VOS MUFFINS REÇOIVENT-ILS DES COURRIELS?
Sans mon téléphone intelligent, je suis comme un poisson échoué. Normal? D’après ce que j’observe autour de moi, oui. Sommes-nous collectivement devenus accros d’un univers ultra-connecté qui n’existait même pas il y a une douzaine d’années? Probablement. Mais d’où vient ce besoin d’être en lien partout, tout le temps? Facile: les réseaux sociaux comblent un besoin fondamental: être reconnu et aimé. Quand 10 personnes partagent ou «likent» un de nos posts, on est instantanément valorisé. C’est normal d’en vouloir plus, encore, partout, tout le temps. Comme le chante Serge Fiori dans Le monde est virtuel: «J’ai mon profil Facebook plogué sur mon Twitter Celui de mon Twitter plogué dans mon toaster Faque là mes muffins anglais reçoivent des courriels Le monde est irréel.»
Pas si irréel que ça. Vous souvenez-vous de Tom Cruise contrôlant un ordinateur par la parole et le geste dans le film Rapport minoritaire en 2002? Sachez que ça s’appelle l’interface cinétique et que ça se réalisera vraisemblablement en 2015. Idem pour l’Internet des objets, qui permettra à des objets intelligents de communiquer entre eux. Le frigo de Fiori pourra bientôt avertir son téléphone intelligent qu’il lui manque du lait.
En mai dernier, une alerte Amber partagée des milliers de fois a permis de ramener bébé Victoria saine et sauve à sa mère. Quatre mois plus tard, une centaine de vedettes ont découvert avec effroi des photos d’elles, nues, circulant sur le Web. Parfois, on fait un bon usage de la techno, parfois moins.
Mais au-delà de ça, la techno est en train de transformer profondément nos comportements: la manière dont on s’amuse, on magasine ou on apprend. Les chercheurs disent que notre cerveau est plastique: qu’il change selon ce qu’on lui demande de faire. Quelle est la conséquence d’avoir délégué une bonne partie de ma mémoire à Google? Pourquoi ai-je de plus en plus de difficulté à me concentrer longtemps sur un texte? Quel sera l’impact à long terme sur la nature humaine? La techno est-elle toujours à mon service, ou suis-je parfois au service de la techno?
Il ne faut pas revenir en arrière, mais on doit au moins comprendre ce qui nous arrive. Selon une étude publiée en mars dernier à l’Université du Michigan, plus les gens s’investissent sur Facebook, plus ils font de la comparaison sociale, et plus leur estime personnelle baisse. Une autre étude du International Journal of Eating Disorders montre que l’usage fréquent des réseaux sociaux par des jeunes filles entraîne l’idéalisation de la minceur extrême et le début des troubles alimentaires. Inquiétant? Oui, mais ce sont aussi des pistes pour intervenir!
Cet été, l’anecdote suivante m’a sidérée. Dans le stationnement d’un centre commercial montréalais, mon amie interpelle un homme qu’elle voit laisser son bébé dans la voiture... mais prendre son iPad. Celui-ci lui répond qu’il laisse le bébé dans la voiture parce qu’il n’en a que pour 10 minutes, mais lui explique qu’il prend le iPad pour éviter qu’on le lui vole. Cherchez l’erreur.
Et que penser de ce couple qui s’est tué sous les yeux de ses enfants au Portugal en voulant prendre un selfie encore plus impressionnant, plus haut dans la falaise? Pas étonnant qu’en Californie, les camps d’été et les sessions de digital detox fassent fureur.
Je ne veux rien dramatiser, mais je veux contrôler la technologie et non l’inverse. Il faut comprendre comment tout cela nous affecte, savoir garder le bon et jeter le reste, mettre des limites, ne pas perdre la tête, faire les bons choix. C’est ce que ce numéro vous propose. Geneviève Rossier, rédactrice en chef et directrice éditoriale