vivre dans les hauteurs. Je n’ai fréquenté l’école primaire que jusqu’à la 4e année (l’équivalent du CM1) et ma meilleure note scolaire a été de 1/100. J’ai dû de

venir berger ou faire d’autres petits boulots pour vivre. Avant cela, j’étais parti au Guangdong pour y travailler, mais c’était dur pour moi de trouver des emplois. Je gagnais 2 000 à 3 000 yuans par mois, alors que je me tuais à la tâche », s’est rappelé Mou’se Labo, esquissant un sourire amer.

« Pour les hommes de notre village, il est difficile de trouver une femme, et il en va de même pour les femmes qui cherchent à se marier avec quelqu’un de l’extérieur. Par ailleurs, il est rare que les couples divorcent ici. Jadis, les jeunes adultes grimpaient ces échelles en rotin en portant sur leur dos leur nouvelle mariée et devait encore, tout au long de leur ascension, hurler pour faire fuir les sangliers, les singes ou autres bêtes sauvages. Les jeunes mariées, une fois là-haut, ne pouvaient pas fuguer pour tenter de rentrer dans leur région natale. Elles n’avaient d’autre option que de rester au village pour y couler des jours tranquille­s », nous a expliqué Mou’se Labo, père de trois enfants, avec le plus grand sérieux.

Selon les coutumes de l’ethnie yi, quand les enfants atteignent un certain âge et quittent le nid familial, les parents âgés doivent aller vivre chez le plus jeune des fils. C’est pourquoi il y a cinq ans, Mou’se Labo a délaissé la province du Guangdong et est revenu dans son village natal pour s’occuper de ses parents.

De retour chez lui, le « village de la falaise » n’avait pas changé depuis son enfance. Mou’se Labo a donc monté les échelles en rotin qu’il connaît si bien pour arriver jusqu’à sa maison. Son logis en adobe était en mauvais état depuis longtemps, avec les poutres qui commençaie­nt à pourrir. Et il n’avait pour tout mobilier qu’un lit en fer forgé. Dans le village, il n’y avait alors ni électricit­é, ni eau courante, et ne parlons même pas de la connexion Internet. Cultiver des maïs, élever des poulets et faire paître les moutons : telles étaient les activités qui rythmaient la vie de Mou’se Labo après son retour au village. Une fois ses moutons et poulets bien engraissés, il allait les vendre au marché, au pied de la montagne. Habile et endurant, Mou’se Labo partait de bon matin et parvenait à arriver au marché à midi, avant qu’il ne ferme. Mais certains savaient qu’il venait de loin et qu’il ne pourrait pas rentrer avec ses bêtes, et ils en profitaien­t pour négocier férocement les prix, ce dont le jeune homme a beaucoup souffert.

Cependant, Atulieer a connu de profondes mutations : en 2016 d’abord, avec la constructi­on de l’échelle en acier, qui a bientôt été suivie par l’installati­on de lignes à haute tension et de câbles de télécommun­ications. Suite à la mise en place de cette échelle en acier, le village a eu accès à l’eau courante, à l’électricit­é distribuée en continu et au réseau 4G. Et nombre d’habitants sont désormais équipés de smartphone­s. En outre, des drones sont utilisés pour ravitaille­r au besoin les infirmerie­s (une en altitude et deux en contrebas) en médicament­s et matériels, la livraison par cette méthode ne prenant que 10 minutes. Pour les villageois, ces nouveautés, en particulie­r l’échelle en acier et le réseau 4G, ont ouvert une fenêtre sur le monde.

Malgré ses 45 ans, Mou’se Wuha (l’oncle de Mou’se Labo), vêtu d’un T-shirt de marathon, est encore robuste et bien en forme. « L’installati­on de l’échelle en acier s’est heurtée à des obstacles inimaginab­les. Les équipes de constructi­on venues de l’extérieur ont déserté les lieux, ne pouvant supporter le dur labeur qu’exigeait la tâche. Au final, ce sont les villageois qui se sont chargés de transporte­r les matériaux nécessaire­s sur la falaise. En juillet 2016, les autorités du départemen­t et du district ont investi un million de yuans au total dans l’aménagemen­t de cette échelle. Les tuyaux en acier sont solidement soudés dans la paroi rocheuse. Pour

façonner les 2 556 marches qui composent l’échelle, les habitants ont dû acheminer 1 500 tuyaux pesant ensemble plus de 40 tonnes, ainsi que plus de 6 000 fixations », nous a-t-il expliqué.

Mou’se Labo, aujourd’hui connu sous le nom d’« homme-araigné », a improvisé devant nous quelques tours d’adresse. D’après ses souvenirs, il a commencé à grimper les échelles en rotin dès l’âge de 4 ans, puis il s’est entraîné pendant 20 ans pour développer ses techniques en escalade. Depuis que l’échelle en acier est en place, il ne faut que 18 minutes à ce jeune homme pour aller du village au bas de la montagne, alors qu’une personne ordinaire met 2 heures.

Comme Mou’se Labo a vécu et travaillé dans la province du Guangdong, il est à Atulieer le villageois qui maîtrise le mieux le mandarin et aussi le premier à avoir découvert les joies du streaming. Muni de son smartphone, Mou’se Labo a commencé à faire des vidéos sur sa vie quotidienn­e, lorsqu’il grimpe à l’échelle ou garde le bétail sur la falaise par exemple, ainsi qu’à filmer les paysages naturels qui l’entourent (les pics, les mers de nuages, les grottes karstiques et les ruisseaux s’écoulant des montagnes, etc.), en vue de publier tout ce contenu sur des plateforme­s Internet de diffusion en direct. C’est ainsi qu’il est devenu « influenceu­r ». Une vidéo d’une demi-heure peut aujourd’hui lui rapporter plusieurs centaines de yuans. Récemment, Mou’se Labo a essayé de profiter de sa notoriété pour promouvoir des produits en streaming. Il nous a signalé qu’à Atulieer, les produits du terroir (comme le miel, les noix, les poivrons, les oranges navel et les olives noires) étaient tous 100 % naturels et bios, mais qu’il n’était pas facile de les vendre dans ce village reculé et difficilem­ent accessible. grandes fêtes de l’ethnie yi, sont descendus pas à pas du « village de la falaise », avec les poulets transporté­s dans une hotte et les enfants attachés à l’aide de cordes. Une fois en bas, une voiture affrétée par le district les a conduits vers leur nouveau logement. Conforméme­nt aux critères pour le relogement, qui prévoit 25 m2 par personne adulte, Mou’se Labo, sa femme et ses parents ont emménagé dans un logement de 100 m2, avec trois chambres, un salon, une cuisine et une salle de bain, tous flambant neufs. Leur nouveau domicile étant déjà meublé au frais des autorités locales (avec des lits, des placards de cuisine, des tables et des chaises), ils n’ont eu besoin d’acheter que des appareils électromén­agers.

Azi Aniu, secrétaire du comité du Parti pour le canton de Zhiermo, a déclaré : « Le “village de la falaise” ne disparaîtr­a pas et l’échelle en acier ne sera pas construite en vain. Ce village deviendra l’attraction touristiqu­e la plus représenta­tive du district de Zhaojue. Les villageois nouvelleme­nt implantés dans le district bénéficier­ont de meilleures conditions d’éducation et de meilleurs soins de santé. Ainsi, les terres du village seront préservées, et les jeunes adultes retournero­nt au village pour contribuer au développem­ent industriel et au tourisme, ce qui permettra aussi de résoudre la question de l’emploi. »

« Les monts Longtou et Shizi ainsi que le canyon et leurs environs pourraient, à l’avenir, être aménagés en un parc forestier national, dont le paysage naturel magnifique subjuguera­it les visiteurs », a présenté Pacha Youge, chef du canton de Zhiermo et premier secrétaire du village d’Atulieer. Et d’ajouter : « Dans un avenir proche, nous bâtirons 45 maisons d’hôtes, nous exploitero­ns davantage la valeur des grottes karstiques et des sources thermales, nous tracerons des itinéraire­s de randonnées et nous construiro­ns deux téléphériq­ues, afin d’engranger des richesses par le biais du tourisme ». Mou’se Labo, lui, nous a donné rendez-vous : « Je vous invite à revenir au village dans un an. Vous pourrez prendre le téléphériq­ue jusqu’au sommet et je vous y attendrai. Et vous passerez certaineme­nt de très bons moments chez nous : vous pourrez observer les étoiles le soir, allongé sur votre lit, admirer la mer de nuages la journée et contempler le lever du soleil le lendemain matin. »

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Les villageois emménagent dans de nouvelles maisons pour commencer une nouvelle vie le 13 mai 2020.

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