Coup de Pouce

JALOUSIE TOXIQUE

- Propos recueillis par Nadine Descheneau­x Illustrati­on: Marie-Eve Tremblay/Colagene.com/c

JE SORTAIS D’UNE DOULOUREUS­E PEINE D’AMOUR LORSQUE J’AI RENCONTRÉ JACOB. AU DÉBUT, IL ÉTAIT TRÈS ATTENTIONN­É, ET J’AI RAPIDEMENT EMMÉNAGÉ CHEZ LUI. J’ÉTAIS HEUREUSE MAIS, TRÈS VITE, LES REMARQUES ONT COMMENCÉ: «TU NE PEUX PAS PORTER ÇA POUR SORTIR: TOUS LES GARS VONT REGARDER TON DÉCOLLETÉ!», «TA ROBE N’EST PAS TROP MOULANTE?» OU «TU DEVRAIS PORTER LE CHANDAIL QUE JE T’AI OFFERT, IL TE VA SI BIEN!»

Ces premières marques de jalousie ne m’affectaien­t pas outre mesure. Je défendais mon chum en affirmant que sa petite jalousie était cute. Mais, tranquille­ment, je me suis mise à me questionne­r. Étais-je aguicheuse? »»

François St Père, psychologu­e spécialisé dans la thérapie de couple, explique que le mécanisme de la jalousie est complexe. «La jalousie se définit comme une tentative subtile de contraindr­e la liberté de l’autre. C’est souvent insidieux. Au début d’une relation, on est emballé. La jalousie peut même être interprété­e comme une forme d’amour. On se dit que l’autre doit vraiment nous aimer pour avoir si peur de nous perdre. Mais plus la relation avance, moins les tentatives sont subtiles et plus elles deviennent répétitive­s.»

Ensuite, il a commencé à bouder quand un homme m’adressait un sourire. J’avais droit à des: «Suis-le donc, un coup parti!» ou «T’es pas gênée de faire ça devant moi?» J’ai fini par arrêter d’aller faire l’épicerie, non pas parce qu’il m’en empêchait, mais parce que j’étais lasse de me justifier. Plus ça allait, plus je m’isolais à cause de ses comporteme­nts inadéquats. Et si nous sortions, je rasais les murs pour ne pas attirer l’attention. «La jalousie est un cercle vicieux, note François St Père, auteur de l’ouvrage Le burnout amoureux.

Notre liberté est brimée, ce qui nous pousse à nous isoler. Et le fait qu’il n’y ait plus qu’une seule personne qui pose un regard sur nous affecte notre estime de soi. On devient même fortement convaincu qu’on ne mérite pas d’être aimé et qu’on n’a pas de valeur.»

Son emprise était telle que j’ai même abandonné mes études. Quand j’avais des travaux d’équipe, je devais prendre rendez-vous dans un lieu public pour que Jacob puisse m’espionner. Je n’en pouvais plus de ce regard au-dessus de mon épaule...

Comme je finissais tard à mon travail, il venait aussi m’y conduire et m’y chercher. Je trouvais ça gentil. Mais, petit à petit, il a commencé à arriver avant la fin de mon quart pour m’attendre dans les bureaux. Si je disparaiss­ais de sa vue, j’avais droit à tout un interrogat­oire, une fois dans la voiture. «Pourquoi es-tu allée là? Pourquoi untel t’a suivie? Pour te sauter, j’imagine?» À la maison, il était évident qu’il espionnait mon ordinateur, car il me parlait de sujets dont j’avais discuté dans des messages privés. Une fois, pendant que nous faisions l’amour, il a même osé me demander si j’avais couché avec un homme qui m’avait fait une demande d’amitié sur les réseaux sociaux.

J’ai enduré cette vie pendant deux ans. «Parfois, on le sait avec notre tête que ça n’a pas de sens mais, émotionnel­lement, ce n’est pas aussi évident. On devient convaincu qu’on ne mérite pas mieux», indique François St Père.

Un jour, une amie que j’avais négligée depuis longtemps est venue me voir au travail. C’est elle qui m’a ouvert les yeux. Elle m’a brassée comme seule une amie peut le faire. J’ai pleuré, je l’ai détestée et je suis rentrée chez moi. J’ai ruminé ce qu’elle m’avait dit pendant quelques jours. Puis je me suis réveillée: «Elle a tellllllem­ent raison!» Un jour, mon chum étant au travail, j’ai appelé mon amie et lui ai dit que j’étais prête à partir. Elle est venue me chercher et je n’ai plus revu Jacob. Pendant des mois, il m’a écrit pour s’excuser et me dire qu’il ne comprenait pas. J’ai bloqué son numéro et l’ai menacé de porter plainte.

Même si cette histoire est derrière moi, elle a laissé des traces. Profondes. Dans mes relations amoureuses aussi bien qu’amicales. À la moindre remarque sur mon habillemen­t ou mes agissement­s, je me braque. «C’est normal, explique l’expert. À la suite d’un traumatism­e – dont celui que cause la jalousie –, notre cerveau emmagasine des informatio­ns. Ensuite, dès que survient un élément – remarque, geste, allusion – qui réactive notre mémoire émotionnel­le, on réagit instinctiv­ement.» Ça entraîne parfois des frictions avec mon conjoint actuel, car j’interprète mal ses paroles. Au compliment: «Wow! Tu es sexy!» moi, j’entends: «Tu es trop peu vêtue.» J’ai laissé, un jour, la jalousie s’infiltrer dans ma vie. Elle ne s’y aventurera plus jamais.

«Parfois, on le sait avec notre tête que ça n'a pas de sens, évident.» mais émotionnel­lement, ce n'est pas aussi

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