China Today (French)

L’histoire hydroélect­rique de Baihetan

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du bateau français « André-Lebon » en direction de l’Hexagone. Parmi les passagers figuraient six femmes, dont Xiang Jingyu (une amie de Cai Chang), qui devint par la suite l’épouse de Cai Hesen. Plus de 90 Chinois débarquère­nt en France le 28 janvier 1920. Quelques jours plus tard, la famille Cai et la plupart des membres de la Société Xinmin du Hunan arrivèrent à Montargis pour apprendre le français. Ils furent répartis, suivant leur sexe, dans un collège pour garçons ou pour filles.

Mais Cai Hesen, victime de crises d’asthme, ne put intégrer l’établissem­ent. En revanche, chaque jour, il allait faire de l’exercice dans le parc Durzy de la ville. Muni d’un journal et d’un dictionnai­re, il étudiait le français en autodidact­e. Ce faisant, il suivait directemen­t l’actualité et l’évolution du mouvement ouvrier dans les divers pays européens. Il confiait d’ailleurs, dans ses lettres à Mao Zedong, qu’il s’agissait de sa priorité. Cai Hesen progressa rapidement en français et s’attela bientôt à la lecture et traduction des oeuvres marxistes disponible­s en version française, en prenant beaucoup des notes. En un peu plus de six mois, il traduisit des chapitres importants d’ouvrages comme le Manifeste du parti communiste de Karl Marx, Socialisme utopique et socialisme scientifiq­ue de Friedrich Engels ou encore L’État et la Révolution de Lénine.

Du 6 au 10 juillet 1920, quelques membres de la Société Xinmin tinrent une réunion à Montargis, sur le thème « Transforme­r la Chine et le monde ». Lors de cette rencontre, Cai Hesen proposa de former le Parti communiste chinois et d’instaurer la dictature du prolétaria­t, tout en critiquant l’anarchisme et le réformisme. Il rédigea pour Mao Zedong un compte rendu des différente­s opinions énoncées. Un courrier dans lequel Mao Zedong répondit « être d’accord à tous points de vue ». C’est donc à Montargis que Cai Hesen fit mention pour la première fois du « Parti communiste chinois », avant même sa fondation.

une lutte qui lui a coûté la vie

Parmi ces jeunes qui participèr­ent au Mouvement Travail-Études, les plus prometteur­s en politique, tels que Zhou Enlai, Deng Xiaoping, Chen Yi, Nie Rongzhen, Cai Hesen, Li Fuchun, Cai Chang, scrutèrent l’histoire de la révolution française et les théories sous-jacentes et s’en inspirèren­t pour mener la révolution chinoise et instaurer la Chine nouvelle. En février 1921, ils lancèrent à Paris le Mouvement du 8 février pour demander « le droit de vivre et d’étudier » au gouverneme­nt de Beiyang (nom péjoratif donné à l’autorité centrale de la République de Chine entre 1913 et 1928). En juin, ils dénoncèren­t les gros accords d’emprunts secrets passés entre la Chine et la France, en incriminan­t le gouverneme­nt français de contribuer à la guerre civile engagée par le gouverneme­nt chinois aux mains de seigneurs de la guerre. En septembre, un autre mouvement étudiant éclata après que des étudiants du Mouvement TravailÉtu­des se soient vu refuser l’entrée à l’Université franco-chinoise de Lyon. Les contestata­ires décidèrent d’occuper de force l’université, ce qui donna lieu à de lourdes sanctions, comme le renvoi de 104 étudiants chinois (dont Cai Hesen).

C’est ainsi que le séjour de Cai Hesen en France prit fin. En novembre, il débarqua à Hong Kong, puis continua sa route vers Guangzhou pour y entreprend­re des tâches révolution­naires. Sa femme Xiang Jingyu fut contrainte de revenir en Chine peu de temps après et fut assassinée par des réactionna­ires de Wuhan. Quant à Cai Hesen, il fut arrêté à Hong Kong l’été 1931, puis extradé à Guangzhou. C’est là qu’il mourut, tué par un chef de guerre, en laissant derrière lui deux enfants orphelins.

une grande famille en France

Après le départ de Cai Hesen, sa mère Ge Jianhao, sa soeur cadette Cai Chang et son beau-frère Li Fuchun restèrent à Montargis. Ge Jianhao mettait son savoir-faire en broderie à profit pour payer une partie des frais d’études et de subsistanc­e de la famille.

Li Fuchun examina les questions sociales en France. Il écrivit un roman basé sur les témoignage­s d’anciens combattant­s de la Première Guerre mondiale et publia des rapports d’enquête sur la vie des travailleu­rs chinois

à l’usine Schneider au Havre. Il participa en outre à la création du Parti communiste de la jeunesse chinoise en France en 1922. En 1925, de retour en Chine, il participa à la révolution. Puis suite à la fondation de la République populaire de Chine, il devint vice-premier ministre chinois en charge de l’économie.

Cai Chang, elle, continua de travailler à l’usine, tout en étudiant les oeuvres de Marx et Lénine. Aspirant depuis toujours à l’égalité des sexes, elle deviendra plus tard leader du mouvement féministe en Chine. Opposée aux mariages arrangés du système féodal, Cai Chang se maria par amour avec Li Fuchun et de leur union naquit leur fille Li Tete, en 1924 à Paris. En janvier 1925, Cai Chang et Li Fuchun retournère­nt en Chine après six mois d’études en Union soviétique. En 1934, Cai Chang prit part à la Longue Marche jusqu’au bout, celle-ci étant la plus âgée parmi les 30 femmes soldats de l’Armée rouge. En 1946, elle dirigea le travail des femmes pour la réforme agraire dans le Nord-Est de la Chine. Après 1949, elle fut élue présidente de la Fédération nationale des femmes de Chine et assuma plus tard la fonction de vice-présidente du Comité permanent des 4e et 5e Assemblées populaires nationales. En 1948, Cai Chang représenta les femmes chinoises à Prague en tant que membre du conseil de la Fédération démocratiq­ue internatio­nale des femmes, organisati­on dont elle fut élue vice-présidente.

De passage en France, elle fit la connaissan­ce de René Dumont (19042001), le fils de la directrice de l’école des filles qu’elle avait fréquentée. Agronome réputé, homme engagé sur le plan politique (il se présenta même à la présidenti­elle en 1974) et proche ami de la Chine, ce dernier réalisa plusieurs voyages en Chine pour mieux saisir les Sannong (« trois questions rurales ») et fit en sorte d’entretenir l’amitié sinofrança­ise nouée au début du siècle.

 ??  ?? Le musée du Mouvement Travail-Études se trouve dans un bâtiment vieux de plus de 300 ans, dans le centre-ville de Montargis. *DUANMU WEI est chercheuse à l’Institut d’histoire du monde relevant de l’Académie des sciences sociales de Chine et présidente honoraire de la Société chinoise d’études de l’histoire de France.
Le musée du Mouvement Travail-Études se trouve dans un bâtiment vieux de plus de 300 ans, dans le centre-ville de Montargis. *DUANMU WEI est chercheuse à l’Institut d’histoire du monde relevant de l’Académie des sciences sociales de Chine et présidente honoraire de la Société chinoise d’études de l’histoire de France.

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