Coup de Pouce

MON PASSAGE CHEZ LES RAËLIENS

- Par Julie Champagne Illustrati­on: Marie-Eve Tremblay/Colagene.com/c

SORTIR D’UNE SECTE NE SE FAIT PAS TOUJOURS DE FAÇON FRACASSANT­E. LENTEMENT, L’ACCUMULATI­ON DE DOUTES ET DE MALAISES PEUT ÊTRE SUFFISANTE POUR CRÉER UNE BRÈCHE DANS L’ENDOCTRINE­MENT ET FAIRE DÉTALER LE FIDÈLE. C’EST CE QUI EST ARRIVÉ AVEC KARINE, UNE EX-RAËLIENNE.

1997. Karine est une étudiante timide et solitaire. Fascinée par les phénomènes mystérieux, elle assiste à une conférence des raëliens au Cégep de Saint-Jérôme. On lui enseigne que les Elohim, des extraterre­stres qui ont 25 000 ans d'avance technologi­que sur notre civilisati­on, seraient à l’origine de la vie sur la terre.

«J’ai tout de suite été intriguée. Chaque mois, je partais de chez mes parents, dans les Laurentide­s, pour assister aux rassemblem­ents, à Montréal. Je m’y suis fait des amis de partout dans le monde, un amoureux... Les liens se sont tissés spontanéme­nt, alors que les relations sociales avaient toujours été difficiles pour moi.» »»

Durant l’été, Karine participe à un stage intensif de deux semaines au camping de Valcourt. Enivrée, accrochée, elle se débaptise de la religion catholique, un geste que vit difficilem­ent ses parents très croyants: «Ils n’étaient pas d’accord avec mes décisions, mais comme j’avais une tête de cochon, ils ne pouvaient rien faire. Je portais toujours le médaillon, je ne cachais pas mon appartenan­ce.»

Selon Christine Grou, psychologu­e et présidente de l’Ordre des psychologu­es, on se joint à une secte pour combler un besoin: «Partager des valeurs communes avec un groupe nous apporte une réciprocit­é, une proximité, une identité... Quitter la secte devient donc cher payé!»

Malgré son adhésion, la jeune femme a tout de même quelques réserves. D’abord, elle doute de Raël. Pourquoi serait-il le messager? A-t-il vraiment été témoin de toutes ces choses? Elle reste dans le groupe, étouffant cette petite voix qui lui dit que quelque chose ne va pas.

Le naturisme permis sur le domaine, même pendant les fêtes auxquelles les enfants sont invités, embarrasse aussi Karine. Mal à l’aise, elle garde son maillot de bain en tout temps. Malgré la liberté sexuelle que prône le groupe, on ne force pas la fidèle à quoi que ce soit et on respecte sa pudeur.

À l’instar des autres disciples, elle vend le livre de Raël au coin des rues de Montréal. Elle doit aussi offrir de nombreuses heures de bénévolat. Caméraman et photograph­e, elle produit des vidéos au profit du mouvement. Tous ses week-ends y passent.

En 2000, Karine tombe amoureuse d’un homme non raëlien. En parallèle, on lui propose de se joindre aux anges de Raël, des jeunes femmes choisies pour passer du temps avec le prophète et effectuer ses corvées ménagères. Cette nomination ajoute une pierre au mur du doute de Karine, qui refuse alors d’entrer dans le groupe des «privilégié­es». «Je ne ressentais pas le besoin d’être proche de lui, encore moins de faire son ménage. Je ne voulais même pas savoir si les anges couchaient avec lui...» Aveuglemen­t volontaire ou mécanisme de défense? Un peu des deux…

Cinq ans après son entrée dans la secte, un de ses amis se suicide: «J’ai eu un choc. Je ne comprenais pas qu’un raëlien puisse s’enlever la vie, alors qu’on est entourés d’amour et de soutien.»

À 25 ans, Karine réalise qu’elle doit quitter ce groupe dans lequel elle ne se retrouve plus. Elle jette tous ses livres, se débarrasse du médaillon, se fait débaptiser. Elle n’a eu ni représaill­es ni pression pour rester.

«Sortir d’une secte, c’est comme rompre avec un partenaire toxique, compare Mme Grou, psychologu­e. Ça ne se fait pas du jour au lendemain. Le déclencheu­r, c’est souvent le doute. Le propre de la secte est de croire les yeux fermés, d’avoir une foi inébranlab­le. Quand les questionne­ments émergent, on entre en contradict­ion avec le système de pensée très cohésif du groupe.»

De son ancienne vie chez les raëliens, Karine ne conserve qu’une poignée de photos: «Je me sens mal quand je revois ces clichés. Est-ce que j’étais tombée sur la tête? Pendant des années, après ma sortie, j’ai éprouvé beaucoup de rage et d’incompréhe­nsion. Je m’en voulais d’avoir embarqué là-dedans.»

Faibles et vulnérable­s, les anciens disciples de secte? Au contraire... «Il faut des personnes fortes et solides pour se reconstrui­re après cette expérience, explique la psychologu­e. Le moteur du changement, c’est de reconnaîtr­e que ça part d’un besoin en nous, de quelque chose qui nous appartient et qu’on peut contrôler. On peut essayer de comprendre ce qui s’est passé. Avoir un entourage qui nous soutient sans jugement est aussi très aidant.»

Aujourd’hui, Karine assure que cet épisode de sa vie est loin derrière elle. Échaudée par les groupes religieux, elle se dit athée et heureuse de l’être. Maman, elle insiste sur l’importance de garder un esprit critique en toute circonstan­ce: «Il faut écouter notre voix intérieure. J’avais des doutes, j’ai essayé de les mettre de côté, mais la petite voix a fini par parler trop fort...»

« Sortir d'une secte, c’est comme rompre avec un partenaire toxique. Ça ne se fait pas du jour » au lendemain. Le déclencheu­r, c’est souvent le doute.

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