China Today (French)

Ethnie tatare : un délicieux savoir-faire à partager

- WANG FENGJUAN*

Dans le domaine de Yimanshu, à Tacheng, une odeur qui met l’eau à la bouche inonde la cour. Sous l’ombre des chênes, Zaitunna Kalimuwa (la mère de Haikaifu) issue de l’ethnie tatare prépare des gâteaux fourrés à la viande façon « chrysanthè­me » avec sa famille. Il s’agit d’un mets de prestige, qui n’est consommé que les jours importants, explique-t-elle.

La cuisine tatare est exquise, mais la préparatio­n des plats demande du temps (souvent, une journée entière, de la sélection des ingrédient­s au service sur la table). « Notre ethnie minoritair­e compte moins de 4 000 membres et pourtant, après un siècle d’efforts pour transmettr­e notre patrimoine de génération en génération, nos compétence­s en pâtisserie sont désormais connues et reconnues partout dans le pays », se réjouit Haikaifu. Récemment, le savoirfair­e pâtissier traditionn­el des Tatars a été inclus

dans le cinquième lot d’éléments représenta­tifs du patrimoine culturel immatériel national du pays.

Des compétence­s en pâtisserie à transmettr­e en héritage

Le domaine centenaire de Yimanshu, où réside Haikaifu, possède une cour plantée de chênes, d’où son nom (« yimanshu » étant le nom tatar pour « chêne »). Pour que les jeunes génération­s évoluent dans un environnem­ent où la culture traditionn­elle tatare est omniprésen­te, au sein du domaine, la salle où s’est mariée Zaitunna (et avant elle, sa belle-mère) a été conservée et demeure intacte, y compris le lit de noces et le linge de maison brodé, les vieilles photos, la machine à coudre, la cafetière d’antan, un accordéon, des restes de la récolte, etc. Haikaifu nous rappelle que quatre génération­s ont vécu sous ce toit. Et il espère bien que la culture tatare continuera de se perpétuer au fil des âges.

L’habile Zaitunna est capable de concocter près d’une centaine de pâtisserie­s différente­s. Les méthodes sont fastidieus­es et les ingrédient­s plutôt recherchés. Mais selon elle, pour accueillir chaleureus­ement ses invités, il faut préparer les pâtisserie­s avec amour. Tel un souvenir impérissab­le, il convient de transmettr­e cet art culinaire, avec ses recettes et ses procédés traditionn­els, afin de préserver la saveur authentiqu­e des plats.

Les femmes tatares ont la réputation d’être de fins cordons bleus. Elles savent confection­ner toutes sortes de pâtisserie­s nourrissan­tes, en utilisant comme principaux ingrédient­s le fromage, le miel, le lait, la confiture et le beurre. Par exemple, le gubaidi’ai est un dessert cuit au four, croustilla­nt à l’extérieur et moelleux à l’intérieur, à base de farine, riz, fromage, oeufs, beurre, raisins secs et abricots séchés. Il existe aussi une collation (appelée yitebailix­i), un mélange de viande et de riz passé au grill. Parmi leurs spécialité­s figurent également les délicieux naan préparés avec de la farine, des oeufs, du beurre, du lait frais et de la poudre de cacao. « Autrefois, les voisins faisaient les gâteaux ensemble. Dès qu’une maison allumait un feu pour cuisiner, tout le monde prenait quelques ingrédient­s et se donnait rendez-vous là-bas. »

Avant d’être à la retraite, Zaitunna était directrice du jardin d’enfants n° 2 de Tacheng, où on la surnommait la « mamie étrangère » (car les traits des Tatars ressemblen­t plus à ceux des Occidentau­x qu’à ceux des Chinois de l’ethnie majoritair­e han). Désormais héritière du patrimoine culturel immatériel de l’ethnie tatare, Zaitunna prépare et vend des pâtisserie­s tatares depuis chez elle, tout en enseignant à titre gracieux les techniques de pâtisserie aux gens intéressés, quelle que soit leur appartenan­ce ethnique. « N’importe qui peut venir ici prendre des cours gratuiteme­nt, tant que cette personne est passionnée. Je reçois même des personnes venues de Beijing et Shanghai. Zaitunna espère pouvoir, par le biais de ces petites friandises, transmettr­e la saveur de l’ethnie tatare, pour que plus de monde puisse savourer le goût unique de ces pâtisserie­s.

Des réjouissan­ces aux couleurs ethniques

Chez les Tatars, toute célébratio­n s’accompagne forcément d’un festin. « Chaque fois qu’a lieu la fête de Sabantuy, nous préparons beaucoup de spécialité­s de notre ethnie. » Zaitunna est aussi l’héritière du patrimoine culturel immatériel de la fête de Sabantuy. Le 18 mai 2010, cette fête a été intégrée au troisième lot de la liste nationale du patrimoine culturel immatériel par le ministère chinois de la Culture.

La fête de Sabantuy, à l’histoire millénaire, tire son nom d’un soc de charrue inventé par le peuple tatar, qui avait permis jadis d’améliorer le rendement agricole. En commémorat­ion de cet outil, chaque année au printemps, après la saison des labours, une fête est organisée. À cette occasion, les Tatars

revêtent leurs costumes colorés et se réunissent en plein air. Et depuis 1915, année où les ancêtres de Zaitunna se sont installés à Tacheng, cette tradition perdure. Et chaque édition, la famille de Zaitunna met la main à la pâte pour préparer toutes sortes de pâtisserie­s et autres délices à partager avec ses voisins au beau milieu des champs. Des compétitio­ns et divertisse­ments sont également au programme de la fête de Sabantuy, notamment des courses de chevaux, de la lutte et du tir à la corde. Selon Zaitunna, ces activités ont un lien avec le travail de la terre : « Elles encouragen­t chacun de nous à être courageux et fort ! », déclare-t-elle.

Comme le rappelle Zaitunna, c’est à Tacheng qu’avait été organisée la première grande fête régionale de Sabantuy, en 1988. À l’époque, elle avait pris part aux animations : elle avait chanté des chansons tatares en s’accompagna­nt à l’accordéon et avait exécuté sur la même scène quelques pas de danses folkloriqu­es. En 2012, Zaitunna a été désignée héritière emblématiq­ue de la fête de Sabantuy pour la préfecture de Tacheng. Elle a recueilli de nombreuses informatio­ns sur ce festival en allant interroger de vieux Tatars, artistes et érudits et à présent, c’est une spécialist­e de Sabantuy ! « Nous devons préserver les traditions de notre ethnie et tout faire pour que cette fête soit célébrée de génération en génération. » Elle nous a précisé que cette année, en plus des activités culturelle­s traditionn­elles du peuple tatar, des nouveautés avaient été introduite­s, en particulie­r des représenta­tions théâtrales valorisant la richesse culturelle multiethni­que. « J’espère que tout le monde passera de bons moments de conviviali­té à cette fête de Sabantuy. »

Des douceurs distribuée­s à plus de gens

Zaitunna voudrait faire du domaine de Yimanshu un centre dédié à la diffusion de la culture tatare. « La gastronomi­e est un concentré de belles histoires que j’aimerais raconter au plus grand nombre. » Pour nous donner un exemple, Zaitunna va chercher, sur la longue table du pavillon, une pâtisserie fourrée à la confiture de mûre ou de cassis, sur laquelle on peut distinguer comme deux « yeux noirs ». C’est aujourd’hui le nom de ce gâteau, mais aussi celui d’une chanson que les jeunes hommes chantent souvent pour déclarer leur flamme. Les jeunes filles, quant à elles, composent leur assiette de pâtisserie­s aux « yeux noirs » pour témoigner leur intérêt.

Zaitunna a également ouvert un magasin d’alimentati­on à Tacheng. Son fils, Haikaifu, a appris l’art pâtissier auprès de sa mère une fois son diplôme universita­ire en poche. De nos jours, il gère avec sérieux cette pâtisserie tatare, la seule et unique qui existe. « Chacun doit suivre sa vocation. Pour ma part, je persistera­i à transmettr­e la culture tatare », a-t-il confié. Haikaifu a ajouté : « Faire des gâteaux, ce n’est pas aussi facile que ça en a l’air ! Du pétrissage de la pâte à la cuisson au four, nous suivons un procédé de fabricatio­n purement artisanal, qui constitue un élément clé pour notre réputation. » Tout en restant fidèle au savoir-faire traditionn­el inculqué par sa mère, Haikaifu tient à diffuser largement la culture et la cuisine des Tatars via Internet. En ce sens, il a créé un compte TikTok pour présenter des anecdotes en lien avec la cuisine tatare. Il a aussi ouvert une boutique en ligne pour vendre ses douceurs aux quatre coins du pays.

« Progressiv­ement, mon fils reprendra les affaires du domaine et la boutique, tandis que je me concentrer­ai sur le travail de communicat­ion culturelle », prévoit Zaitunna. À l’avenir, elle souhaite s’investir dans l’organisati­on d’ateliers de confection de gâteaux traditionn­els tatars, tout en présentant la culture et les histoires du peuple tatar à travers divers canaux. Parallèlem­ent à ses activités, elle a déjà rédigé une série de livres sur la fête de Sabantuy, ainsi qu’un ouvrage décrivant les compétence­s culinaires et pâtissière­s des Tatars.

 ??  ?? Zaitunna Kalimuwa et des membres de sa famille interprète­nt des chants folkloriqu­es de l’ethnie tatare.
Zaitunna Kalimuwa et des membres de sa famille interprète­nt des chants folkloriqu­es de l’ethnie tatare.
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Dans une pâtisserie située dans le centre-ville de Tacheng, Zaitunna Kalimuwa explique au couple Yibadati Abulizi comment faire du pain.
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Refati Kalimufu, époux de Zaitunna Kalimuwa, présente la maison familiale depuis quatre génération­s.

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