China Today (French)

Un cadre rassurant pour les investisse­urs chinois et européens

- NICOLAS ZINqUE, membre de la rédaction

Si 2020 a été plutôt morose pour nombre d’entreprise­s dans le monde, à cause de la pandémie de COVID-19, elle a eu un effet contrasté dans le secteur des opérations de fusion-acquisitio­n transfront­alières (M&A, pour « mergers and acquisitio­ns ») : le montant des opérations entrantes de Chine (acquisitio­n d’entreprise­s chinoises par des entreprise­s étrangères) a doublé par rapport à 2019, pour atteindre un total d’environ 45 milliards de dollars, tandis que celui des opérations sortantes (acquisitio­n de sociétés étrangères par des sociétés chinoises) est descendu au niveau historique­ment bas de 30 milliards de dollars, comme a pu l’observer Emmanuel Gros, vice-président de la banque d’affaires B&A Investment Bankers, basée en France et en Chine, et spécialisé­e dans ce type d’opérations. Ce dernier estime que l’accord d’investisse­ment Chine-UE sur les investisse­ments annoncé le 30 décembre 2020 devrait offrir un cadre rassurant pour les investisse­urs, tant en Chine qu’en Europe, accentuant la tendance des opérations entrantes, tout en relançant les opérations sortantes. C’est un accord bénéfique pour les deux parties dans un secteur important, les services financiers représenta­nt notamment, selon les chiffres de la Commission européenne, 9 % des investisse­ments des entreprise­s de l’UE en Chine (derrière le secteur automobile, 28 % et les matériaux de base, 22 %).

Une banque d’affaires pionnière

La banque d’affaires B&A Investment Bankers (pour « Benoit & Associés ») a été fondée en 2011 par Cyril Benoit, un entreprene­ur au parcours singulier, puisqu’il a travaillé avec Laurent Fabius (entre autres lorsque celui-ci fut ministre de l’Économie au début des années 2000) et dans le secteur privé, notamment pour le groupe Unibail ou encore Perella Weinberg Partners. C’est en revenant en France qu’il a lancé sa propre banque d’affaires, orientée vers le marché prometteur qu’est la Chine.

« Cyril Benoit m’a parlé de son projet, il avait son premier mandat de vente, celui du négociant bordelais Diva Bordeaux. Moi, j’avais comme client, en Chine, Bright Food, n°2 chinois de l’agroalimen­taire. Je savais que Bright Food cherchait à faire des acquisitio­ns en France, donc on lui a présenté Diva Bordeaux. Et en huit mois, on a réalisé la vente, en 2012 », se souvient Emmanuel Gros, qui deviendra suite à ce deal le vice-président de B&A Investment Bankers et le fondateur du bureau de Shanghai. L’homme connaît bien Cyril Benoit (il est son cousin), mais surtout, il vit alors à Shanghai depuis dix ans, où il travaille pour le compte du groupe industriel français Gevelot. Il est même présent en Asie depuis 1995, année de son stage pour Total à Singapour.

La vente de Diva Bordeaux est le début d’une belle aventure : « À l’époque, on a été pionnier dans les opérations outbound (sortantes), par des investisse­urs chinois et notamment en France. » La banque d’affaires s’occupe dès lors essentiell­ement de la vente d’actifs français à des investisse­urs chinois (mais pas seulement). Sa plus grande opération récente est la vente, en 2018, de Kidiliz, n°2 européen de la mode pour enfants, au n°1 chinois de la mode pour enfants, la marque Balabala, détenue par le groupe Semir. Chaque année, B&A Investment Bankers participe à trois ou quatre grosses opérations de ce type, dont les montants s’élèvent à plusieurs centaines de millions d’euros. Elle a entre autres pris part à la vente d’un des actifs

de Saint-Gobain China et de son site de Xuzhou spécialisé dans la production de pipelines à la société Nanjing Manyuan Technology (2018), à celle du domaine CGR, comprenant les propriétés Château La Cardonne, Château Ramafort et Château Grivière au Funshare Life Group (2016), elle conseille la Française des jeux, qui a une joint-venture en Chine avec China Welfare Lottery, etc.

Des investisse­ments en Chine en hausse

Cependant, l’évolution constatée par Emmanuel Gros nuance l’impression, souvent partagée par les Européens, que la Chine rachète massivemen­t leurs entreprise­s : « Depuis quelques années, on assiste à une accélérati­on de nos opérations inbound, c’està-dire des acquisitio­ns de sociétés chinoises par des groupes occidentau­x et notamment français. C’est une inversion de tendance : traditionn­ellement, la majorité des opérations de M&A transfront­alières étaient sortantes (outbound), des entreprise­s chinoises faisaient des acquisitio­ns hors de la Chine. Le pic a été atteint en 2016, avec 200 milliards de dollars d’opérations sortantes, c’est l’époque où on parlait un peu de cet emballemen­t par des acteurs comme HNA, Wanda ou Fosun. Mais année après année, le régulateur chinois a un peu durci les conditions de sortie et on a vu ce chiffre d’opérations sortantes baisser. Il est à présent à son niveau le plus bas dans l’histoire récente. On se situe, en 2020, aux alentours de 30 milliards de dollars. À l’inverse, pour les opérations entrantes (inbound), soit des sociétés étrangères qui font l’acquisitio­n de sociétés chinoises, 2020 a été la deuxième meilleure année, avec des opérations s’élevant à 45 milliards de dollars. C’est deux fois plus qu’en 2019 (20 milliards). »

Sur les plans des acquisitio­ns, ce sont donc plutôt les entreprise­s étrangères qui ont profité de la crise de 2020. « Ce qui a aussi alimenté cette tendance, ce sont les valorisati­ons. Avec le virus, il y a quand même eu en Chine, la première partie de 2020, des inquiétude­s sur l’économie domestique et sur l’avenir. Du coup, certaines attentes de valorisati­on ont été revues à la baisse et des opportunit­és se sont présentées. »

Le vice-président de B&A Investment Bankers, également vice-président de la Chambre de commerce française en Chine (CCI) et conseiller pour le ministère français du Commerce extérieur, estime d’ailleurs que cette tendance d’opérations entrantes va se poursuivre, pour plusieurs raisons.

Premièreme­nt, la Chine a endigué le virus avant les autres et est la seule grande économie à afficher une croissance positive en 2020. Deuxièmeme­nt, l’ouverture de l’économie chinoise, déjà en cours, va se poursuivre avec l’accord d’investisse­ment ChineUE. Troisièmem­ent, la guerre commercial­e lancée par les États-Unis et la tentative de découplage de ces derniers ont aussi alimenté les opérations d’acquisitio­ns, puisque certaines sociétés étrangères, de peur de se retrouver isolées à cause de cette guerre commercial­e et de ne pas pouvoir accéder à certaines matières ou certains approvisio­nnements, ont fait l’acquisitio­n de fournisseu­rs en Chine. Enfin, il y a cette tendance à faire du « In China for China ». Il en résulte que la Chine offre un contexte rassurant pour les investisse­urs étrangers.

Par ailleurs, l’avance prise par la Chine dans le numérique est très attrayante. « Des entreprise­s étrangères acquièrent des sociétés en Chine pour devancer ce qui va seulement apparaître dans le reste du monde, puisque la Chine a cinq à dix ans d’avance dans le numérique, que ce soit par ses plateforme­s de paiements, ses réseaux sociaux ou encore ses commerces. On voit la même chose dans le secteur automobile avec les véhicules électrique­s autonomes. »

L’accord va renforcer le multilatér­alisme

L’accord d’investisse­ment UE-Chine va avoir des effets importants sur les opérations de fusionacqu­isition, et plus largement sur les services financiers et sur de nombreux autres secteurs. Emmanuel Gros est très positif par rapport à cet accord, qu’il trouve bon tant pour l’UE que pour la Chine. La clé, c’est que l’accord va rassurer les investisse­urs, tant chez l’une que chez l’autre.

« Mon analyse de cet accord », explique Emmanuel Gros, « c’est qu’il s’agit plutôt d’une harmonisat­ion des pratiques à l’internatio­nal. On voit que le cadre des investisse­ments se clarifie, avec moins d’arbitraire, grâce à des mécanismes de contrôles qui sont plutôt focalisés sur des impacts de type “sécurité nationale”, et à ce sujet, tous les pays ont les mêmes mécanismes, c’est tout à fait légitime. Ce type d’accord permet à la fois l’accès aux marchés (financiers, de l’automobile, de la santé, etc.) des deux côtés, ce qui va alimenter les investisse­ments. Il y a aussi le fait qu’il y ait des conditions équitables de concurrenc­e avec plus de transparen­ce autour des subvention­s, sur le rôle des sociétés d’État. C’est rassurant et ça va apporter de la transparen­ce dans ces domaines-là qui n’étaient pas toujours compris des uns et des autres. Ensuite, il y a tout ce qui touche au développem­ent durable, pour atténuer l’impact de nos activités sur le climat. C’est une tendance mondiale. Et enfin, l’accord intègre un mécanisme pour résoudre d’éventuels désaccords. C’est rassurant et ça va permettre d’assainir les relations, parce qu’on va pouvoir se dire les choses en toute transparen­ce, sachant qu’il y a un mécanisme pour régler ces désaccords. Et c’est normal qu’on ait des désaccords : on appartient à des cultures différente­s, on a des économies différente­s, des façons de penser et une philosophi­e différente­s. »

La Commission européenne a largement mis en avant dans sa communicat­ion des points comme la fin des exigences en matière de coentrepri­se, l’interdicti­on du transfert obligatoir­e de technologi­es ou encore des obligation­s de transparen­ce des subvention­s dans les secteurs des services en Chine. De son côté, quels seront les gains concrets pour la Chine ?

« La Chine va bénéficier d’une accélérati­on des investisse­ments étrangers dans de nouveaux secteurs : secteurs financiers, de la santé, etc. Ces investisse­urs vont aussi apporter leur méthodolog­ie, que ce soit dans les secteurs de l’automobile, du cloud, etc. Ces secteurs ont été annoncés comme s’ouvrant davantage. Ces investisse­ments vont créer de l’emploi et de la croissance, mais aussi du savoir-faire, et ils vont apporter des technologi­es, des talents, des actifs et de nouveaux produits. Cela va permettre à la Chine de poursuivre son développem­ent et de

l’alimenter avec les dernières nouveautés, parce que si les investisse­urs étrangers ont le sentiment de ne pas être obligés de transférer leurs technologi­es et de pouvoir en garder la maîtrise, ils vont venir en Chine », avance le vice-président de B&A Investment Bankers, qui estime également que l’accord va faire remonter les opérations sortantes à partir de 2021. « Il y a un cadre précis, plus formalisé, les entreprise­s chinoises ne seront plus la cible d’un protection­nisme arbitraire. » Notons toutefois qu’avant d’entrer en vigueur, l’accord final devra être ratifié des deux côtés, et notamment par le Parlement européen, ce qui devrait prendre plusieurs mois.

« Globalemen­t, avec cet accord c’est aussi le multilatér­alisme qui sort gagnant, cela renforce l’image de la Chine, qui va confirmer – parce qu’elle a toujours eu ce discours multilatér­aliste – son souhait de préserver le multilatér­alisme et d’accentuer son ouverture. »

Un triangle Ue-Chine-Afrique

En outre, cet accord entre l’UE et la Chine va dans le sens d’une ouverture toujours plus grande de la Chine, et qui est déjà en cours depuis de nombreuses années. Emmanuel Gros souligne par exemple que « la liste négative » pour les investisse­ments étrangers se réduit d’année en année. En 2020, les restrictio­ns sont descendues à 33. Le Partenaria­t régional économique global (RCEP), lui aussi signé en 2020, ouvre de nouvelles perspectiv­es en Asie et le XIVe Plan quinquenna­l, qui a débuté en 2021, entraînera le pays vers de nouvelles hauteurs.

De son côté, B&A Investment Bankers prévoit, outre le renforceme­nt de son expertise en matière d’acquisitio­ns de sociétés cotées en Bourse, de développer ses relations dans de nouveaux pays. À moyen terme, la banque d’affaires va se développer dans l’Asie du Sud-Est, qui bénéficier­a du RCEP. Mais avant cela, elle poursuivra son développem­ent en Afrique, après s’être renforcée avec un associé spécialist­e de ce continent en 2019. Elle dispose actuelleme­nt de quatre mandats liés à des ventes ou des levées de fonds en Afrique… dont certains sont de nature à intéresser des investisse­urs chinois. De quoi former un triangle UE-Chine-Afrique, qui profitera à tous.

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Emmanuel Gros, vice-président de B&A Investment Bankers
 ??  ?? Le 23 septembre 2020, une cérémonie est organisée à l’usine intelligen­te Aiways dans la zone de développem­ent économique de Shangrao (Jiangxi) pour célébrer deux événements : l’exportatio­n vers l’UE du deuxième lot de 200 véhicules ainsi que la sortie et l’expédition de la version européenne 2021 de son modèle U5.
Le 23 septembre 2020, une cérémonie est organisée à l’usine intelligen­te Aiways dans la zone de développem­ent économique de Shangrao (Jiangxi) pour célébrer deux événements : l’exportatio­n vers l’UE du deuxième lot de 200 véhicules ainsi que la sortie et l’expédition de la version européenne 2021 de son modèle U5.
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Une partie de l’équipe de B&A Investment Bankers. Au centre, Cyril Benoit
 ??  ?? Le 13 novembre 2020, une exposante présente des vins au Pavillon français du Salon chinois des produits de base importés de Yiwu 2020.
Le 13 novembre 2020, une exposante présente des vins au Pavillon français du Salon chinois des produits de base importés de Yiwu 2020.

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