Coup de Pouce

QUI PREND PAYS... PREND GASTRONOMI­E!

- Par Marie-Josée Roy

LES IMMIGRANTS QUI S’INSTALLENT AU QUÉBEC FONT FACE À PLUSIEURS DÉFIS, NOTAMMENT SUR LE PLAN ALIMENTAIR­E. COMME LA FAÇON DE FAIRE LES COURSES, LES APPAREILS DE CUISSON ET LA VARIÉTÉ DE PRODUITS DISPONIBLE­S VARIENT BEAUCOUP D’UN PAYS À L’AUTRE, LES NOUVEAUX ARRIVANTS SONT SOUVENT PERDUS AU MOMENT DE SE METTRE AUX FOURNEAUX. COMMENT S’EN SORTENT-ILS? »»

Quand Mercedes Orellana s’est installée au Québec, en 1986, la farine de maïs était encore une denrée rare dans les supermarch­és. Pour cette Salvadorie­nne d’origine, il s’agissait pourtant d’un ingrédient essentiel à la fabricatio­n de plusieurs plats quotidiens, dont les tortillas, très populaires en Amérique latine. «Il fallait aller à Montréal pour magasiner», se souvient la résidente de Sherbrooke, qui a été forcée d’adapter ses habitudes à sa nouvelle réalité. «Comme je n’avais pas de comal, l’ustensile qui sert à cuire les tortillas, j’ai acheté une poêle ordinaire dans un magasin à grande surface.» Pour la plupart des nouveaux arrivants, réussir son intégratio­n alimentair­e implique forcément de modifier quelques habitudes et de s’ouvrir à la nouveauté.

«Certains légumes féculents, comme le manioc ou le plantain, sont vraiment plus chers ici qu’à l’étranger. Les prix deviennent alors un problème» – Marianne Lefebvre, nutritionn­iste spécialisé­e en nutrition internatio­nale

Aliments exotiques recherchés

Nombreux sont les immigrants qui arrivent au Québec sans maîtriser l’une des deux langues officielle­s. Il va sans dire que dénicher ses aliments préférés à l’épicerie relève de l’exploit quand on n’est pas en mesure de demander au commis où trouver tel légume ou tel grain. «La première année a été vraiment difficile», se souvient Sultana Jabarkhail, arrivée d’Afghanista­n avec sa famille, en 2011. «Je ne parlais ni anglais ni français. Je ne savais pas où acheter ce dont j’avais besoin pour cuisiner.» Non seulement les nouveaux arrivants peinent à découvrir les produits de base auxquels ils sont habitués, mais ils doivent souvent débourser une somme exorbitant­e pour se les offrir. «Certains légumes féculents, comme le manioc ou le plantain, sont vraiment plus chers ici qu’à l’étranger. Les prix deviennent alors un problème», déclare Marianne Lefebvre, nutritionn­iste spécialisé­e en nutrition internatio­nale. Heureuseme­nt, les grandes chaînes de supermarch­és ont élargi leur offre alimentair­e au fil des ans. «On a vu une grosse différence à partir des années 2000», se souvient Mercedes. Sans compter que de plus en plus de producteur­s québécois cultivent des fruits et légumes exotiques, les rendant ainsi plus accessible­s.

Planificat­ion 101

Faire son épicerie pour la semaine est une habitude typiquemen­t nord-américaine. Dans de nombreux pays, passer au marché pour se procurer de quoi concocter le repas du soir fait partie du quotidien. Les nouveaux arrivants qui s’installent dans notre belle province n’ont pas tous accès à un marché: ils doivent donc revoir leur façon de faire les courses et apprendre à planifier leurs repas. «Il a fallu qu’on s’adapte à la façon de faire l’épicerie», raconte Mercedes, qui sait maintenant qu’il faut tirer profit des fruits et légumes de saison. «J’ai appris à congeler des produits frais, afin d’en avoir toute l’année.» En 2016, un sondage de Léger Marketing a révélé que les Canadiens consacraie­nt en moyenne

38 minutes par jour à la préparatio­n du souper. Au Maroc, la moyenne est de 180 minutes. «Au cours des cinq ou six premières années, à cause du manque de reconnaiss­ance des compétence­s profession­nelles, les immigrants ont rarement des emplois bien rémunérés. Ils travaillen­t souvent 50 heures par semaine, de nuit ou sur appel, et passent des heures dans les transports en commun. Planifier les repas et l’épicerie devient alors très difficile», affirme Marianne Lefebvre, qui conseille notamment à ses clients d’opter pour des légumineus­es en conserve et des légumes surgelés, plus rapides à préparer.

Réapprendr­e à cuisiner

Les cordons-bleus québécois ont accès à une foule d’outils pour se faciliter la vie en cuisine. Apprivoise­r ces appareils permet aux nouveaux arrivants de gagner du temps et de mieux planifier leurs repas. Mercedes Orellana, pour sa part, a découvert avec joie l’efficacité de la mijoteuse. «Je l’utilise notamment pour cuire les fèves rouges, très présentes dans la cuisine latine. Je les prépare le matin, je les mets dans la mijoteuse et elles sont prêtes quand je rentre du travail. J’ai intégré à mes habitudes la cuisine rapide ou préparée à l’avance.»

Au cours des années suivant leur arrivée, les immigrants affichent parfois quelques kilos en plus. La raison en est très simple, selon Marianne Lefebvre: «Les gens ne le réalisent pas, mais la très grande majorité des immigrants qui arrivent ici bougent vraiment moins que dans leur pays d’origine. Quand tu viens d’un endroit où il fait chaud, tu es toujours dehors, tu vas travailler à pied ou à vélo. Ici, tu n’as qu’à t’asseoir dans le métro ou dans ta voiture.» La nutritionn­iste aide donc ses clients à garder la forme en les incitant à modifier leur façon de cuisiner.

Un heureux mélange

C’est souvent grâce à leurs enfants, qui fréquenten­t les garderies et écoles du quartier, que les nouveaux arrivants vivent leurs premiers contacts avec la cuisine québécoise. «Ma fille cadette adore la poutine! Je n’en cuisine pas à la maison, mais elle sort souvent au restaurant pour en manger», déclare Sultana Jabarkhail, qui cuisine des plats traditionn­els afghans. «On s’est adaptés au changement. En Afghanista­n, le riz et la viande font partie de tous les repas, qui sont cuisinés avec beaucoup de sel, d’huile et d’épices. Ici, on a cessé de saler et on mange de la viande environ deux fois par semaine. On consomme aussi plus de fruits et de légumes.» Séduits par les produits frais offerts pendant la belle saison, les nouveaux venus se risquent souvent à remplacer certains ingrédient­s de leurs recettes par des produits locaux. «Ils ajoutent du brocoli dans leur couscous, par exemple», illustre Marianne Lefebvre. Ces plats uniques, mélanges de saveurs d’ici et d’ailleurs, viennent

québécois.• enrichir le patrimoine culinaire

«Les gens ne le réalisent pas, mais la très grande majorité des immigrants qui arrivent ici bougent vraiment moins que dans leur pays d’origine.»

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada