FEMME CHERCHE AMIE
AVANT, J’AVAIS DES AMIS. BEAUCOUP D’AMIS. UN CLAN LARGE ET INCLUSIF, LIÉ PAR L’HUMOUR CRU, LA BONNE BOUFFE ET DE RASSURANTS RITUELS.
Nos salons étaient le théâtre de fêtes bruyantes où la semaine de chacun était résumée avec de furieux éclats de rire ou de chaleureuses accolades. Notre groupe disposait d’une ligne téléphonique directe pour les urgences. L’une avait commis une bévue au travail, l’autre revenait de chez la coiffeuse avec une vilaine coupe, et on se rassemblait plus vite que si une alerte nucléaire venait d’être déclenchée. Puis j’ai déménagé.
Par amour, je me suis évadée à 400 km d’Émilie, de Mélanie, de Marie-Ève et des déjeuners jasette qui s’étiraient sur plusieurs bols de latté. »»
Je me doutais bien que, dans ma nouvelle ville, les filles ne formeraient pas une file sur mon perron dans l’espoir de passer une audition pour le rôle de ma meilleure copine. Je devinais que je ne trouverais pas, en claquant des doigts, une âme soeur avec qui échanger des blouses ou cuisiner des sushis à la maison. En déménageant, je savais que je perdais gros. Je ne pensais toutefois pas que ma recherche se transformerait en véritable chasse. En traque patiente, mais souvent vaine, de la bête parfaite. Comment ça se «calle», une BFF?
À l’ère des médias sociaux, on peut facilement souffrir de la comparaison avec une Taylor Swift, photographiée avec une flopée de camarades pâmées à ses pieds. Avouer qu’on passe ses vendredis soirs en tête à tête avec les Gilmore Girls peut faire mal à l’orgueil.
«Un tas de gens vivent pourtant la même réalité, mais ne le reconnaissent pas, soutient Chantale Proulx, chargée de cours en psychologie à l’Université de Sherbrooke. Il faut d’abord se rendre compte que l’amitié est un besoin essentiel: on doit la prioriser au même titre que le travail et la famille. On court après le temps et, dès qu’on dispose de quelques minutes, on lit nos courriels et notre fil Facebook, mais les technologies ne nourrissent pas autant notre besoin de partager et d’entrer en contact avec l’autre.»
Intégrée à un régime de vie, une riche amitié, construite dans les confidences et les rires, peut être aussi bénéfique pour la santé que le yoga et le curcuma. «Passer du temps avec ses amis permet de décrocher de la routine, de la charge familiale, et d’évacuer le stress. En plus de satisfaire nos besoins d’aimer et d’être aimées, ces relations répondent également à nos besoins d’appartenance et d’estime. Ce sont les autres qui nous confirment et nous rassurent. Des personnes plus introverties, qui se nourrissent par les arts ou l’imaginaire, peuvent ressentir un moins grand besoin d’être entourées. En général, cependant, l’isolement peut être une grave menace pour la santé mentale des femmes.»
Il est par ailleurs prouvé que, plus on vieillit, plus notre cercle d’amis rétrécit. Ce qu’on perd en quantité, on le gagne toutefois en qualité. Quand on compte de fidèles complices, on a donc tout intérêt à les conserver. Comment savoir qu’on partage notre amitié avec une perle rare?
«Une amitié réussie est une relation intime, qui se prolonge et dans laquelle on peut évoluer en toute authenticité. On a besoin d’être soutenues dans nos choix, pas constamment confrontées. Ainsi, c’est important d’être entourées de gens aux valeurs semblables aux nôtres et qui sont rendus au même point dans la vie», suggère Chantale Proulx.
À l’âge adulte, les cercles d’amis sont tissés serré et s’avèrent souvent difficiles à percer. Les collègues comptent souvent déjà sur des proches et ont une banque de temps libre limitée. Pourquoi, alors, laisseraient-elles entrer une étrangère? Quand on est enfant, la chose est pourtant simple: j’ai une Barbie, tu as un Ken, soyons copines. Et en route pour des après-midi de roman-savon!
«Avec l’âge, on perd de notre spontanéité. On s’impose tout un cérémonial pour recevoir l’autre chez soi. On cherche moins à rencontrer de nouvelles personnes qu’à approfondir des relations existantes, dans son couple ou sa famille. Il faut juste réapprendre à ouvrir sa porte», estime la psychologue.
Pour la nouvelle année, je prends donc la résolution d’approcher la rousse qui a ri de toutes mes blagues à la dernière réunion du comité. La prochaine fois que sa coiffeuse ratera son balayage, elle m’appellera peut-être à son secours!