China Today (French)

La Chine à mes yeux : la démocratie, ce n’est pas du Coca-Cola

- MARTIN JACQUES*

Le Parti communiste chinois (PCC) ne ressemble à aucun autre parti dans le monde. Il nous oblige à repenser l’idée même de ce qu’est un parti politique. Il s’agit d’un phénomène intrinsèqu­e à la Chine. C’est inéluctabl­ement chinois. Si le PCC a connu un tel succès, c’est parce qu’il a su trouver le moyen, au cours de ses 100 ans d’existence, de combiner sa grande capacité à mener des réformes avec un profond enracineme­nt dans la société et la culture chinoises.

L’Occident n’a jamais réussi à saisir la nature du PCC. Cette ignorance a atteint de nouveaux sommets après 2016. Le monde occidental a commencé à établir un rapprochem­ent entre le PCC et l’ancien Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS). Pourtant, ils ont très peu de choses en commun. Pourquoi seraient-ils similaires d’ailleurs ? La Russie pourrait difficilem­ent être plus différente de la Chine. Le PCUS fut un échec historique : a contrario, on peut dire que le PCC est le parti politique qui a le mieux réussi au monde au cours du siècle dernier. Il est impossible de comprendre le PCC du point de vue du marxisme traditionn­el ; bien avant 1949, le marxisme du PCC a été hautement sinisé. De plus, le PCC est enraciné dans le confuciani­sme et profondéme­nt influencé par ce courant de pensée. Façonné par la civilisati­on chinoise (dont il est bien sûr un produit), il se révèle aussi complexe que celle-ci.

L’Occident croit dur comme fer qu’un système avec le PCC au pouvoir n’est pas viable, parce qu’il est incapable d’entreprend­re des réformes. L’histoire chinoise ne corrobore pas cette idée. En effet, plus que tout autre parti au monde, le PCC a fait preuve d’une remarquabl­e aptitude à réformer le système. La transition engagée de Mao Zedong à Deng Xiaoping en est peut-être l’illustrati­on la plus parlante. Deng Xiaoping a introduit deux réformes de fond : il a fait du marché l’une des parties intégrante­s du socialisme à la chinoise, aux côtés de l’État et de la planificat­ion ; et il a intégré la Chine dans l’économie mondiale. Seul un parti doté d’une grande confiance en lui et profondéme­nt enraciné dans la société pouvait mener à bien un changement aussi profond. Cela rappelle aussi l’indispensa­ble pragmatism­e qui anime le PCC. « Rechercher la vérité à partir des faits » : telle est la maxime au coeur de sa philosophi­e et tel a été le principe sous-jacent au temps de la réforme. Et ces caractéris­tiques sont d’autant plus vraies aujourd’hui. Le profession­nalisme, l’expériment­alisme et la méthode scientifiq­ue constituen­t la marque de fabrique de la gouvernanc­e chinoise.

En Occident, le débat sur la gouvernanc­e s’arti

cule massivemen­t autour du principe de démocratie électorale. La compétence de l’État est reléguée au second plan. En Chine, c’est tout l’inverse : la compétence de l’État est jugée primordial­e. L’importance accordée à la méritocrat­ie, aussi bien autrefois qu’aujourd’hui, y est clairement pour quelque chose. Pour atteindre des sommets, le PCC doit présenter un très haut niveau d’instructio­n et une expérience des plus vastes dans la gestion d’une économie et d’une société modernes. Voici deux exemples qui, à eux seuls, suffisent à illustrer l’extraordin­aire compétence de la gouvernanc­e chinoise : premièreme­nt, l’essor économique qu’a connu la Chine ces 40 dernières années, en réalisant la transforma­tion économique la plus remarquabl­e de l’histoire moderne ; deuxièmeme­nt, la manière dont la Chine a réussi à maîtriser l’épidémie de COVID-19 sur son territoire, en accompliss­ant ainsi un triomphe en matière de gouvernanc­e.

La Chine ne s’est jamais considérée comme un modèle que les autres doivent suivre. Elle reconnaît depuis longtemps que son histoire, sa culture et sa taille même la rendent unique. La Chine n’a jamais exigé ou attendu d’autres pays qu’ils lui ressemblen­t. À la différence des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’ex-Union soviétique, le PCC n’a jamais estimé que son système politique doive être considéré comme un modèle pour les autres. Et l’émergence de la Chine ne changera pas la donne. À plus long terme, il faudrait s’attendre à voir émerger une tendance différente : à mesure que la Chine gagnera en importance et en influence en s’imposant naturellem­ent comme référence, d’autres pays chercheron­t inévitable­ment à s’inspirer de ses réalisatio­ns, que ce soit, par exemple, dans les domaines de la politique économique, la gestion des pandémies, l’innovation technologi­que, la compétence du gouverneme­nt ou la lutte contre le changement climatique.

Le PCC s’est fixé pour objectif de construire « un grand pays socialiste beau, moderne, prospère, puissant, démocratiq­ue, harmonieux et hautement civilisé » vers le milieu du siècle. Il lui reste donc encore près de trois décennies pour y parvenir. On ne peut que supposer où en sera la Chine et quel niveau elle aura atteint ici-là. Elle sera probableme­nt devenue, sans conteste, la première économie au monde. Le niveau de vie en Chine (encore bien en deçà de celui enregistré aux États-Unis pour le moment) sera nettement rehaussé. Les temps de trajet interurbai­ns et intra-urbains seront, quant à eux, considérab­lement réduits. La grande majorité de la population sera composée de citoyens nés après l’an 2000, n’ayant jamais connu cette époque où la Chine était encore pauvre et peuplée pour moitié de ruraux. Ces jeunes auront à coup sûr des attentes profondéme­nt distinctes. Pour gouverner et diriger ce pays d’un genre très différent, le PCC devra continuer d’évoluer et de se réinventer constammen­t. Et le fait qu’il conjugue son pragmatism­e à la grande tradition chinoise consistant à penser sur le long terme l’aidera dans cette tâche. Mais une chose est sûre : sur la base de ses réalisatio­ns, de sa capacité de gouvernanc­e et de sa faculté à changer, le PCC restera le dirigeant et l’architecte de la Chine.

*MARTIN JACQUES est professeur invité à l’Institut des relations internatio­nales modernes de l’Université Tsinghua et chercheur à l’Institut de Chine de l’Université Fudan.

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 ??  ?? Le 8 juin 2021, de nombreuses personnes font la queue pour visiter le Mémorial du Ier Congrès du PCC, à Shanghai.
Le 8 juin 2021, de nombreuses personnes font la queue pour visiter le Mémorial du Ier Congrès du PCC, à Shanghai.

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