Cerf-Volant du Bout du Monde, plus de 60 ans plus tard
même de leur culture, puisque c’est là où se déroulent les principales activités sociales. La culture dong a d’ailleurs été surnommée la « culture de la tour du tambour ».
À l’intérieur de chaque tour du tambour, au premier niveau, quatre bancs rectangulaires entourent un emplacement pour le feu incrusté de pierres bleues. De chaque côté de ce foyer, quatre piliers se dressent jusqu’au toit, complétés de 12 piliers moins épais, le tout symbolisant les quatre saisons et les 12 mois de l’année. La structure du bâtiment, avec ses paliers successifs, est agencée de manière à laisser le centre ouvert. Le parvis autour de la tour du tambour sert d’espace de réunion publique pour les villageois.
La tour du tambour est synonyme de prospérité, de bonne fortune et d’unité. C’est le symbole de l’identité dong, de leur village et de leur nom de famille. Les tours du tambour sont depuis toujours les témoins silencieux de chaque épisode de la vie des Dong, qu’il s’agisse de moments de douceur où les jeunes déclarent leur flamme en chantant, aux événements formels où les anciens du village prennent des décisions importantes. C’est aussi là que sont organisés les cérémonies de mariage et les enterrements, ce qui fait de la tour du tambour un lieu où se partagent joies et peines. Toutefois, le but premier de la tour du tambour jadis était de sonner l’alarme si un envahisseur approchait et de solliciter l’aide des villages environnants.
C’est au moment de la fête du Sama que l’animation bat son plein. Sama est le nom d’une héroïne qui a vécu sous l’ancienne société matriarcale du peuple dong. Le jour de cette fête, les Dong se rassemblent, dans une ambiance vivante, en vue de commémorer cette héroïne et de prier pour un avenir source de prospérité et de bonnes récoltes.
De part et d’autre de la rivière Zhaoxing, l’on peut voir des maisons sur pilotis recouvertes de petites tuiles vertes, agencées pêle-mêle dans un charmant désordre. Les Dong vivent au bord de cette rivière tranquille depuis des générations. La vie ici, sur les rives, est plus tranquille qu’autour de la tour du tambour. Entre les habitations se trouve parfois une ancienne maison d’hôtes où est accrochée, au-dessus de l’entrée principale, une pancarte distinctive en bois avec le nom de l’auberge.
Des « ponts de fleurs » empreints de vitalité
Les ponts traditionnels dans le style dong sont appelés « ponts de vent et de pluie » ou « ponts de fleurs », car ils sont surmontés de plusieurs toits pour fournir un abri contre le vent et d’autres intempéries. La fabrication des ponts (ponts en arc en pierre, des ponts en dalles de pierre, des ponts en bambou, des ponts en bois, etc.) est un volet important de la culture du peuple dong, qui vit au bord des rivières depuis des siècles. Il leur arrive même d’abattre un arbre massif pour l’utiliser comme pont. Le pont de fleurs couvert est typique chez les Dong. Plus qu’un simple pont, il fait office de lieu public où les gens peuvent se reposer, s’abriter de la pluie, rencontrer des amis et admirer le paysage environnant.
Les ponts de fleurs joliment décorés sont plus qu’un simple passage enjambant la rivière. Par une nuit étoilée sous le clair de lune, c’est la fleur de la jeunesse qui commence à s’épanouir sur ces ponts lorsque de jeunes amants chantent
leur amour l’un pour l’autre.
L’ancien pont de fleurs de Tang’an est relativement caché parmi les champs en terrasse. Ses poutres et ses colonnes ont virées au vert émeraude sous l’effet de l’humidité, et le plancher du pont craque lorsque l’on marche dessus. Mais la source sous le pont continue de bouillonner. Les jours de pluie et de brouillard, ceux qui traversent le village semblent nimbés dans des nuages féériques. Ainsi, les nuits brumeuses au clair de lune, l’on peut entendre des chants jaillir des ponts des fleurs imperceptibles dans la brume épaisse. Les gens du village s’assoient en rond par deux ou trois, et leurs voix mêlées émeuvent l’auditoire.
Cependant, ces dernières années, il est de moins en moins fréquent de voir des jeunes hommes et femmes « roucouler » ensemble. En l’absence de lycées dans les petits et moyens villages de la région, la plupart des adolescents de 15-16 ans sont contraints de quitter leur domicile et d’aller dans un internat pour leurs études, où ils ont lecture le matin et font leurs leçons le soir. Lorsqu’ils rentrent chez eux le week-end, il leur reste beaucoup de devoirs à terminer avant de reprendre les cours le lundi. Ils n’ont donc pas le temps de chanter et de s’exercer à la musique traditionnelle des Dong.
Manger est un moment de joie
Chaque jour lors de la cuisson, des volutes de fumée de cuisine commencent à s’élever des maisons dans tout le village. Puis, une fois que la fumée s’est dissipée, l’air reste empli d’un arôme de bois brûlé. Devant et derrière chaque logis, des tas de bois de chauffage sont soigneusement empilés. Le peuple dong accorde une grande importance au bois de chauffage. D’ailleurs, le premier jour du Nouvel An lunaire, les villageois organisent une grande cérémonie en son honneur. Ce jour-là, ils revêtent de nouveaux habits, s’arment une machette à laquelle est nouée de la soie rouge et vont dans les montagnes couper du bois, une activité baptisée Shengchai (« récolte de bois de chauffage »). En raison de la consonance proche avec Shengcai (« gain de richesses »), ils associent le fait de revenir à la maison les bras chargés de bois au fait de s’enrichir. Les bûches coupées sont attachées ensemble avec des rubans rouges et placées dans le séjour, le cellier et la cuisine, en guise d’heureux présage de prospérité.
Le Guizhou est une province montagneuse, où les cultures en étages ont leurs propres caractéristiques. Les champs en terrasses autour du village dong de Tang’an sont d’une beauté indescriptible. Leur trait particulier, ce sont leurs rebords en pierre plutôt qu’en terre. En raison de la pente assez abrupte à Tang’an et du terrain rocailleux, il est difficile de niveler de grandes étendues de terre. Les gens s’emploient donc à aménager des champs en terrasses délimités par des pierres. Selon les aïeux du village, le chantier de construction des murets de soutènement de pierre doit être réalisé par une seule personne, car la terrasse risque de s’écrouler s’il y a trop de monde.
Sur la montagne derrière le village de Tang’an s’étend une section de champs en terrasses avec des murets en pierres qui rappellent un peu la Grande Muraille. Au cours du règne de l’empereur Guangxu (1871-1908) sous la dynastie des Qing (1644-1911), Pan Chuanda, un habitant de Tang’an âgé de 61 ans, abandonna résolument son travail bien rémunéré de chausseur de fantômes qu’il avait exercé de longues années et décida de convertir les monts stériles en terres fertiles. Les 12 années suivantes, il vécut sur la montagne et ramassa seul des rochers pour achever ce chef-d’oeuvre de champs en terrasses à l’âge de 73 ans. Aujourd’hui, après plus d’un siècle, cette « Grande Muraille de champs en terrasses » est toujours sur pied. Les villageois traversent ces champs quotidiennement pour aller ramasser de l’herbe pour leurs porcs ou transporter des céréales pour leur bétail. Mais faut-il encore conter cette histoire pour démontrer l’esprit travailleur et tenace qui coule aujourd’hui dans les veines des Dong ?