ENFANTS BOOMERANGS: PARTIR... PUIS REVENIR À LA MAISON
IL Y A LES TANGUY, LES «ADULESCENTS» QUI NE DÉCOLLENT PAS DE LA MAISON, ET LES ENFANTS BOOMERANGS, CEUX QUI REVIENNENT DANS LE NID FAMILIAL APRÈS AVOIR VOLÉ DE LEURS PROPRES AILES. ON CHERCHE LA CLÉ D’UNE COHABITATION HARMONIEUSE ENTRE ADULTES CONSENTANTS (LA PLUPART DU TEMPS)… ET ELLE N’EST PAS CACHÉE SOUS LE TAPIS DEVANT LA PORTE D’ENTRÉE.
À27 ans, Sabrina est retournée vivre chez ses parents avec ses jumeaux de 18 mois après une séparation. Elle venait de terminer sa maîtrise et décrochait de petits contrats en enseignement, mais ne vivait rien de stable sur le plan professionnel. «Ce sont mes parents qui me l’ont offert, le temps que je trouve un emploi stable, que j’amasse un peu d’argent et que je trouve un appartement», se rappellet-elle. Son père à la retraite s’est même occupé des jumeaux à temps plein pendant quelques mois, quand sa garderie a subitement fermé ses portes.»»
Ayant quitté le nid famillial pour les études, pour le travail ou pour aller vivre en colocation ou en couple, certains, comme Sabrina, ont même eu des enfants avant de revenir cogner à la porte de papa-maman, valises en main. Ce phénomène qui prend de l’ampleur porte un nom: les enfants boomerangs.
LE NOMBRE DE JEUNES ADULTES DE 20 À 29 ANS QUI HABITENT AVEC LEURS PARENTS EST EN HAUSSE CONSTANTE: IL EST PASSÉ DE 26 % EN 1981 À 42 % EN 2011. PARMI CES JEUNES, PLUS DU TIERS SONT REVENUS AU DOMICILE FAMILIAL APRÈS L’AVOIR QUITTÉ. SOURCE: STATISTIQUE CANADA.
UNE QUESTION D’ARGENT
Les générations précédentes ne se cassaient pas la tête: après leurs études, elles trouvaient un boulot, se mariaient et fondaient une famille. Leur vie était tracée d’avance. Aujourd’hui, le passage à la vie adulte s’est complexifié. Les jeunes font en général de plus longues études, ce qui les amène à intégrer le marché de l’emploi et à fonder leur famille sur le tard… et, par le fait même, à dépendre monétairement de leurs géniteurs sur une plus longue période.
Selon Jacques Hamel, sociologue et professeur au Département de sociologie de l’Université de Montréal, la précarité financière est la principale raison qui «oblige» les jeunes adultes à revenir dormir dans leur chambre d’ado. D’une part, parce que le coût de la vie est plus élevé qu’il y a vingt ou quarante ans, les loyers à prix modique étant extrêmement rares et l’accès à la propriété plus difficile. D’autre part, parce que, même si l’on nous répète que le marché de l’emploi se porte bien, la majorité des postes offerts sont marqués par la précarité. «Est-ce qu’un jeune peut dire “jamais plus je ne retournerai vivre chez mes parents” quand il ne sait pas s’il aura un emploi le lendemain ou les moyens de payer un appartement?» se questionne-t-il.
AU NOM DE LA SOLIDARITÉ FAMILIALE
Quant aux parents, ils «accueillent leurs enfants sans hésitation ni négociation», écrit la sociologue française Sandra Gaviria dans l’article «La génération boomerang: devenir adulte autrement», publié dans SociologieS. «Il y a une massification du retour et les parents comme les jeunes l’ont intégré comme quelque chose qui survient dans toutes les familles et aux amis. Il n’est pas vécu dramatiquement», poursuit-elle.
Le psychologue clinicien Claude Gaumond, professeur de psychologie au Cégep Limoilou et chargé de cours à l’Université Laval, abonde dans ce sens: «Les parents d’aujourd’hui sentent souvent la responsabilité de faire vivre leurs enfants jusqu’à ce qu’ils réussissent à subvenir à leurs besoins eux-mêmes.» Mais cela ne se fait pas toujours sans chambouler quelques plans. Certains parents reportent leur projet de retraite; d’autres retardent la vente du domicile familial pour héberger leur héritier.
Lise et André, parents de deux femmes de 39 et 40 ans, en savent quelque chose. Leur cadette Isabelle a fait le boomerang à plusieurs reprises pendant ses études dans la vingtaine, puis entre ses voyages à l’étranger dans la trentaine. Il y a quelques années, ils ont accueilli leur fille aînée Mélanie et leur petit-fils pendant quelques mois après le divorce de celle-ci. Puis, l’année dernière, Isabelle est revenue avec son fils d’un an pendant le processus d’immigration au Canada de son mari mexicain. «On avait prévu vendre la maison pour s’acheter un condo, parce que l’entretien d’une maison est très exigeant et qu’on passe tous nos hivers en Floride. Mais quand on a appris qu’Isabelle voulait revenir, on a changé nos plans», raconte Lise, sans regret ni amertume.
UNE EXPÉRIENCE (SOMME TOUTE) POSITIVE
Contrairement à ce que l’on serait tenté de croire, la cohabitation «parents-enfants-devenus-adultes» n’est pas nécessairement problématique. Lorsque le jeune revient au domicile familial pour une période temporaire et avec un objectif précis, comme trouver un emploi stable, construire une maison ou finir ses études, les parents sont généralement contents de le soutenir et de contribuer à lui assurer un bel avenir. «Si les parents voient le retour de leur enfant comme un empêchement de partir à la retraite ou que l’enfant tourne en rond dans la maison, cela peut évidemment créer des tensions, nuance Claude Gaumond, mais c’est loin d’être généralisé.»
En fait, les observateurs interrogés s’entendent pour dire que l’expérience est généralement vécue de façon positive de part et d’autre. «Ce que l’on entend surtout, c’est que la cohabitation permet aux deux parties d’apprendre à se connaître sous un nouveau jour, de renforcer leurs liens et de s’entraider», poursuit le psychologue.
Quant au sociologue Jacques Hamel, il déplore les préjugés qui persistent autour des enfants boomerangs et le fait qu’ils soient trop souvent réduits à la caricature dans les médias ou à l’écran, comme dans Tanguy, le retour qui est sorti en salles ce printemps. «Les jeunes ne décident pas de manière malveillante de revenir à la maison pour exploiter leurs parents. La plupart sont obligés d’habiter chez leurs parents faute d’avoir les moyens de vivre de façon indépendante. Ils veulent apporter leur contribution dans la maison et ils se croisent les doigts pour partir le plus vite possible»,
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conclut-il.