Coup de Pouce

Édith Cochrane

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À La Sarre, où elle a passé une partie de son enfance, Édith Cochrane ne rêvait pas de faire de la télé. Elle ne prenait pas de micros pour imiter ses idoles ni ne donnait de spectacles dans son sous-sol. Quand est venu le temps de choisir une carrière, Édith a fait un DEC suivi d’un bac en éducation et en histoire. Rien de surprenant pour cette fille dont le père menait une carrière de psychoéduc­ateur et la mère oeuvrait en éducation spécialisé­e. Tous deux avaient des métiers honorables, et les arts occupaient une place de choix dans les loisirs de ces grands amateurs de cinéma. Il en serait ainsi pour Édith, l’aînée des deux filles de la famille.

LA PIQÛRE DE L’IMPRO

Jamais il ne serait venu à l’esprit d’Édith d’Abitibi de se faire star. L’impro, c’était un loisir, une affaire de gang. Elle aurait pu être dans une ligue de bowling ou de curling. Sauf que la joueuse avait un imaginaire débridé. Un gène comique, à une époque où l’humour commençait à être valorisé. Tous ces personnage­s en elle, toutes ces répliques qui lui viennent constammen­t à l’esprit, il fallait bien les exulter!

Donc, Mme Cochrane, suppléante, faisait de l’impro dans ses temps libres. En Abitibi, d’abord, puis à Repentigny, quand la famille Cochrane s’est rapprochée de Montréal, puis à l’UQAM, où elle a étudié, puis à la Ligue d’impro de Montréal. Enfin, il y a eu ce coup de fil qui allait tout changer. La LNI fêtait ses 25 ans. C’était l’âge d’Édith. La comédienne et animatrice Mélanie Maynard venait de se désister. À deux semaines des festivités, les Orange étaient à la recherche d’une fille «drôle, avec du guts et de la répartie» pour remplacer Mélanie.

«Je n’ai pas sauté sur l’occasion, se rappelle Édith Cochrane. J’ai eu peur. J’étais capable d’improviser, mais il y avait des éléments de stress intense: Yvan Ponton, les punitions, les grosses vedettes, la foule en délire. Tout ça, c’était beaucoup. Heureuseme­nt, une fois sur la glace, je n’y pensais plus. L’impro prenait toute la place.» Puis, il y a eu cette fameuse improvisat­ion de plus d’un quart d’heure, où son équipe a cru qu’elle allait s’écraser mais où la recrue a brillé. À la fin, elle se voyait remettre une étoile par nul autre qu’André Robitaille, l’actuel animateur des Enfants de la télé. L’année suivante, cette fée des étoiles finissait meilleur compteur!

Elle avait du succès, s’amusait et, entre deux soirées d’impro, elle continuait à faire de la suppléance auprès d’élèves en difficulté dans une commission scolaire montréalai­se. Puis est venue cette audition, la fameuse. «C’était pour Le Sketch Show. Celle-là, admet-elle, je l’ai voulue. Quand je me suis retrouvée sur le plateau, tout était organique. Après mes premières journées de tournage, j’avais envie de pleurer de joie. Je venais de comprendre qu’une

Elle a fait ses classes en impro et pratique un métier qui l’a choisie. Son arrivée sur le siège d’Antoine Bertrand a fait

couler beaucoup d’encre. Rencontre avec une fée des étoiles.

PAR JOSÉE LARIVÉE PHOTO: MONIC RICHARD

journée de travail, ça pouvait être doux. J’ai la nature pour faire ce métier. Je suis chanceuse. J’ai tiré le bon numéro!» C’est avec ce contrat qu’elle s’est décidée à avertir la Commission scolaire: «Bon, retirez-moi de la liste de suppléance pour cette année. Je vais essayer...» De cet «essai» se sont enchaînés les rôles de Sandra dans Les Invincible­s, Claire dans Tranches de vie, la mère d’Aurélie Laflamme dans Le Journal d’Aurélie Laflamme, la psy dans Unité 9, Sylvie dans Les Parent, Judith dans Série noire et tout récemment Karine, dans Complexe G. C’est aussi sur ce plateau qu’elle allait rencontrer Emmanuel Bilodeau, déjà papa de Philomène, avec qui elle allait avoir deux fils, Siméon, 6 ans et demi, et Paul-Émile, 4 ans.

EN TOUTE HUMILITÉ

Cette fille qui a des airs de «Jack in the Box», souvent échevelée, vélo oblige, toujours le doigt sur la gâchette, prête à faire rire, élève avec la plus grande rigueur deux petits garçons, navigue au sein d’une famille reconstitu­ée, pédale pour saisir les meilleures occasions comme c’est souvent le cas dans la trentaine, et fait évoluer un couple qui compte une franche différence d’âge. «Ouin... C’est vrai que dit comme ça, ça fait pas mal d’enjeux en même temps, reconnaît-elle. Et le dernier point l’interpelle. «Notre différence d’âge est un plus dans notre couple. On n’est pas à la même place dans nos vies. Moi, je suis au carrefour et j’ai beaucoup d’opportunit­és à saisir. Emmanuel m’encourage, me pousse, m’aide. Il vient d’avoir 50 ans. Dans sa vie de famille, Emmanuel, c’est un roc. Je travaille beaucoup plus que lui, même s’il vient de se lancer avec son show d’humoriste. Alors, il va chercher les enfants à l’école et il m’encourage: “Enwoèye, Vas-y! Go!” Si on pédalait tous les deux dans la trentaine, ce serait sans doute différent. À 50 ans, il a développé une sagesse et un détachemen­t dont je bénéficie dans ma vie quotidienn­e.»

Les exemples sont à l’appui, comme quand on l’a appelée pour remplacer l’animatrice Véronique Cloutier. Les journaux l’ont rapporté, elle a d’abord dit non. Non à cette audition aux portes de laquelle nombre d’animatrice­s et de comédienne­s se bousculaie­nt pour proposer leurs services. «Je trouvais ça beaucoup trop gros pour moi, remplacer Véro! C’est mon chum qui m’a brassée et m’a convaincue d’y aller. Stratégiqu­e, il ne m’a pas mis de pression. “Va au moins vérifier si tu aimes animer! Tu as la chance de t’essayer avec une véritable équipe.” L’équipe de production n’en revenait pas! Ils m’ont dit: “Tu es la seule à être invitée, et tu refuses!?” Ce n’était pas de

«NOTRE DIFFÉRENCE D’ÂGE EST UN PLUS DANS NOTRE COUPLE. ON N’EST PAS À LA MÊME PLACE DANS NOS VIES. EMMANUEL M’ENCOURAGE, ME POUSSE, M’AIDE.»

la prétention. C’était de la peur, et un petit manque de confiance, peut-être.»

Sur le sujet de la confiance, elle se reprend, préférant changer le mot pour humilité. «Je suis très contente d’avoir étudié en enseigneme­nt, lâche-t-elle avec aplomb. Dans mon métier de comédienne, il est facile de se prendre pour le centre du monde. Depuis que j’ai ce boulot, on prend ma photo, je passe deux entrevues par jour, on s’intéresse à ce que je pense sur toutes sortes de sujets. Entre tout ça, je vais en studio et on me maquille, on me coiffe, on m’habille, on me nourrit, on me demande si j’ai soif... Ce n’est pas le traitement que reçoivent la majorité des gens! C’est trop facile de penser qu’on est au-dessus de tout. La réalité, ce n’est pas ça du tout! Moi, je suis une fille très terre à terre et ben ordinaire.»

«JE SUIS TRÈS CONTENTE D’AVOIR ÉTUDIÉ EN ENSEIGNEME­NT. DANS MON MÉTIER DE COMÉDIENNE, IL EST FACILE DE SE PRENDRE POUR LE CENTRE DU MONDE.»

Quand Antoine Bertrand lui a glissé à l’oreille qu’il la voyait plutôt pour le remplacer, lui, le vertige s’est d’ailleurs calmé. «Pas que remplacer Antoine soit chose facile, insiste Édith, mais je me projetais mieux dans ce rôle-là.» Restait à régler la peur de se voir cantonnée dans un rôle de coanimatri­ce, ou de folle du roi. Est-ce que le nom d’Édith Cochrane allait devenir plus fort qu’elle, l’empêchant ensuite de camper toutes sortes de personnage­s? « Cette chaise a plutôt ouvert des portes à Antoine Bertrand. Non pas que ses talents de comédien se soient révélés par sa brillante coanimatio­n, mais c’est une vitrine et, quand tu es visible, les gens du milieu pensent à toi plus facilement pour te proposer des projets.» Elle a alors questionné son baromètre: est-ce que je vais avoir du fun avec cette équipe-là? La réponse était positive. Elle a fini par écouter son conseiller de toujours: son instinct. «À date, il ne m’a jamais trompée.»

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