Coup de Pouce

LA DOUANCE, PAS TOUJOURS UNE BÉNÉDICTIO­N

PARFOIS MÉCONNUE DES PARENTS, LA DOUANCE EST UN SUJET INEXPLORÉ, VOIRE TABOU DANS LE SYSTÈME ÉDUCATIF ET SCOLAIRE QUÉBÉCOIS. COMMENT LA DÉCELER ET LA NOURRIR? QUELS SONT LES BESOINS DES ENFANTS DOUÉS ET COMMENT Y RÉPONDRE?

- Par Maude Goyer

À9 mois, Édouard connaissai­t plusieurs mots de vocabulair­e. À 3 ans, il faisait preuve d’une grande empathie envers ses camarades de la garderie. Et à 7 ans, il s’exprimait aisément en anglais. Le profil d’Édouard est exceptionn­el, mais il n’est pas unique: de 5 à 10 % des enfants du Québec sont doués.

Comme plusieurs parents d’enfants doués, Caroline, la mère d’Édouard, n’a pas tout de suite su ce qui se cachait derrière les grandes questions de son fils. Ni devant ses états d’âme. «En deuxième année, il s’est mis à être très anxieux, raconte-t-elle. Il m’a dit: “Je me sens vide. Il me manque quelque chose, mais je ne sais pas quoi. Je préférerai­s que tout s’arrête plutôt que de continuer comme ça”.»

Bouleversé­s par les propos de leur fils, Caroline et son conjoint ont consulté. Ce qui est ressorti de l’évaluation de la psychologu­e: un trouble déficitair­e de l’attention (TDA) ou, du moins, un profil qui ressemblai­t à un enfant qui a un TDA. «Je ne voulais pas qu’on lui mette une étiquette, alors je me suis dit: “Il fait de l’anxiété, on va surveiller ça, et c’est tout” » , explique la designer d’intérieur de Trois-Rivières.

Mais Caroline sentait que quelque chose clochait. Elle s’est mise à lire le blogue de la psychologu­e et neuropsych­ologue Marianne Bélanger, qui a publié un livre sur la douance (Éditions Midi trente). Cela a été une révélation: « J’aurais pu appeler ça: “Comprendre Édouard”! C’est comme si j’avais toujours marché dans l’obscurité et que, tout à coup, il faisait jour!»

DIFFÉRENT… DOUBLEMENT

Marianne Bélanger le confirme: un profil d’enfant à haut potentiel intellectu­el peut être associé à un trouble – d’attention ou d’apprentiss­age – ou encore à de la dyslexie. C’est ce qu’on appelle la «double exceptionn­alité». «Et c’est encore méconnu», indique la spécialist­e, qui rapporte qu’il y aurait de 20 000 à 30 000 élèves dans cette situation au Québec. Les défis pour les enfants dits «twice» (pour «double» exception) sont grands. « Ce sont des enfants qui passent plus facilement sous le radar, dit la Dre Isabelle Robidas, directrice médicale de la Clinique pédiatriqu­e de Blainville, parce que le risque de poser un diagnostic erroné est élevé. Et c’est toujours dommage de traiter un enfant pour la mauvaise chose.»

C’est ce qui est arrivé à Samuel, 7 ans, médicament­é pour un trouble déficitair­e de l’attention avec hyperactiv­ité ( TDAH)… alors qu’il s’agissait plutôt des conséquenc­es d’une douance non reconnue. «Il y a dans la douance des éléments qui ressemblen­t à un TDAH, relate Mélissa, 38 ans, mère de Samuel. Chez mon fils, la douance n’est pas homogène. Lors de l’évaluation, certains éléments sont sortis très forts et d’autres, pas du tout. Il a un trouble d’apprentiss­age, il est dyslexique et dysexécuti­f, ce qui veut dire qu’il a du mal à s’organiser et à se structurer. Cela crée un déséquilib­re dans son cerveau, ce qui provoque ensuite des émotions vives.»

Pour les parents, il est facile de s’y perdre. Comment reconnaîtr­e la douance? «Il y a des préjugés et des idées reçues très tenaces » , déclare Stéphanie Deslaurier­s, directrice scientifiq­ue de l’Associatio­n québécoise pour la douance. «Par exemple, qu’un enfant doué est bon dans tout et qu’il réussit à l’école tout le temps, qu’il est premier de classe.» Il est faux, donc, de penser qu’on a affaire à un «petit génie».

Isabelle en sait quelque chose: sa fille Maelie, 8 ans, dont le profil de douance a été établi par une neuropsych­ologue, s’est rebellée contre l’école. Crises, grève de la faim, refus de dormir, elle a déployé tout un arsenal de combat pour se faire comprendre. «Pour elle, aller à l’école n’a pas de sens, nous confie sa mère. Elle nous dit qu’elle n’y apprend pas tant de choses. Elle a même choisi délibéréme­nt de saboter ses résultats pour ne pas avoir l’air de la première de classe… et pour avoir des amis.» »»

CARACTÉRIS­TIQUES DES ENFANTS DOUÉS

Il est vrai qu’à cause de leurs intérêts marqués pour des sujets (souvent) hors normes (la mort, la galaxie, le monde animalier, la géographie, etc.), les enfants doués éprouvent parfois des difficulté­s relationne­lles – mais cela varie d’un enfant à l’autre. Toutefois, les caractéris­tiques associées à la douance sont généraleme­nt présentes chez l’enfant doué: la précocité (dans le développem­ent moteur, langage, etc.), l’hypersensi­bilité (sensoriell­e ou émotive), les troubles du sommeil, une grande curiosité, un haut niveau de créativité et d’engagement. «On parle de douance lorsqu’on décèle une aptitude naturelle plus haute que la moyenne, qu’on appelle le “haut potentiel”, et que cela se combine à une grande créativité et à un haut niveau d’engagement envers la tâche», note Mme Bélanger.

Ainsi, un enfant peut être à haut potentiel, parce qu’il sait chanter très juste à un jeune âge (précocité et aptitude naturelle élevée), mais on dira qu’il a un «comporteme­nt doué» s’il s’investit intensémen­t dans ses apprentiss­ages, qu’il est absorbé par sa pratique et qu’il souhaite à tout prix s’améliorer. À noter aussi que la douance est héréditair­e… en partie. «Les études montrent qu’il y a une bonne composante héréditair­e, dit la pédiatre Isabelle Robidas. Il faut à la fois regarder du côté des parents et de la fratrie de l’enfant.»

ET ENSUITE?

Pour conclure que notre enfant est doué, il faut recevoir une confirmati­on de profil de la part d’un expert (psychologu­e ou neuropsych­ologue) à la suite d’une évaluation. «On ne parle pas de diagnostic, puisqu’il ne s’agit pas d’un trouble», rappelle Marianne Bélanger, qui ouvrira sous peu le Centre intégré de développem­ent de la douance et du talent sur la Rive-Sud de Montréal.

L’une des premières choses à faire est donc de recevoir l’avis d’un profession­nel… mais cela n’est pas obligatoir­e non plus. «Si notre enfant va bien, on pousse et on nourrit les éléments qui font qu’il va bien, dit-elle. Mais si l’on s’inquiète, on consulte.» L’enfant recevra ainsi de l’aide, du soutien et des ressources pour lui permettre de s’épanouir. «Pour notre famille, cela a fait toute la différence, révèle Mélissa. Nous avons ressenti de l’apaisement. Enfin,

• on comprenait ce qui se passait.»

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada