Coup de Pouce

CHANGER DE VIE

IL Y A DES PERSONNES QUI DONNENT L’IMPRESSION D’AVOIR VÉCU BIEN PLUS QU’UNE SEULE VIE. DES PERSONNES QUI ONT CE POUVOIR DE RENAÎTRE MALGRÉ LES OBSTACLES, QUI SONT DE GRANDES RÉSILIENTE­S. EN VOICI TROIS.

- Par Isabelle Bergeron | Photos: Marc-Antoine Charlebois/c

«Je me suis toujours entraînée, pas pour perdre du poids, mais parce que ça me faisait du bien. Et là, je n’y arrivais plus. Ç’a été dur.» — ANNABELLE ORSINI

PARCE QUE LA VIE EST SAVOUREUSE, TOUT SIMPLEMENT

Déjà, au secondaire, il y avait ce léger brouillard qui planait au-dessus de sa tête. Comme un mal-être. Qui a fini par se traduire, vers la fin du secondaire, par de l’anorexie. Mais ça, Annabelle Orsini l’ignorait encore. D’autant que les années de cégep, la jeune femme de 24 ans les a vécues assez sereinemen­t. «Mais au début de l’université, il y a eu un gros creux, raconte-t-elle. Je ne mangeais presque plus, j’étais anxieuse, mal dans ma peau. Et l’affaire, avec l’anorexie, c’est que moins on mange, plus on se sent fière parce qu’on a l’impression d’être en contrôle.» À l’extérieur, bien des choses échappaien­t à la jeune femme, la séparation de ses parents par exemple. «Ç’a sûrement été un élément déclencheu­r, mais je ne le voyais pas sur le coup», explique-t-elle.

Annabelle taisait à sa mère ses problèmes et son angoisse. À son chum de l’époque, bien difficile de cacher le fait de ne pas manger, le fait que ça n’allait pas du tout. «Il tentait de m’aider, ma meilleure amie aussi, mais il a fallu cette fameuse crise de panique devant un bol de salade pour me faire réellement craquer», raconte Annabelle. Elle s’est alors confiée à sa mère. Celle-ci l’a forcée à demander de l’aide profession­nelle. Annabelle l’a fait, mais sans grande conviction. «Ça ne venait pas encore de moi; c’est pour ça que ça ne marchait pas vraiment.» C’est venu d’elle lorsqu’un jour, au gym, elle n’arrivait plus à soulever une charge qui habituelle­ment ne lui posait aucun problème. «Je me suis toujours entraînée, pas pour perdre du poids, mais parce que ça me faisait du bien. Et là, je n’y arrivais plus. Ç'a été dur.» Assez dur pour qu’elle fasse appel à une clinique de Lévis et y reste cinq jours en thérapie. «Ç’a été le levier pour m’en sortir, dit-elle. À ce moment-là, j’ai décidé d’être

100 % transparen­te et de me laisser aider.» C’était en

2015. À la suite de ce séjour, Annabelle a poursuivi sa remontée. Auprès d’experts, en travaillan­t sur ellemême, en continuant d’aller au gym. «Quand je m’entraîne, j’oublie tout le reste, dit-elle. Ça me permet aussi de me dépasser.» Ce qu’elle fait d’ailleurs avec succès, puisque Annabelle participe à des compétitio­ns de CrossFit... et les gagne! Bientôt, elle terminera sa technique policière. «J’ai trop hâte!» Il arrive que le «léger brouillard» revienne assombrir ses pensées. La différence, aujourd’hui, est qu’il ne fera plus obstacle à la lumière. «Je me connais, et je sais désormais comment m’en détourner pour rester dans le positif. Et du positif, il y en a beaucoup», assure la jeune femme.

TRAVERSER LES FRONTIÈRES VERS UNE AUTRE VIE

En 2007, Yenny et Marco Lopez déposaient une demande d’immigratio­n au Canada à titre de travailleu­rs qualifiés. Yenny avait étudié en finances et en relations internatio­nales, et Marco était ingénieur civil. Ils voyaient l’avenir au Canada meilleur que celui qu’ils pouvaient espérer en Colombie, pour eux et pour leurs filles, alors âgées de quatre et cinq ans. Ils ont cependant changé d’idée peu de temps après, un déracineme­nt n’étant pas si facile à accepter. Mais le destin leur a un peu forcé la main.

En Colombie, les conflits armés qui sévissent depuis plusieurs décennies ont entraîné la mort de nombreux civils, dont le beau-père de Yenny, en 2004. Or, en 2008, le gouverneme­nt avait mis sur pied des audiences invitant les proches de victimes à dénoncer. «On ne voulait mettre personne en danger, alors on a aussitôt redéposé notre demande d’immigratio­n», explique Yenny.

En 2009, la famille Lopez a débarqué dans le Québec qu’ils avaient vu en images et qui évoquait pour eux la paix, la tranquilli­té, l’émerveille­ment. Ce qu’ils ont trouvé, mais au prix d’énormément d’efforts et de persévéran­ce. «Non, ça n’a pas été facile, mais ça m’a fait fleurir, dit Yenny. Comme si je sortais d’une coquille.» Des mois pour maîtriser la langue. Un retour aux études en géomatique pour Marco. Plusieurs refus d’emploi essuyés. Des mois de séparation, Marco étant allé étudier à Sept-Îles pendant un certain temps. Mais, toujours, la foi accrochée au coeur. Et l’amour. «Marco et moi, on s’est rencontrés quand j’avais 17 ans. Tout ce qu’on a vécu, tout ce qu’on a traversé nous a rendus encore plus forts et plus proches.» Leur troisième fille s’est pointé le nez en 2010. Un cadeau. «Notre famille a toujours été notre priorité, et c’est ce qui nous a tenus, qui a fait en sorte qu’on ne lâche jamais.»

Des obstacles, certes, ont jalonné le parcours de Yenny et de son mari. Mais il y a eu également beaucoup de lumière. «Je ne suis pas du genre à rester les bras croisés, dit-elle. J’ai fait du bénévolat, je me suis fait des amis, je me suis bâti un réseau.» En 2014, Yenny décrochait un emploi à l’organisme Service d’aide aux Néo-Canadiens comme coordonnat­rice de la banque de bénévoles. Le couple a acheté une maison. En 2015, ils ont obtenu leur citoyennet­é canadienne. Marco occupera prochainem­ent l’emploi dont il rêvait, celui de constructe­ur officiel pour l’Armée canadienne. Les filles? «Ce sont des ados! Elles vont bien, elles sont très proches.» Un noyau tissé serré, resté solide tout le temps. «Je crois profondéme­nt que le chemin parcouru fait de nous ce que nous sommes, dit Yenny. Et que l’espoir en un avenir meilleur garde notre colonne vertébrale bien droite!»

«Je crois profondéme­nt que le chemin parcouru fait de nous ce que nous sommes.» — YENNY LOPEZ

UN TOIT SUR LA TÊTE, DE L’AMOUR DANS LE COEUR

Lorsqu’elle est arrivée à La rue des Femmes, en 2007, Ginette Girard était à moitié morte. Elle avait tout perdu. «En 2006, j’avais perdu le contrôle de ma vie», admet la femme de 65 ans. Plus d’argent ni de logement. Ginette a vécu neuf ans sans domicile fixe. Elle dormait chez un ami, sa soeur, une connaissan­ce, un autre ami… Un peu comme un radeau qui ballotte au gré des courants, Ginette vivait au gré des autres. En survie. Oui, il y a eu cette enfance passée dans le tordeur et tous ces semblants d’échappatoi­re pour fuir le plus loin possible. Oui, il y a eu ce vide à l’intérieur qui semblait sans fond mais qui, un peu par miracle, s’est peu à peu rempli.

La porte de La rue des Femmes a été sans contredit celle à laquelle Ginette devait aller frapper. «Ça m’a pris deux ans à m’en remettre, mais sans leur aide, je n’y serais tout simplement pas arrivée.» Car pour retrouver un peu de lumière, cette grand-maman de cinq petites filles a dû réapprendr­e beaucoup de choses. À bien se nourrir, à prendre soin d’elle, à s’aimer. Des choses de base, mais qui ont exigé des thérapies et beaucoup de soutien pour être assimilées, peu à peu. «Je suivais aussi différents ateliers, de photograph­ie, d’art, et ça m’a beaucoup aidée à mieux me connaître et à m’épanouir, explique Ginette. D’ailleurs, je continue aujourd’hui encore à suivre ces ateliers. Je fais même partie d’une chorale!»

Depuis 2015, Ginette a de nouveau un toit fixe sur sa tête. Un chez-elle pour vrai. Une de ses petites-filles habite d’ailleurs avec elle. «Ça se passe super bien, je suis vraiment comblée», lance-t-elle. Cette dernière a laissé tomber les échappatoi­res; elle se concentre désormais sur la beauté. «Maintenant, je suis capable de voir ce qui est beau, ce qui est lumineux, dit-elle. Oui, ça aura pris le temps que ça a pris, mais il n’est jamais trop tard pour changer notre regard.»

«Maintenant, je suis capable de voir ce qui est beau, ce qui est lumineux.» — GINETTE GIRARD

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