LA FIBROMYALGIE, UN JOUR À LA FOIS
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En avril 2014, Sabrina Martin se rend au bureau après avoir déposé ses trois enfants à l’école. Cette conseillère financière ne le sait pas encore, mais il s’agit de sa dernière journée de travail. La pensant atteinte d’une mononucléose, les médecins lui recommandent un congé maladie. Neuf mois plus tard, la fatigue, la difficulté à se concentrer, les pertes de mémoire, les migraines et les douleurs physiques conduisent finalement à un diagnostic de fibromyalgie. À 31 ans, Sabrina vient de se joindre aux 335 000 Québécois souffrant de ce syndrome.
L’âge, le sexe, l’ethnie ou le statut socioéconomique n’ont rien à voir ici: la fibromyalgie ne discrimine personne. Ses causes ne sont pas toujours claires. Ce peut être l’hérédité, un traumatisme, un choc viral comme dans le cas de Sabrina, ou un facteur inconnu. La fibromyalgie affecte le système nerveux central, responsable de gérer la douleur. Cette dernière est alors perçue plus intensément et plus longtemps. Elle apparaît n’importe quand et n’importe comment (raideurs musculaires et engourdissements par exemple). La fatigue chronique et les problèmes de sommeil sont très fréquents. Les troubles gastro-intestinaux et de l’humeur comptent aussi parmi les nombreux symptômes associés.
Réorganiser son horaire
Sabrina était active et performante. Aujourd’hui, elle gravit difficilement les escaliers et souffre de migraine en lisant un livre: «Il y a énormément de deuils à faire, tant sur le plan physique, émotif que cognitif, dit-elle. Il faut oublier qui l’on était et ce qu’on faisait avant». Pour planifier sa journée, elle évalue comment elle se sent au réveil: «Si j’ai 10 % d’énergie, je me demande quelle est ma priorité. Si j’ai juste assez de jus pour laver deux brassées de linge, je dois l’accepter.» La psychologue MarieHélène Savard, de la clinique Parcours Santé, à Lévis, conseille d’équilibrer les activités quotidiennes: «Il faut doser quand ça va bien, mais se pousser quand ça va moins bien. Il faut rester réaliste tout en prévenant le cercle vicieux de l’inaction.»
En soulageant ses symptômes par une lourde médication et en gérant son énergie, Sabrina parvient à s’occuper de ses enfants. Elle entretient sa maison avec l’aide d’une femme de ménage. Après son diagnostic, son conjoint était toujours présent pour la routine du soir. Malheureusement, au bout de 18 ans ensemble, la maladie les a séparés, et le
«Il y a énormément de deuils à faire, tant sur le plan physique, émotif que cognitif. Il faut oublier qui l’on était et ce qu’on faisait avant.» – SABRINA MARTIN
stress de la séparation a aggravé l’état de santé de la jeune femme: «Pour l’instant, j’ai 40 % de la garde des enfants, car je dois prendre soin de moi.» Pour réduire son stress, elle recourt régulièrement à des techniques de relaxation et de respiration, comme la méditation.
Améliorer sa qualité de vie
Puisque rien ne peut guérir la fibromyalgie, la Dre Anne-Marie Pinard, anesthésiologiste en douleur chronique au CHU de Québec, explique qu’«il faut s’efforcer d’améliorer sa qualité de vie». Le principal traitement combine la prise de médicaments et l’exercice physique. Bouger favorise le sommeil, augmente l’énergie, diminue la douleur et apporte un sentiment de détente. Plusieurs exercices sont conseillés, dont l’aquaforme, le pilates, le taï-chi, la marche et le yoga. La Dre Pinard recommande de commencer tranquillement, puis d’augmenter la durée et l’intensité graduellement. Des spécialistes comme les kinésiologues et les physiothérapeutes peuvent nous guider dans nos exercices.
Le maintien des activités professionnelles est préférable. D’ailleurs, la majorité des personnes atteintes occupent un emploi. «Il est important de s’accomplir dans des activités gratifiantes et significatives», soutient la psychologue. Avec notre employeur, on envisage certaines modifications concernant notre poste de travail, nos tâches et notre horaire. Il peut s’agir d’améliorer l’ergonomie du bureau, de faire du télétravail ou de réduire nos heures. Comme Sabrina n’avait plus les capacités de travailler, elle a été reconnue invalide par son assureur. Elle souhaite maintenant utiliser son histoire pour commencer une nouvelle carrière. Elle rédige actuellement un livre sur sa perception de la vie et sur la résilience.
Briser l’isolement
Sabrina a beaucoup souffert de l’incompréhension des autres envers son état: «La fibromyalgie est invisible et peu connue. Alors on a l’impression d’être seul.» La Société québécoise de la fibromyalgie, qui regroupe des associations régionales, vient en aide aux personnes atteintes et à leurs proches. «Dans un groupe de soutien, on se sent compris, et ça apaise notre souffrance», reconnaît la jeune femme. Avec l’Association de la fibromyalgie de l’Estrie, elle anime bénévolement des conférences de sensibilisation: «J’ai un message d’espoir. On doit s’accepter et se prendre en main. À ceux qui n’en souffrent pas,
• je demande d’être ouverts et réceptifs.»