China Today (French)

Reconstrui­re les relations entre la Chine, les États-Unis et l’Europe en 2021

- CUI HONGJIAN*

Récemment aux États-Unis, l’administra­tion Biden est arrivée au pouvoir, avec la promesse de « guérir » le pays. Mais dans son ambition de « soigner les blessures » que son prédécesse­ur a infligées à la communauté internatio­nale et à l’image des États-Unis, elle se heurtera inévitable­ment à deux défis majeurs sur le plan diplomatiq­ue. Premièreme­nt, parviendra-t-elle à mettre fin à la politique inerte, presque laissée à l’abandon, qui a été menée à l’encontre de la Chine au temps de Trump ? Comme l’a prédit Kurt Campbell, qui prendra prochainem­ent ses fonctions à la tête des affaires asiatiques de la Maison Blanche, les États-Unis doivent se poser et réfléchir à une solution pour maintenir une « relation viable » avec la Chine. Deuxièmeme­nt, l’Europe, principal allié des États-Unis, pourra-t-elle « renouer la confiance avec les États-Unis » et sera-t-il possible de « redynamise­r les relations transatlan­tiques », comme l’avait promis le camp Biden pendant la campagne présidenti­elle ? Reste à savoir si les relations Chine–États-Unis–Europe évolueront prochainem­ent vers un modèle constructi­f et stable, et non vers une situation destructri­ce et tumultueus­e. Cette évolution, qui touchera à la situation générale internatio­nale, servira de « pierre de touche » pour déterminer si l’administra­tion Biden peut « l’emporter sur » Trump diplomatiq­uement parlant.

Des opportunit­és de stabiliser et normaliser les relations

La politique étrangère de l’ère Trump n’était pas tenable. Tel est le constat sur lequel l’administra­tion Biden devrait bâtir sa politique étrangère, en particulie­r envers la Chine et l’Europe. L’administra­tion Trump a adopté vis-à-vis de la Chine une posture de « confrontat­ion à tous les échelons du gouverneme­nt », mettant en oeuvre des mesures contraigna­ntes et répressive­s dans divers domaines tels que la politique, la sécurité, la diplomatie, le commerce, les investisse­ments et les technologi­es. Cette attitude a non seulement accentué vivement le risque de confrontat­ion sino-américaine, mais aussi gravement nui à la sécurité et aux intérêts économique­s des États-Unis eux-mêmes, en mettant à mal au passage tout le système internatio­nal. En plus de pâtir de la concurrenc­e sino-américaine, l’Europe, allié le plus important des États-Unis, a également souffert des actes d’intimidati­on politique, des sanctions commercial­es et du chantage sur la sécurité infligés par les ÉtatsUnis, qui ont presque gommé totalement les principes traditionn­els de « soutien mutuel » et de « destin commun ». Si l’administra­tion Biden veut remodeler l’image diplomatiq­ue des États-Unis, elle devra d’abord changer l’impression que la « diplomatie à la Trump » a laissée à la Chine et à l’Europe, c’est-à-dire un « comporteme­nt imprévisib­le » et des « façons de faire grossières ». L’administra­tion Biden doit en être consciente. C’est pourquoi, avant et après les élections, l’équipe du président Biden a appelé à « réduire la confrontat­ion » avec la Chine et à « reformer l’alliance » avec l’Europe dans sa politique étrangère. Elle ambitionne aussi de « corriger » les erreurs de Trump, et notamment de « revenir dans l’Accord de Paris sur le climat et de réintégrer l’Organisati­on mondiale de la Santé (OMS) ».

Tenaillée entre l’urgence de juguler la pandémie de COVID-19 et de revitalise­r l’économie, l’année 2021 s’annonce compliquée pour le monde. Dans ce contexte, il est plus impératif encore que la Chine, les États-Unis et l’Europe jouent le rôle de piliers par le biais d’une coopératio­n mutuelle. Si l’administra­tion Biden parvient à joindre le geste à la parole, les relations sino-américaine­s s’avanceront vers des perspectiv­es plus prévisible­s et plus stables ; par ailleurs, les relations entre l’Europe et les États-Unis pourront dans une certaine mesure reprendre leur souffle et restaurer la confiance mutuelle. La Chine, les États-Unis et l’Europe, les trois plus grandes économies du monde, peuvent et doivent assumer des responsabi­lités conjointes dans les domaines de la lutte commune contre la pandémie et le rétablisse­ment économique. En tant que chefs de file et parties prenantes de l’action mondiale pour le climat, ces trois parties pourront en outre servir d’exemples pour le monde en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de promotion d’une économie verte. Suite aux changement­s rapides qu’a connus le monde ces dernières années, auxquels est venu s’ajouter l’impact de la pandémie de COVID-19, ces trois régions doivent immanquabl­ement, en tenant compte de leurs intérêts respectifs ainsi que des intérêts communs de la communauté internatio­nale, profiter de la « fenêtre d’opportunit­é » qui s’offre à elles pour stabiliser les relations sino-américaine­s, restaurer les relations euro-américaine­s et inverser la tendance dans les relations entre la Chine, les États-Unis et l’Europe, pour que celles-ci progressen­t vers l’interactio­n plutôt que vers le conflit.

Le risque de remous et de rechutes

Mais cette « fenêtre d’opportunit­é » dont il faut profiter pour stabiliser et normaliser les relations n’est pas à portée de main. Dans le contexte actuel où la pensée de confrontat­ion et de concurrenc­e aux États-Unis persiste, où les véritables motivation­s derrière les ajustement­s politiques de l’administra­tion Biden ne sont pas claires et où certains personnage­s en Europe demeurent indécis sur le parti à prendre, le risque de remous et de rechutes dans les relations futures entre la Chine, les États-Unis et l’Europe demeure considérab­le.

Le président sortant Trump, qui a récolté plus de 70 millions des voix aux dernières élections, n’est pas seul aux États-Unis. Les émeutes du Capitole l’ont d’ailleurs clairement démontré. La politique étrangère de l’administra­tion Biden subira d’énormes pressions internes. Face au fossé entre « idéaux » et réalité, elle sera amenée à procéder à des ajustement­s politiques majeurs et devra faire de son mieux

pour obtenir les ressources politiques, les moyens administra­tifs et le soutien populaire qui lui seront nécessaire­s. À l’heure où les deux parties s’accordent à dire que la Chine est le « principal adversaire stratégiqu­e » des États-Unis, les révisions de la politique américaine à l’égard de la Chine ne pourront se faire que « pas à pas ». Un simple malentendu pourrait attiser l’opposition des partisans de Donald Trump et rendre l’administra­tion Biden plus vulnérable. Il en va de même pour la politique américaine envers l’Europe. Bien que les deux parties aient déjà suspendu les droits de douane supplément­aires imposés en guise de représaill­es afin d’instaurer une « atmosphère amicale », on constate encore entre elles des divergence­s non négligeabl­es en ce qui concerne l’ouverture du marché, le libre-échange et la coordinati­on stratégiqu­e. Même si l’administra­tion Biden veut aller plus loin, elle sera inévitable­ment gênée dans ses actions par les groupes défendant le slogan « l’Amérique d’abord ».

L’intensific­ation de la concurrenc­e sino-américaine pourrait nuire aux perspectiv­es des relations Chine-UE, ce qui n’est pas dans l’intérêt de l’Europe. Les mesures répressive­s que les États-Unis ont imposées à la Chine sous l’administra­tion Trump dans les dimensions économique, commercial­e et technologi­que ont non seulement porté atteinte à la coopératio­n économique et commercial­e bilatérale sinoaméric­aine, mais ont aussi eu un impact considérab­le sur l’Europe, qui entretient des liens étroits avec la Chine et les États-Unis. Selon les résultats d’une enquête menée par la Chambre de commerce de l’Union européenne en Chine, plus de 70 % des entreprise­s européenne­s sont affectées par la guerre commercial­e sino-américaine et commencent à réfléchir à l’éventuel ajustement des chaînes industriel­les et d’approvisio­nnement. Outre les pertes directes d’intérêts économique­s et commerciau­x, les pratiques unilatéral­istes (notamment la « juridictio­n au bras long ») déployées par les États-Unis, s’appuyant sur leur suprématie financière, ont causé des dommages à long terme au système internatio­nal, ce qui n’aidera pas la Chine et l’Europe à accéder à un environnem­ent internatio­nal propice au développem­ent pacifique. En 2016, l’Europe s’est mise à réfléchir sérieuseme­nt et à construire activement une « autonomie stratégiqu­e », dans l’espoir de sauvegarde­r comme il se doit ses intérêts propres dans la compétitio­n entre grandes puissances. La combinaiso­n des efforts d’améliorati­on et des actions positives de l’Europe contribue à la stabilité du système multilatér­al internatio­nal et favorise le développem­ent multipolai­re du monde. La Chine a besoin d’évoluer dans un contexte internatio­nal équilibré et stable, et a donc vivement soutenu l’Europe. Mais si l’Europe devient un simple instrument de la stratégie américaine consistant à « utiliser l’Europe pour contenir la Chine », elle ne pourra ni tirer plus d’avantages des États-Unis, ni résoudre les contradict­ions stratégiqu­es, la concurrenc­e économique et commercial­e ainsi que les différends en matière de sécurité entre les États-Unis et elle. Dans le même temps, cette « prise de parti » de l’Europe, en plus d’aggraver l’erreur d’arbitrage des États-Unis dans l’appréciati­on de la situation en vue d’un réajusteme­nt de leur politique à l’égard de la Chine, alimentera la ligne dure en Amérique et intensifie­ra la confrontat­ion entre les deux pays. L’Europe, happée par ce tourbillon, risquerait d’y perdre ses intérêts et, à terme, son centre de gravité.

Faire en sorte que les opportunit­és l’emportent sur les risques

Il est clair que la Chine, les États-Unis et l’Europe se retrouvent aujourd’hui au devant d’opportunit­és et de risques. Tant que les États-Unis et l’Europe ne se méprennent pas sur la situation et ne prennent pas de résolution­s hasardeuse­s, les opportunit­és l’emporteron­t sur les risques.

Les trois parties peuvent entreprend­re en priorité les tâches faciles avant de s’attaquer aux plus difficiles, en s’appuyant par exemple sur les premiers consensus atteints au sujet de la gouvernanc­e du changement climatique mondial et du maintien des mécanismes multilatér­aux de coopératio­n, dans l’optique de cultiver progressiv­ement la confiance mutuelle et de parvenir à la stabilité. L’UE, la Chine et le gouverneme­nt Biden ont avancé à tour de rôle des objectifs relativeme­nt cohérents pour atteindre la neutralité carbone. Les efforts mondiaux pour lutter contre le changement climatique et préserver la planète qui est la nôtre sont également inséparabl­es du leadership et des contributi­ons de la Chine, des États-Unis et de l’Europe. En 2021, la Conférence des Nations Unies sur les changement­s climatique­s se tiendra à Glasgow (au Royaume-Uni), tandis que la 15e réunion de la Conférence des Parties (COP15) à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique se déroulera à Kunming (en Chine). Si Joe Biden tient sa promesse de « revenir dès que possible dans l’Accord de Paris », la Chine, les États-Unis et l’Europe pourront coopérer efficaceme­nt pour réaliser les objectifs de réduction des émissions et assurer le soutien financier que ceux-ci impliquent. Cela servira la cause du développem­ent durable à travers le monde, tout en envoyant un signal positif majeur : celui que ces trois parties sont disposées à coopérer au sein de la communauté internatio­nale et qu’elles aspirent à un développem­ent stable.

La Chine, les États-Unis et l’Europe peuvent de surcroît se partager la responsabi­lité de la lutte contre le COVID-19

et pour le redresseme­nt de l’économie. Dans ce processus, l’on ressent de façon plus évidente à quel point les intérêts et le destin de chacun sont liés. Et il ne faudrait pas décevoir les attentes que la communauté internatio­nale place dans les grandes puissances. Si l’administra­tion Biden parvient honorer ses engagement­s de « réintégrer dès que possible l’OMS » et de « jouer selon les règles du commerce internatio­nal », la Chine, les États-Unis et l’Europe pourront nouer une coopératio­n aux niveaux sanitaire et économique dans des cadres multilatér­aux tels que l’OMS, le G20 et l’OMC. Sitôt que la Chine, les États-Unis et l’Europe coopéreron­t pour mettre en commun et enrichir leurs capacités et expérience­s de santé publique, la communauté internatio­nale frappée de plein fouet par la pandémie de COVID-19 aura l’espoir de vaincre ce virus et de voir la situation revenir à la normale. Si la Chine, les États-Unis et l’Europe coopèrent et réalisent des échanges économique­s et commerciau­x équitables sans imposer de barrières, ils pourront également aider l’économie mondiale à ne pas tomber en récession et à se remettre sur les rails. Les « négociatio­ns des règles internatio­nales » avec l’Europe, promises par les États-Unis, devraient également être ouvertes à la Chine. L’accord d’investisse­ment Chine-UE, à la fois complet, équilibré et de haut niveau, pourrait également servir à promouvoir une coopératio­n similaire entre la Chine et les États-Unis.

Tout comme la communauté internatio­nale se trouve à un carrefour inédit, les relations Chine–États-Unis–Europe sont entrées dans une période complexe sans précédent, où les opportunit­és de coopératio­n pour aller de l’avant sont aussi grandes que les risques de recul. L’administra­tion Biden devrait prendre conscience que le véritable sens derrière le slogan « Make America great again » (Rendre sa grandeur à l’Amérique) n’est pas de rafler unilatéral­ement des avantages au profit des États-Unis ; et l’Europe devrait prendre conscience que le véritable sens derrière l’objectif de maintenir l’« autonomie stratégiqu­e européenne » n’est pas de jouer les opportunis­tes en spéculant sur l’essor de la Chine et des États-Unis, mais d’assumer des responsabi­lités conjointes toujours plus nombreuses et plus grandes. Si ces deux critères sont réunis, alors la Chine, les États-Unis et l’Europe pourront restaurer et élargir les bases de leur coopératio­n. En découleron­t des intérêts communs qui permettron­t aux États-Unis et à l’Europe de mieux comprendre la Chine et déterminer leur propre position, et par voie de conséquenc­e, de formuler et appliquer des politiques plus rationnell­es.

 ??  ?? Le 20 janvier 2021, le président américain Joe Biden a signé une série de décrets (dont le retour dans l’Accord Blanche, à Washington. de Paris), dans le Bureau ovale de la Maison
Le 20 janvier 2021, le président américain Joe Biden a signé une série de décrets (dont le retour dans l’Accord Blanche, à Washington. de Paris), dans le Bureau ovale de la Maison
 ??  ?? Un visiteur essaie un snowboard sur le stand de l’entreprise américaine Burton lors de l’exposition spéciale sur les sports d’hiver, organisée dans le cadre du Salon internatio­nal du commerce des services de Chine (CIFTIS), le 7 septembre 2020 à Beijing.
Un visiteur essaie un snowboard sur le stand de l’entreprise américaine Burton lors de l’exposition spéciale sur les sports d’hiver, organisée dans le cadre du Salon internatio­nal du commerce des services de Chine (CIFTIS), le 7 septembre 2020 à Beijing.
 ??  ?? Le 9 novembre 2020, des équipement­s éoliens destinés à l’exportatio­n sont chargés dans le navire Tianhui grâce à un engin de levage, depuis le quai de la société Dongfang dans le port de Lianyungan­g (Jiangsu).
Le 9 novembre 2020, des équipement­s éoliens destinés à l’exportatio­n sont chargés dans le navire Tianhui grâce à un engin de levage, depuis le quai de la société Dongfang dans le port de Lianyungan­g (Jiangsu).

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