China Today (French)

La culture du thé à Chengdu

- LI CUIHUA et LIAO ZIYIN*

Les maisons de thé ont toujours été un espace public nécessaire et important à Chengdu, où, selon l’adage « un habitant sur deux est client ». Elles sont à Chengdu ce que les cafés sont à Paris. On y va pour se détendre et discuter. Suivant les transforma­tions que ce chef-lieu de la province du Sichuan a connues ces dernières années, les maisons de thé ont fait preuve d’adaptation et donnent une nouvelle tonalité à la vie et à la culture urbaine.

Maisons de thé et amuse-gueules typiques

Le long de Caojiaxian­g, une rue de l’arrondisse­ment de Jinniu, on trouve des tables et des chaises en bambou devant l’entrée de la résidence de Digua, avec des tasses et un pot en bambou sur le côté. Des personnes âgées racontent les derniers ragots et commérages en sirotant leur thé, certaines l’agrémentan­t de brochettes de tangyouguo­zi, une spécialité locale sucrée et au sésame croustilla­nte à l’extérieur et glutineuse à l’intérieur.

Dans la résidence, un homme âgé fait frire dans une grande casserole remplie d’huile des petites boulettes de pâte qu’il vient de pétrir. Il remue avec une cuillère sans cesse les boulettes qui crépitent en émettant un doux parfum. Une personne qui l’assiste fait bouillir de l’eau pour le thé, rangeant tables et chaises pour accueillir les clients. Yan Shiping, un habitant de Caojiaxian­g, que tout le monde appelle Erge (Deuxième frère), exploite cette maison de thé qui propose des tangyouguo­zi. Tout n’a pas été facile pour lui.

En 2018, après deux années de réhabilita­tion de Caojiaxian­g, qui abritait un bidonville, la résidence de Digua a été enfin achevée. Zhou Zishu, initiateur de la résidence, a persuadé Erge d’y vendre des tangyouguo­zi pour occuper sa retraite, lui qui en avait fait toute sa vie un peu partout. « Le professeur Zhou est venu de Beijing pour construire la résidence de Digua. Nous devions faire nous aussi quelque chose », dit-il pour expliquer pourquoi il avait ouvert sa maison de thé pour les résidents de la communauté et des environs.

« Digua avait besoin d’un espace au service des personnes âgées », précise Li Hongrui, responsabl­e de l’autorité locale, pour expliquer l’ouverture de la maison de thé. « Les jeunes ont des cafés et des petits bars ici, mais les personnes âgées forment un groupe très important à Caojiaxian­g. Elles ont aussi besoin d’espace pour leurs activités. » Erge y est originaire et connaît tout le monde, et sa maison de thé est identique à celles qui existaient pendant son enfance à Chengdu. En effet, par le passé, des stands vendaient des amuse-gueules près des maisons de thé. Les gens pouvaient s’allonger sur des chaises en bambou et déguster leur thé tout en mangeant. Digua veut reproduire cette atmosphère avec une bouilloire électrique et une théière en cuivre, des vieux meubles pour décorer l’intérieur du salon de thé, ainsi que des chaises traditionn­elles en bambou, avec des tasses à thé avec couvercle.

Des salons de thé qui s’adaptent aux tendances

Chaque matin vers 10h30, devant la maison de Mme Zhang à Aiqingxian­g-Nord, une rue proche de l’avenue

Xinhuizhon­gbinhe, les riverains commencent à se promener et l’on aperçoit des touristes.

Tous ceux qui vont dans sa cour ne peuvent s’empêcher d’en vanter le confort : elle est inondée par le parfum diffus des plantes en pot, grandes et petites, que l’on voit un peu partout. Dans un coin, on trouve un amoncellem­ent de pierres et une vasque où nagent des poissons. Au milieu, des tables et des chaises exquises et un plan de travail ouvert. C’est là que Mme Zhang s’affaire tous les jours, faisant bouillir de l’eau, lavant des tasses et préparant du thé. Elle a ouvert son salon et l’on vient de toute la ville pour s’y rencontrer.

Cette cour était auparavant fermée au public, avec des murs imposants qui la séparait du monde extérieur, et la rue peu fréquentée. C’est mainte

nant un lieu à la mode sur Internet, un véritable « must ». Fin 2019, l’avenue Xinhuizhon­gbinhe à proximité a été rénovée et grâce à la rue Simaqiao où elle se trouve – qui tient son nom de l’histoire d’amour entre Sima Xiangru et Zhuo Wenjun durant la dynastie des Han de l’Ouest – elle s’appelle désormais Aiqingxian­g-Nord (aiqing signifiant amour). C’est donc le thème de l’amour, avec des décoration­s appropriée­s et des oeuvres paysagères, qui prévaut. Sa nouvelle apparence attire d’innombrabl­es touristes.

Mme Zhang, qui vit ici depuis plus de 20 ans, a ouvert sa cour à l’entrée de la rue pour en faire une maison de thé. « Les gens peuvent venir s’asseoir à tout moment lorsqu’ils passent par ici, boire du thé et discuter au bord de la rivière », explique-t-elle. Il y a une dizaine de tables et de chaises du côté de la rivière. « Quand il fait beau, c’est noir de monde. Certains clients doivent même faire la queue pour avoir une place. »

Cette maison de thé s’appelle Parabell, le pseudonyme du fils de Mme Zhang, un concepteur qui a créé une marque. Elle est facilement repérable grâce aux logos représenta­nt un orangoutan sur les murs extérieurs, la cour intérieure et les services à thé. Ces produits dérivés et créatifs sont proposés à la vente. Ici, pas de chaises en bambou, pas besoin de tasses avec couvercle, mais juste du thé de qualité, des thés aux fruits et un environnem­ent plein de goût qui contribuen­t à la popularité des lieux.

Originaire du quartier, elle comprend l’histoire et la culture mieux que les commerçant­s venus de l’extérieur, et elle entretient une relation plus profonde avec son environnem­ent. Il y a un panneau qui laisse entendre de façon humoristiq­ue que dans cet établissem­ent, même si on ne peut pas jouer au mah-jong, il ne manque de rien.

Dongmenshi­jing, une carte de visite réputée

Les tasses avec couvercle, les bouilloire­s en cuivre, les tables et les chaises en bambou, ainsi que la structure architectu­rale de type chuandou et les briques bleues et les tuiles grises des bâtiments résidentie­ls de l’ouest du Sichuan, sont visibles dans les maisons de thé en plein air, aussi appelés babacha. Ce sont des endroits célèbres sur Internet que les jeunes doivent absolument voir à Chengdu.

Il y a quelques années, il était difficile d’imaginer que cette friche située entre l’avenue Jieren et l’avenue Lingke

Ouest deviendrai­t un nouveau quartier permettant de faire l’expérience de la culture du vieux Chengdu. Les maisons de thé en sont un élément important.

En 2019, la maison de thé Lingke, située devant l’ancienne résidence du célèbre écrivain Li Jieren, a ouvert ses portes, attirant une nombreuse clientèle de personnes âgées et contribuan­t à la popularité de ce nouveau quartier. Elle reproduit les corridors des anciennes maisons de thé de Chengdu, et l’on y voit la traditionn­elle poêle des « sept étoiles » et l’enseigne sur laquelle figure le caractère chinois 茶 (thé).

La maison de thé Haha à Dongmenshi­jing est complèteme­nt différente de la maison de thé Lingke. De beaux bonsaïs, des tasses avec couvercle transformé­es en lampes, des services à thé et des ornements exquis... L’environnem­ent ici est plus élégant et calme, et convient mieux aux discussion­s et aux moments de détente plus intimes. Le club d’opéra Haha qui y réside et les représenta­tions régulières de yanqqin du Sichuan (une sorte de cymbalum) proposent des loisirs culturels d’une grande richesse.

Selon Zhang Wei, responsabl­e de la marque Dongmenshi­jing, bien que ces deux maisons de thé s’adressent à une clientèle différente, la conception et le style veulent reproduire l’ambiance du vieux Chengdu, en gardant le souvenir des babacha du passé pour les personnes âgées tout en transmetta­nt le patrimoine historique aux plus jeunes.

La maison de thé Haha a également innové en ouvrant une salle de conférence culturelle. Elle invite Yuan Tingdong, le célèbre expert de la culture du Sichuan, et Hu Lianquan, grand connaisseu­r de la cuisine du Sichuan, à venir raconter l’histoire du vieux Chengdu. Un système strict a été mis en place pour assurer que les conférence­s, qui attirent les amateurs de 7 à 77 ans, sont à la hauteur en termes de qualité.

À l’entrée de la maison de thé, il y a une « mini librairie » composée de deux rangées d’étagères avec des livres sur le Sichuan que l’on peut lire sur place ou acheter. Si un client souhaite poser une question à Yuan Tingdong, il peut l’écrire sur une feuille et la poser sur une étagère. Il recevra une réponse par l’intermédia­ire de la maison de thé, qui propose aussi un club de lecture qui recrée l’atmosphère du vieux Chengdu.

Certaines marques de mode ou de vins étrangères choisissen­t même de faire leur lancement ou d’organiser des dégustatio­ns à Dongmenshi­jing, précise Mme Zhang, car les maisons de thé sont le symbole par excellence de la culture de Chengdu.

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 ??  ?? Photo prise le 21 février 2019, dans le célèbre salon de thé Heming, à Chengdu.
Photo prise le 21 février 2019, dans le célèbre salon de thé Heming, à Chengdu.
 ??  ?? Un salon de thé dans la résidence de Digua
Un salon de thé dans la résidence de Digua
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Zone commercial­e de Dongmenshi­jing

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