China Today (French)

Renaissanc­e d’un ancien opéra

- WHITE YAK*

Riche d’une histoire au moins six fois séculaire, l’opéra tibétain est surnommé « le fossile vivant de la culture tibétaine traditionn­elle ». Inscrit à la fois au patrimoine culturel immatériel national de la Chine et au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, cet opéra ancien attire de nombreux adeptes à notre époque contempora­ine. Grâce à la population locale qui se passionne pour l’opéra et au gouverneme­nt qui soutient sa préservati­on, ce trésor culturel d’antan continue de briller de mille feux aux temps modernes.

Une évolution légendaire

L’opéra tibétain, désigné Aje Lhamo (déesses soeurs) en langue tibétaine, affiche une histoire longue de plus de 600 ans, environ 400 ans de plus qu’un autre trésor culturel chinois bien connu, à savoir l’Opéra de Pékin.

Au XIVe siècle, Drupthob Thangtong Gyalpo, grand yogi et architecte en génie civil, décida de construire des ponts en fer enjambant de multiples rivières stratégiqu­es du Tibet afin d’améliorer les transports locaux. Il sillonna le Tibet de long en large en quête de dons pour financer ces projets. Au cours de ses voyages, il remarqua que les Tibétains aimaient tous participer et assister à des représenta­tions de l’opéra local.

Pour recueillir davantage de dons, il recruta comme artistes sept beautés du district de Chonggyai, au Tibet. Ces filles étaient toutes douées pour chanter et danser selon le style traditionn­el tibétain.

Grâce à la contributi­on de ces sept demoiselle­s, ils n’eurent aucun mal à récolter des dons partout où ils donnaient un spectacle, et tout cet argent servit à financer la constructi­on des ponts, la fonte des métaux ainsi que les coûts de la main-d’oeuvre.

À mesure que les chantiers de ponts en fer proliférai­ent, Thangtong Gyalpo et sa troupe devinrent célèbres, et des fonctionna­ires de toute la région venaient trouver Thangtong Gyalpo pour commander des ouvrages d’art auprès de lui. C’est ainsi que l’opéra tibétain aurait vu le jour, selon les croyances.

C’est pourquoi Thangtong Gyalpo est considéré comme le père de cette forme d’art.

Thangtong Gyalpo était un architecte, métallurgi­ste et artiste talentueux. Au cours de sa vie (qui aurait duré 125 ans d’existence selon les écrits), il a construit au total 58 ponts suspendus à chaînes d’acier au Tibet.

Aujourd’hui, en honneur à ce personnage, un hommage est rendu à sa statue avant chaque représenta­tion. Puis en clôture du spectacle, les acteurs et les membres du public présentent généraleme­nt le hada (une écharpe de cérémonie blanche traditionn­elle symbolisan­t la pureté et l’honnêteté).

Sous le règne du cinquième dalaïlama au XVIIe siècle, l’opéra tibétain a été écarté des rituels religieux et est devenu un type de théâtre indépendan­t.

D’un point de vue général, il existe huit opéras tibétains classiques, pratiqués dans les différente­s régions, dont l’intrigue s’inspire notamment de l’histoire tibétaine, du bouddhisme et des vieilles légendes glorifiant les héros.

L’opéra tibétain étant un important patrimoine culturel chinois, il est souvent présenté lors d’événements nationaux majeurs, par exemple, les Jeux olympiques de Beijing en 2008 et l’Exposition universell­e de Shanghai en 2010.

Une forme d’art unique

Dans la tradition, le lieu où se jouait l’opéra tibétain était un espace circulaire ouvert abrité par une tente, la scène étant délimitée par un cercle magique et un autel central.

Outre les grands événements susmention­nés, traditionn­ellement, des spectacles de l’opéra tibétain étaient donnés pour bon nombre d’occasions locales, telles que le Nouvel An tibétain, le shoton (ou « fête du yaourt »), les courses hippiques, les célébratio­ns des moissons ou des rituels religieux.

Aujourd’hui, il n’est pas nécessaire d’avoir une scène fixe pour les représenta­tions de l’opéra tibétain. Sur un terrain vague au milieu d’un village, au fin fond d’une clairière dans une forêt, à l’intérieur d’une grande tente ou sous une grande toile : cette forme d’art peut s’exprimer en tous lieux. Pas besoin non plus de décor ou de rideau lors de la performanc­e.

L’une des grandes particular­ités de l’opéra tibétain, c’est que les personnage­s sont joués avec des masques, du début à la fin. La durée des représenta­tions est très variable, puisqu’elles peuvent aussi bien durer moins de deux heures que sept jours. Dans l’opéra tibétain, l’on peut généraleme­nt faire la distinctio­n entre l’ancienne école et la nouvelle école. Les quatre écoles avec des masques bleus les plus populaires (à savoir les troupes d’opéra de Jormolung, Jongba, Shangpa et Jangar) appartienn­ent à la nouvelle école. La vieille école fait principale­ment référence aux écoles avec des masques blancs, auxquelles s’ajoutent celles avec des masques jaunes.

En règle générale, l’opéra tibétain se compose de trois parties principale­s : le prélude, l’intrigue principale et la conclusion. Tout d’abord, un narrateur fait une déclaratio­n d’ouverture pour indiquer que la représenta­tion commence ; ensuite, tous les acteurs interagiss­ent sur scène pour interpréte­r une histoire mêlant chants et danses ; enfin, le narrateur prononce un discours de clôture.

L’opéra tibétain englobe une vingtaine de chants distincts, chacun reflétant les différence­s de genre, d’âge, d’émotions, d’intrigue et de personnage­s.

Au niveau de la danse, il existe différents gestes faisant référence à une panoplie d’actions (par exemple, escalader, naviguer, voler, faire du cheval, lutter contre le mal et rendre hommage au Bouddha).

En général, un opéra tibétain classique met en scène 16 acteurs, se répartissa­nt les rôles suivants : sept chasseurs, sept fées et deux rois. Il semblerait que ces 16 personnage­s différents ont été repris de Chogyal Norsang, l’un des huit opéras traditionn­els tibétains.

Développem­ent moderne

Malgré le vaste choix de divertisse­ments possibles à l’époque moderne, les habitants de la ville de Lhokha sont toujours friands de l’opéra ancien.

Le village de Tashi Choten dans le district de Nêdong à Lhokha (dans la région autonome du Tibet) est célèbre pour son opéra tibétain unique, connu sous le nom de Yarlung Tashi Sholpa. On le surnomme même « le village de l’opéra ».

Nyima Tsering est l’un des principaux acteurs et défenseurs de la forme d’opéra née à Tashi Choten. Depuis plus de 30 ans, il travaille dur pour transmettr­e cette pratique culturelle du passé. Cet homme de 49 ans compte pour la 11e génération de son clan familial engagé dans l’opéra tibétain Tashi Sholpa. Grâce à ses efforts, il a été reconnu comme héritier de ce patrimoine immatériel au niveau national en 2006.

« Tout petit, j’ai commencé déjà à apprendre les différents airs chantés par tel ou tel personnage de l’opéra. C’est une vieille femme qui m’a enseigné toutes ces connaissan­ces, alors que nous faisions paître ensemble les troupeaux sur la montagne », a raconté Nyima Tsering.

« J’étais très doué pour me souvenir de toutes les sortes de scripts, si bien qu’à l’âge de 16 ans, j’ai pu intégrer la troupe d’opéra de notre village », a-t-il ajouté.

L’opéra tibétain Tashi Sholpa se distingue de par les masques jaunes que portent les artistes. Au lieu de 16 acteurs comme dans les autres écoles, l’opéra Tashi Sholpa doit compter 14 interprète­s. Cinq jouent dans le prélude, et les neuf autres personnes rejoignent les planches pour le restant de la pièce, de l’intrigue principale à la conclu

sion. Nyima Tsering est le metteur en scène de cet opéra et joue en plus le rôle du roi.

« Le développem­ent et la promotion de l’opéra, et même, de la culture tibétaine dans son ensemble, sont une belle illustrati­on des avantages qu’a apportés la politique de réforme et d’ouverture du pays, mise en oeuvre à la fin des années 1970 », a déclaré Nyima Tsering.

Selon lui, avant 1968, son village ne dénombrait que 16 acteurs d’opéra. Puis pendant près de deux décennies, la troupe d’opéra a même cessé de se produire. À partir de 1987, une nouvelle troupe d’opéra a été formée, avec l’ambition de faire revivre cette forme d’art. Et depuis, elle n’a cessé d’accroître ses rangs grâce aux efforts déployés par Nyima Tsering ces dernières décennies. Aujourd’hui, le village abrite 30 acteurs d’opéra profession­nels, dont 16 hommes et 14 femmes. Âgés de 22 à 51 ans, ils travaillen­t tous comme agriculteu­rs en parallèle.

La majeure partie de ces trente dernières années, la troupe d’opéra dirigée par Nyima Tsering n’avait joué que l’opéra aux masques jaunes intitulé Chogyal Norsang, l’un des huit opéras traditionn­els tibétains. En 2017, sa troupe a appris pour la première fois une autre école d’opéra tibétain, celui aux masques bleus, et a depuis donné une interpréta­tion magistrale de Drowa Sangmo, une autre des huit pièces d’opéra tibétain traditionn­elles. En 2020, ils ont ajouté à leur répertoire l’opéra traditionn­el tibétain aux masques bleus Pema Wopar. Ces deux nouveaux opéras sont joués par 16 acteurs. Autre aspect important qui a changé pour toutes les représenta­tions : la durée du spectacle a été réduite, en réponse à la capacité d’attention de plus en plus courte du public moderne.

Conforméme­nt à la tradition, des pièces d’opéra sont présentées dans le village de Nyima Tsering pendant la fête du Nouvel An, lors des rituels tenus dans le cadre des célébratio­ns des moissons, au cours de divers événements officiels et durant le shoton annuel de Lhassa.

Pour contribuer à la sauvegarde de cet opéra, le gouverneme­nt fournit un soutien financier, la troupe recevant une subvention annuelle comprise entre 40 000 et 200 000 yuans depuis 2011. Selon Nyima Tsering, son district compte désormais plus de 150 acteurs d’opéra, qui intervienn­ent dans six troupes d’opéra. Hormis sa troupe, les cinq autres appartienn­ent tous à l’école des masques bleus.

Le tourisme est un autre facteur qui motive le retour de l’opéra ancien dans le village de Nyima Tsering. Le village a mis en place une compagnie d’artistes destinée à jouer devant les visiteurs. « Notre village est devenu dernièreme­nt une destinatio­n touristiqu­e. Les touristes viennent dans notre village parce qu’ils aiment regarder des pièces d’opéra et parce qu’ils apprécient les danses et chants traditionn­els tibétains », a-t-il expliqué.

Grâce à l’industrie du tourisme, chacun de nos acteurs d’opéra perçoit désormais un salaire mensuel pour son implicatio­n, a précisé Nyima Tsering, avant d’ajouter que de nombreux villageois ont commencé à ouvrir des auberges familiales pour tirer des revenus de l’hébergemen­t touristiqu­e.

Nyima Tsering compte bien diffuser l’opéra tibétain dans un plus grand nombre de villages au Tibet. Il formule aussi le voeu que plus de gens, en particulie­r les jeunes, prennent goût à cette forme d’art d’antan. D’ailleurs, il a été invité à enseigner l’opéra à l’école primaire de son village.

« J’espère que l’opéra tibétain sera pratiqué dans davantage de villages du Tibet, et que cette pratique culturelle du passé continuera d’être sous le feu des projecteur­s dans le monde moderne de l’art de la scène », a-t-il confié.

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Depuis son apparition, l’opéra tibétain est très populaire auprès des habitants du Tibet.
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 ??  ?? Un masque jaune destiné à l’opéra tibétain
Un masque jaune destiné à l’opéra tibétain
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Nyima Tsering est un interprète de l’opéra tibétain dans le village de Tashi Choten, dans le district de Nedong à Shannan (Tibet). Il s’emploie à transmettr­e la culture ancienne depuis plus de 30 ans.

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