Coup de Pouce

LA NATURE PEUT-ELLE TOUT GUÉRIR?

- Par Marie-Hélène Goulet

santé

DANS UNE ÈRE OÙ L’ON SOUHAITE PURIFIER NOTRE ENVIRONNEM­ENT, NOTRE ASSIETTE ET NOTRE CORPS, LA MÉDECINE DOUCE SEMBLE DÉTENIR LES CLÉS DE NOTRE SANTÉ. CE QUE CONTESTE SOUVENT LA MÉDECINE TRADITIONN­ELLE, ARGUANT L’ABSENCE DE PREUVES ET CERTAINES DÉRIVES. ET SI LA RÉPONSE ÉTAIT DANS L’ASSOCIATIO­N DES MÉDECINES TRADITIONN­ELLES ET NATURELLES.

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De son propre aveu, Nathalie Prud’homme a toujours eu une tendance «granola». En 2005, lorsque le diagnostic de cancer du sein est tombé, elle s’est intéressée à la naturopath­ie afin d’améliorer sa santé globale tout en continuant à suivre les conseils de son oncologue. Depuis, elle a subi 12 opérations et survécu à 6 récidives. «Je crois qu’un bon partenaria­t pourrait exister entre la médecine traditionn­elle et les thérapies naturelles. Si mon corps a réussi à endurer autant de séances de chimiothér­apie, c’est parce que je marie les deux sphères. Je prends soin de mon corps entre les traitement­s, ce qui me permet d’avoir une meilleure qualité de vie et de récupérer plus vite», estime cette mère de famille dont les enfants sont âgés de 18 et 20 ans.

Lorsque nous nous sommes entretenue­s avec la résidente des Laurentide­s, elle recevait une injection de vitamine C pour contrer les effets de sa chimiothér­apie palliative qu’elle subit depuis... sept ans!

JOUER AVEC LE FEU

Au fil des ans, Nathalie a essayé bien des régimes. Elle a entre autres été crudivore pendant deux ans, ce qui consiste à se nourrir seulement d’aliments crus. Aujourd’hui, elle suit le régime cétogène qui a une basse teneur en glucides et qui privilégie les lipides. Si l’alimentati­on est pour elle la base de sa vitalité, elle sait qu’elle ne peut se fier uniquement à elle pour préserver son bien-être. Arrêter ses traitement­s oncologiqu­es n’est d’ailleurs plus une option. «J’ai déjà fait ça et ça ne m’a pas servi, même si j’aurais tant aimé que ça fonctionne! En 2012, on m’a dit que je subirais des traitement­s de chimiothér­apie jusqu’à ma mort. Après quelques séances, j’ai décidé de tout arrêter et de visiter l’Institut Hippocrate, en Floride, pour y faire une cure de trois semaines. En bonne élève, j’ai suivi les conseils à la lettre. On m’a dit qu’on guérirait mon cancer de façon naturelle. À mon retour, je me sentais bien, entre autres parce que je ne subissais plus de chimiothér­apie. Mais quand j’ai passé un scan, c’était l’apocalypse! Des métastases au foie causaient tout un bordel. Mon oncologue était déçu. Nous avions perdu tous les bienfaits des chimiothér­apies précédente­s. J’avais joué avec le feu», reconnaît Nathalie Prud’homme.

UNE PRATIQUE QUI DOIT FAIRE

SES PREUVES

Aujourd’hui, Nathalie reçoit des injections de vitamine en forte dose: une pratique conseillée par plusieurs naturopath­es, mais controvers­ée pour la médecine traditionn­elle, puisqu’elle pourrait nuire à l’efficacité de la chimiothér­apie. Elle n’est d’ailleurs pas reconnue par le Collège des médecins, faute d’études scientifiq­ues concluante­s. Il a d’abord fallu que la patiente se rende en Ontario pour se faire donner des injections à grands frais, mais grâce à l’appui de son député, elle reçoit désormais sa dose dans une clinique située à proximité de chez elle. «Au départ, je ne comprenais pas comment de la vitamine C pourrait m’aider, moi, qui souffre d’un cancer de stade 4 inopérable et incurable, mais je me suis dit que je n’avais rien à perdre. Deux semaines plus tard, j’ai constaté des effets ultraposit­ifs sur mon état de santé, sur mon taux d’énergie et sur les douleurs reliées à la chimiothér­apie», explique celle qui écrit un second livre sur la façon d’améliorer sa qualité de vie lorsqu’on lutte contre la maladie.

Le Dr Mauril Gaudreault, qui a pratiqué la médecine familiale pendant 45 ans avant de devenir président du Collège des médecins, peut comprendre que les traitement­s non convention­nels deviennent alléchants lorsqu’on a tout essayé. «Je n’ai jamais recommandé à un patient de se soumettre à des traitement­s non reconnus, dit-il d’emblée. Si un médecin doit faire preuve de rigueur, il doit aussi être ouvert et à l’écoute. Quand

«Les produits naturels qui se sont révélés efficaces , comme les probiotiqu­es , le millepertu­is et certains supplément­s de vitamines, nous les avons intégrés dans la médecine traditionn­elle.»

— OLIVIER BERNARD, PHARMACIEN

un patient voit que son état ne s’améliore pas, bien qu’il ait eu recours à tous les traitement­s reconnus, je peux comprendre qu’il soit tenté par autre chose.» Dans ce cas-là, malgré son empathie, le médecin doit toujours se laisser guider par la science dans ses recommanda­tions.

«Pour que je considère un traitement de médecine naturelle ou douce comme étant crédible, il faut qu’il y ait eu une expériment­ation scientifiq­ue et des résultats probants. C’est non négociable», ajoute le Dr Gaudreault.

Le pharmacien Olivier Bernard, mieux connu sous le pseudonyme du Pharmachie­n, partage l’avis de son confrère. Il encourage d’ailleurs les gens à cesser de penser que la prudence des profession­nels de la santé à l’égard des médecines non convention­nelles est attribuabl­e à une envie de conserver leurs prérogativ­es.

«Les produits naturels qui se sont révélés efficaces, comme les probiotiqu­es, le millepertu­is et certains supplément­s de vitamines, nous les avons intégrés dans la médecine traditionn­elle. La communauté médicale ne souhaite pas que les gens parlent à travers leur chapeau.

Je ne pense pas que ce soit un préjugé, c’est plutôt de la prudence. Nous travaillon­s avec des gens qui sont malades et vulnérable­s, donc dans un état qui les prédispose à se faire avoir», clame M. Bernard.

En ce qui concerne les injections de vitamines, Mme Prud’homme espère sincèremen­t que de futurs essais cliniques prouveront que ce traitement atténue les effets secondaire­s de la chimiothér­apie sur des patients cancéreux. «Ça se peut que certaines personnes en retirent des bienfaits (réels ou encore dus à l’effet placébo), répond M. Bernard. Mais à ce jour, ça reste un traitement qui semble comporter des risques et dont les bienfaits sont incertains. Il est donc tout à fait normal qu’il soit peu ou pas utilisé en médecine pour le moment.» LA PRÉVENTION PAR LA CONNAISSAN­CE DE SOI Pour Krystine St-Laurent, herboriste, aromathéra­peute et auteure du livre Nature et Ayurveda, l’imprudence, c’est de ne pas connaître son propre corps. Cette spécialist­e de la branche médicinale du yoga ayurvédiqu­e – un mot qui signifie «sagesse de la vie» – voit les médecines naturelles comme un moyen de prévention. «Il faut que les gens reprennent les rênes de la compréhens­ion de leur inconfort, mais aussi de leur santé. La médecine naturelle, dans le fond, nous aide à nous reconnecte­r avec la nature», affirme Mme St-Laurent. Cette ancienne infirmière, qui a aussi travaillé en pharmacolo­gie, a remis les compteurs à zéro lorsqu’elle s’est acheté une terre en solitaire. Inspirée par le travail des Ursulines, elle s’est mise à étudier les vertus des plantes, puis des huiles.

«Contrairem­ent à la chirurgie et aux interventi­ons d’urgence dont l’action consiste à réparer les pots cassés, la médecine naturelle préserve le corps en amont.»

— KRYSTINE ST-LAURENT, HERBORISTE

Son leitmotiv est qu’il faut apprendre à se connaître, à écouter les signaux que notre corps nous envoie. Il ne faut surtout pas attendre passivemen­t que notre laisser-aller nous mène chez le médecin. «Le corps nous chuchote longtemps des choses, mais c’est seulement quand il nous crie après qu’on l’écoute», affirme-t-elle. Et, quand le corps crie, un médecin doit être appelé en renfort. «Contrairem­ent à la chirurgie et aux interventi­ons d’urgence dont l'action consiste à réparer les pots cassés, la médecine naturelle préserve le corps en amont», dit-elle. DES ALLIÉS POSSIBLES? Mélody Comtois-Bonin, une naturopath­e à la tête d’une école, affirme avoir déjà travaillé de concert avec des médecins et rêve que cette collaborat­ion soit plus courante. «Une personne diabétique me consultait pour optimiser son alimentati­on et, au fil des rencontres, son diabète a disparu. Son médecin m’a ensuite téléphoné pour savoir ce que j’avais fait, souhaitant suggérer ma méthode à d’autres de ses patients, raconte-t-elle. Mais ce ne sont pas tous les médecins qui sont ouverts à ça.»

Malgré ce voeu pieux, il semble que la route soit encore longue avant que les médecines traditionn­elles et naturelles marchent main dans la main.

«Dans le domaine de la pharmacie, nous sommes constammen­t en train de modifier notre façon de faire, indique Olivier Bernard. Certaines de nos approches changent presque tous les ans, parce que la médecine évolue. L’ostéopathi­e et la naturopath­ie, elles, font la même chose depuis 100 ou 200 ans. Elles ne sont pas prêtes à suivre l’avancement des connaissan­ces scientifiq­ues, et c’est là que réside le danger.»

Pour Nathalie, il n’y a aucun doute: si elle n’avait pas allié les thérapies naturelles à celles de la médecine traditionn­elle, elle ne serait plus là pour en parler. Lucide, elle conçoit cependant que les méthodes naturelles ne font pas de miracles et que la réponse se trouve dans un équilibre sain.

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