Coup de Pouce

MOI, IMPATIENTE?

NOUS NE SOMMES PEUT-ÊTRE PAS TOUTES DES PERSONNES IMPATIENTE­S, MAIS NOUS ÉPROUVONS TOUTES DE L’IMPATIENCE À L’OCCASION… D’OÙ VIENT-ELLE ET COMMENT LA DOMPTER POUR ÉVITER QU’ELLE NOUS EMPOISONNE LA VIE?

- Par Amélie Cournoyer

Pas une journée ne se passe sans que je ressente de l’impatience: que ce soit envers mes enfants qui prennent trop de temps à s’habiller le matin, le retour de courriel qui ne se fait pas assez vite à mon goût, mon chum qui a encore oublié de baisser l’abattant de la toilette, les gens en retard aux rendez-vous, et j’en passe! En y repensant, je réalise que, si je suis aussi impatiente, c’est parce que j’essaie continuell­ement d’optimiser mon précieux temps et que tout ce qui m’en empêche m’irrite au plus haut point. Et je ne suis pas la seule...

L’ÈRE DE L’INSTANTANÉ­ITÉ

Selon les chercheurs, si l’impatience est une émotion qui risque de prendre une place croissante dans notre vie, c’est en grande partie à cause des nouvelles technologi­es. Un professeur en informatiq­ue de l’Université du Massachuse­tts à Amherst, qui a examiné en

2012 les habitudes de 6,7 millions d’internaute­s de toute la planète, a noté que ceux-ci commençaie­nt à abandonner le télécharge­ment d’une vidéo après...

2 secondes d’attente. Rendus à 10 secondes, la moitié d’entre eux changeaien­t de site web.

«On ne vit pas dans une société qui aime attendre. On veut tout, tout de suite», affirme Hugues Simard, psychologu­e organisati­onnel et président fondateur de Développem­ent Optimum, qui a, quant à lui, constaté une augmentati­on considérab­le du degré d’intoléranc­e et de stress en milieu de travail. «On est dans une ère de l’instantané­ité, poursuit-il. Notre rapport au temps a beaucoup changé depuis l’arrivée des nouvelles technologi­es. Celles-ci ont énormément accéléré le rythme de notre vie, ce qui fait qu’on ne tolère plus les délais.»

Des experts interrogés par le Pew Research Center’s internet & American Life Project et l’Université Elon, en Caroline du Nord, à propos de l’impact de notre vie hyper connectée sur la génération des milléniaux, prédisent comme effets négatifs «la recherche de la gratificat­ion immédiate, le contenteme­nt de choix rapides et le manque de patience». Tiens, tiens!

UNE TENSION INTÉRIEURE

«Les gens en ont de plus en plus sur leurs épaules, ils s’imposent des exigences toujours plus élevées, et ce, à tous les niveaux, autant leur carrière, leur famille, leur apparence physique, etc. En se coinçant ainsi, ils augmentent leur niveau de stress et d’anxiété, ce qui les rend plus susceptibl­es d’être impatients», fait remarquer Marie-Hélène St-Hilaire, psychologu­e.

Même les plus patientes d’entre nous peuvent perdre leur belle vertu à l’occasion. Le stress, l’anxiété, mais aussi la fatigue, la faim, les changement­s hormonaux (comme le fameux SPM!) et la maladie sont autant de facteurs qui mènent la vie dure à notre zénitude et à notre maîtrise de soi. Mais c’est aussi une question de personnali­té. «Par exemple, les personnes qui gèrent moins bien leurs émotions et celles qui sont très exigeantes, contrôlant­es ou impulsives vont se montrer plus souvent impatiente­s que la moyenne des gens», constate Hugues Simard.

Il faut aussi dire que les causes de l’impatience sont relatives: l’irritant de l’une n’est pas nécessaire­ment celui de l’autre. Certaines passent par exemple des heures à retaper un meuble, à tricoter un chandail maille par maille ou à faire des casse-têtes de 18 000 morceaux, mais sont agacées au plus haut point par leur connexion internet qui ralentit ou le service trop long au restaurant. D’autres vont montrer une patience d’ange au travail — les infirmière­s avec leurs patients, par exemple —, alors qu’elles s’énervent presque tous les jours contre leurs enfants qui leur font perdre du temps lors des préparatif­s du matin.

«L’impatience se manifeste quand une situation ne se déroule pas à notre goût. On cherche alors à diminuer l’écart entre la situation qu’on voudrait qui soit et celle qui est, ce qui crée une tension intérieure», soutient pour sa part la psychologu­e clinicienn­e Marielle Paradis. »»

QUAND LA MOUTARDE NOUS MONTE AU NEZ…

La façon d’accueillir cette émotion dépend beaucoup de notre humeur du moment et des circonstan­ces. Lors d’une belle journée de congé, alors que notre moral est au top, même la madame devant nous au dépanneur qui demande à la caissière de valider ses dizaines de billets de loterie n’arrivera pas à nous faire sortir de nos gonds. Par contre, si la madame ose faire la même chose un soir de semaine où l’on est déjà en retard pour aller chercher le petit dernier à la garderie, il est fort possible que la moutarde nous monte au nez sans délai!

Quand ça arrive, nous ne manifeston­s pas toutes notre impatience de la même façon ni avec la même intensité. Soupirer, rouler les yeux vers le haut, taper du pied... un léger énervement qui part aussi vite qu’il est venu est souvent sans conséquenc­e sur soi et les autres. Mais chez certaines personnes, l’impatience peut prendre des proportion­s démesurées: exploser de colère, être brusque envers l’autre, laisser échapper des paroles blessantes; tout cela peut entraîner des répercussi­ons négatives sur le couple, la famille, les proches et soi-même. Au lieu de régler la situation, l’impatience l’empire en la rendant encore plus désagréabl­e et stressante pour tout le monde.

«L’émotion est là de toute façon, alors on a le choix: soit on lutte pour ne pas la ressentir, soit on l’accueille, même si elle est désagréabl­e. Accepter l’émotion qu’on vit peut déjà nous amener un certain apaisement, explique Marielle Paradis. On ne peut pas contrôler l’impatience, malheureus­ement, on peut juste apprendre à être patiente avec notre impatience.»

LES QUALITÉS DE NOS DÉFAUTS

Succomber à l’impatience, ça arrive à tout le monde, certes, mais ça ne nous amène généraleme­nt pas à prendre les meilleures décisions. En effet, qui n’a jamais changé de file d’attente dans l’espoir d’avancer plus vite, pour finalement voir la personne qui était derrière nous passer à la caisse en premier; qui ne s’est jamais brûlé la langue parce qu’elle n’a pas su attendre que sa soupe ou son café refroidiss­e, et qui n’a jamais ruiné une relation amoureuse en cherchant à s’engager trop rapidement?

Heureuseme­nt, l’impatience n’est pas toujours négative. «Une émotion arrive rarement par hasard. Le plus souvent, elle nous transmet de l’informatio­n pertinente sur ce qui compte pour nous. Accueillir cette émotion pour tenter d’identifier les éléments de notre personnali­té, de nos valeurs ou de nos besoins qui ne sont pas comblés s’avère parfois très éclairant pour nous apporter des solutions viables à long terme. Tandis que tenter de nous débarrasse­r d’une émotion nous amène la plupart du temps à agir avec impulsivit­é», dit Hugues Simard.

La chercheuse et clinicienn­e Marie-Hélène St-Hilaire de conclure: «L’impatience est en partie ce qui a fait avancer nos sociétés. Si les gens étaient toujours restés dans la patience, on n’aurait jamais obtenu l’égalité des sexes ou mis fin à l’esclavage, par exemple. L’impatience peut être instigatri­ce de changement­s bénéfiques.»

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