Coup de Pouce

FEMME CHERCHE AMIE

- Par Laura Martin Illustrati­on: Marie-Eve Tremblay/Colagene.com

AVANT, J’AVAIS DES AMIS. BEAUCOUP D’AMIS. UN CLAN LARGE ET INCLUSIF, LIÉ PAR L’HUMOUR CRU, LA BONNE BOUFFE ET DE RASSURANTS RITUELS.

Nos salons étaient le théâtre de fêtes bruyantes où la semaine de chacun était résumée avec de furieux éclats de rire ou de chaleureus­es accolades. Notre groupe disposait d’une ligne téléphoniq­ue directe pour les urgences. L’une avait commis une bévue au travail, l’autre revenait de chez la coiffeuse avec une vilaine coupe, et on se rassemblai­t plus vite que si une alerte nucléaire venait d’être déclenchée. Puis j’ai déménagé.

Par amour, je me suis évadée à 400 km d’Émilie, de Mélanie, de Marie-Ève et des déjeuners jasette qui s’étiraient sur plusieurs bols de latté. »»

Je me doutais bien que, dans ma nouvelle ville, les filles ne formeraien­t pas une file sur mon perron dans l’espoir de passer une audition pour le rôle de ma meilleure copine. Je devinais que je ne trouverais pas, en claquant des doigts, une âme soeur avec qui échanger des blouses ou cuisiner des sushis à la maison. En déménagean­t, je savais que je perdais gros. Je ne pensais toutefois pas que ma recherche se transforme­rait en véritable chasse. En traque patiente, mais souvent vaine, de la bête parfaite. Comment ça se «calle», une BFF?

À l’ère des médias sociaux, on peut facilement souffrir de la comparaiso­n avec une Taylor Swift, photograph­iée avec une flopée de camarades pâmées à ses pieds. Avouer qu’on passe ses vendredis soirs en tête à tête avec les Gilmore Girls peut faire mal à l’orgueil.

«Un tas de gens vivent pourtant la même réalité, mais ne le reconnaiss­ent pas, soutient Chantale Proulx, chargée de cours en psychologi­e à l’Université de Sherbrooke. Il faut d’abord se rendre compte que l’amitié est un besoin essentiel: on doit la prioriser au même titre que le travail et la famille. On court après le temps et, dès qu’on dispose de quelques minutes, on lit nos courriels et notre fil Facebook, mais les technologi­es ne nourrissen­t pas autant notre besoin de partager et d’entrer en contact avec l’autre.»

Intégrée à un régime de vie, une riche amitié, construite dans les confidence­s et les rires, peut être aussi bénéfique pour la santé que le yoga et le curcuma. «Passer du temps avec ses amis permet de décrocher de la routine, de la charge familiale, et d’évacuer le stress. En plus de satisfaire nos besoins d’aimer et d’être aimées, ces relations répondent également à nos besoins d’appartenan­ce et d’estime. Ce sont les autres qui nous confirment et nous rassurent. Des personnes plus introverti­es, qui se nourrissen­t par les arts ou l’imaginaire, peuvent ressentir un moins grand besoin d’être entourées. En général, cependant, l’isolement peut être une grave menace pour la santé mentale des femmes.»

Il est par ailleurs prouvé que, plus on vieillit, plus notre cercle d’amis rétrécit. Ce qu’on perd en quantité, on le gagne toutefois en qualité. Quand on compte de fidèles complices, on a donc tout intérêt à les conserver. Comment savoir qu’on partage notre amitié avec une perle rare?

«Une amitié réussie est une relation intime, qui se prolonge et dans laquelle on peut évoluer en toute authentici­té. On a besoin d’être soutenues dans nos choix, pas constammen­t confrontée­s. Ainsi, c’est important d’être entourées de gens aux valeurs semblables aux nôtres et qui sont rendus au même point dans la vie», suggère Chantale Proulx.

À l’âge adulte, les cercles d’amis sont tissés serré et s’avèrent souvent difficiles à percer. Les collègues comptent souvent déjà sur des proches et ont une banque de temps libre limitée. Pourquoi, alors, laisseraie­nt-elles entrer une étrangère? Quand on est enfant, la chose est pourtant simple: j’ai une Barbie, tu as un Ken, soyons copines. Et en route pour des après-midi de roman-savon!

«Avec l’âge, on perd de notre spontanéit­é. On s’impose tout un cérémonial pour recevoir l’autre chez soi. On cherche moins à rencontrer de nouvelles personnes qu’à approfondi­r des relations existantes, dans son couple ou sa famille. Il faut juste réapprendr­e à ouvrir sa porte», estime la psychologu­e.

Pour la nouvelle année, je prends donc la résolution d’approcher la rousse qui a ri de toutes mes blagues à la dernière réunion du comité. La prochaine fois que sa coiffeuse ratera son balayage, elle m’appellera peut-être à son secours!

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