Coup de Pouce

LE NOUVEAU VISAGE DE L’ADOPTION INTERNATIO­NALE

EN 10 ANS, LE NOMBRE D’ADOPTIONS A CHUTÉ DE MANIÈRE DRACONIENN­E AU QUÉBEC. ET LES BÉBÉS OU TRÈS JEUNES ENFANTS EN PARFAITE SANTÉ SE FONT DE PLUS EN PLUS RARES. POURQUOI? EST-IL TOUJOURS POSSIBLE D’ADOPTER À L’INTERNATIO­NAL? ET SURTOUT, À QUOI DOIVENT S’AT

- par Maude Goyer »»

Isabelle, comme bien des parents qui choisissen­t l’adoption internatio­nale, a vécu des hauts et des bas extrêmes tout au long des procédures. Le plus difficile? L’attente. Les retards. Les reports et les changement­s de cap. «Rien ne se passe jamais comme prévu, chaque étape est un défi», raconte la femme de 37 ans. «C’est la pire et la plus belle histoire d’amour! Ma fille et moi nous sommes apprivoisé­es, et c’est une grande victoire. Je me sens privilégié­e», conclut celle qui a adopté à Haïti en 2018. Elle et son enfant ont enfin été réunis au bout de quatre ans de démarches. Depuis que certains pays ont resserré leurs règles, les délais d’attente – qui se sont toujours comptés en terme d’années – peuvent désormais s’échelonner sur huit ans.

Pourquoi en est-il ainsi? Est-ce que l’adoption internatio­nale est devenue un projet difficile? Oui et non, répond Josée-Anne Goupil, directrice générale au Secrétaria­t à l’adoption internatio­nale (SAI). «Aller chercher un enfant à l’étranger est le résultat d’une mesure de protection de l’enfant, dit-elle. Il ne faut pas perdre ce concept de vue.» Depuis l’accord de la Convention de La Haye, survenu en

1993, les règles en matière d’adoption internatio­nale se sont clarifiées – et resserrées, particuliè­rement ces

10 dernières années. «Auparavant, les enfants sortaient trop rapidement des pays, résume Jean-François Chicoine, pédiatre au CHU Sainte-Justine et spécialisé en adoption internatio­nale depuis près de 30 ans. Cela a donné lieu, dans certains cas, à des situations où les parents se rendaient directemen­t dans les pays pour faire du trafic d’enfants. Avec les années, le processus a été rendu plus éthique. Je dirais que les risques sont mieux évalués.»

Certains pays ont connu un essor économique. D’autres ont modifié leurs politiques familiales ou leurs règles d’adoption nationale. Par exemple, la Chine a revu sa politique interne de l’enfant unique. Cette mesure, qui visait à freiner l’augmentati­on de la population chinoise, exigeait la mise en adoption des seconds enfants. Inévitable­ment, sa révocation a fait baisser le nombre d’enfants placés en adoption. «En 2003, au Québec, il y a eu 908 enfants adoptés à l’internatio­nal, et environ la moitié d’entre eux venaient de Chine», souligne Mme Goupil. En 2017, le Québec a enregistré 153 cas d’adoptions internatio­nales, dont 26 en Chine, selon le rapport «L’adoption internatio­nale au Québec» du ministère de la Santé et des Services sociaux. L’âge moyen des enfants était de 50 mois (un peu plus de 4 ans), selon le SAI.

Isabelle et son conjoint, qui souhaitaie­nt adopter au Mali, ont dû y renoncer à cause de la guerre civile qui secouait le pays. «Cela faisait deux ans et demi que nous attendions, explique-t-elle. Mais les lois ont changé, et ce n’était plus possible d’adopter dans ce pays. On s’est alors tournés vers Haïti.» Une grève et une «perte de dossier» ont là aussi retardé le processus d’adoption. «Nous avons été sans nouvelles pendant de longs mois, révèle cette résidente des Laurentide­s. J’essayais de garder espoir mais, forcément, tu viens à te demander: et si je n’étais pas faite pour cela? Et si c’était un signe qu’il faut tout arrêter? Ça prend du support… et une bonne dose de résilience!»

Les démarches: ce qu’il faut faire

En tout, 21 pays sont ouverts à l’adoption au Québec en ce moment. Chacun a ses exigences bien précises. Pour commencer un processus, la meilleure chose à faire est de consulter le site du SAI. Les 12 étapes de la démarche, comprenant les procédures une fois l’enfant arrivé en sol québécois, y sont expliquées en détail.

La première étape, et l’une des plus importante­s, est de déterminer son projet d’adoption. «Est-ce que je veux un enfant seul ou une fratrie? De quel pays? Suis-je ouverte à accueillir un enfant ayant des besoins spéciaux?» énumère Sylvie Samson, travailleu­se sociale.

Mme Samson accompagne des parents adoptants depuis 14 ans. Elle a vu toutes sortes de cas et a été témoin de scénarios merveilleu­x… et horribles. Les ruptures d’adoption, quoique rares, existent. Cela survient quand le parent adoptant, désespéré et à bout de ressources, rompt le lien familial et remet son enfant à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). L’enfant est pris en charge par l’État et vivra en centre jeunesse jusqu’à sa majorité, à moins qu’il ne soit adopté à nouveau (via l’adoption nationale). Selon le Dr Chicoine, des études montrent que les ruptures de filiation

«Aller chercher un enfant à l’étranger est le résultat d’une mesure de protection de l’enfant. Il ne faut pas perdre ce concept de vue.» — JOSÉE-ANNE GOUPIL

surviennen­t dans 5 % des cas. «Je crois que les parents adoptants s’informent davantage qu’avant. Ils suivent plus de formations, lisent plus sur le sujet et poussent leurs réflexions plus loin. Bref, ils sont plus lucides», note-t-il.

Les conditions: ce que ça prend

Parmi les caractéris­tiques recherchée­s chez les futurs parents, les experts s’entendent pour dire qu’il faut un couple solide, uni, qui partage ce même désir d’adoption (quelques pays, comme le Vietnam et Haïti, acceptent les personnes seules, mais c’est rare). «Les personnes doivent avoir fait le ménage dans leur vie, ajoute le Dr Chicoine, elles doivent avoir fait le tour de leurs propres bébittes.» Mme Samson abonde dans le même sens: «Il faut avoir une grande maturité affective pour être en mesure d’accompagne­r adéquateme­nt l’enfant», souligne-t-elle.

Outre l’ouverture d’esprit, le respect, la bienveilla­nce et l’amour des enfants, les couples doivent également avoir une certaine latitude profession­nelle. Et être financière­ment prêts. Qu’on se le dise: adopter coûte cher, de 28 000 $ à 37 000 $ en moyenne, selon le site du SAI. L’opération peut même atteindre 57 000 $. Isabelle refuse de chiffrer son expérience d’adoption. Elle confirme que cela coûte «très cher» et précise qu’elle ne regrette rien.

Des enfants différents

Sylvie Samson insiste sur le fait que les parents qui souhaitent adopter doivent avoir fait le deuil de l’enfant modèle et de la famille «parfaite». «Les défis liés à l’adoption sont différents de ceux liés à la famille biologique, explique-t-elle. L’enfant ne vient pas d’un milieu aimant et sécurisant… Il faut en être conscient et choisir l’adoption, non pas la subir.»

Le Dr Chicoine rappelle lui aussi que les enfants possèdent déjà un certain bagage. «Les enfants adoptés arrivent en carence affective, ils ont été mal nourris, négligés, abandonnés et sont sous-développés, dit-il. Plusieurs ont en plus des besoins dits “spéciaux”, comme des retards moteurs, des troubles sensoriels, des handicaps physiques ou des troubles d’apprentiss­age.»

Un portrait pas très rose mais réaliste, auquel les parents doivent se préparer. Mme Samson insiste: c’est aux parents adoptants de bien réfléchir à ce qu’ils veulent ou ne veulent pas. «Le danger, c’est d’être obnubilé par son désir d’enfant, de vouloir un enfant à tout prix quitte à aller au-delà de ses limites», dit-elle.

Pour Isabelle, l’attente et les inquiétude­s ne sont rien comparativ­ement au bonheur d’avoir sa petite sous son toit.

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