VOYAGES HUMANITAIRES, OÙ TRACER LA LIGNE?
POUR CERTAINS, PARTIR EN VOYAGE HUMANITAIRE EST LE RÊVE D’UNE VIE. COMMENT NAVIGUER PARMI LES PROPOSITIONS DE «VOLONTOURISME», LES STAGES ET LES AUTRES SÉJOURS DE COOPÉRATION? ET SURTOUT, COMMENT S’ASSURER QUE NOS ACTIONS AURONT UNE INFLUENCE POSITIVE SUR LE TERRAIN? VOICI QUELQUES PISTES POUR NOUS AIDER À FAIRE LA PART DES CHOSES!
Les propositions de séjours humanitaires pullulent, y compris dans les écoles. Des agences de voyages se spécialisent dans l’envoi de bénévoles dans les pays du Sud, moyennant quelques milliers de dollars. Des citoyens sensibles au sort des populations moins nanties mettent même sur pied des projets personnels, pour «donner au suivant». Le hic c’est que, bien souvent, ces initiatives ne s’inscrivent pas dans une vision à long terme et que les populations visitées sont peu ou pas impliquées dans le processus. On ne tient pas non plus toujours compte du contexte culturel avant de débarquer avec nos gros sabots d’Occidentaux.
HARO SUR LE «VOLONTOURISME»
Au cours des dernières années, de nombreux reportages ont fait état des dérapages du «volontourisme», combinaison des mots «volontaire» et «tourisme». Dans La Presse, la journaliste Isabelle Hachey a notamment raconté en 2016 avoir constaté qu’une même école était repeinte à répétition par des bénévoles au Cambodge. Pire encore: des orphelins souffriraient de troubles d’attachement à force de voir constamment des adultes arriver et leur faire des câlins, puis repartir pour toujours.
Quand on lui demande pourquoi le «volontourisme» est néfaste, Martín Portocarrero, chargé de programmes à l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), répond: «Le problème, c’est que ce ne sont pas des projets structurés et encadrés par des organismes qui ont de l’expérience en matière de coopération internationale. Ils ne prennent pas en compte les communautés locales et les personnes touchées par les problématiques. Ils ne sont pas bien structurés. C’est une mauvaise manière de faire du tourisme. Au lieu d’aller aider les populations, ceux qui prennent part à ce type d’expérience vont leur nuire et créer plus de problèmes, parce qu’ils ne tiennent pas compte du contexte.»
Directeur de l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM-UQAM) et fondateur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires, François Audet se montre lui aussi très critique à l’endroit des voyages humanitaires qui ne sont pas liés à une mission répondant à des besoins précis. À son avis, il faut d’abord se demander pourquoi (et pour qui) on souhaite vivre ce type d’expérience. «Est-ce pour des raisons personnelles? Un besoin de
«Le problème, c’est que ce ne sont pas des projets structurés et encadrés par des organismes qui ont de l’expérience en matière de coopération internationale [...] C’est une mauvaise manière de faire du tourisme.» – Martín Portocarrero, chargé de programmes à l’AQOCI
se sentir utile? […] Pour moi, utiliser la pauvreté des autres pour satisfaire son besoin de se sentir utile est un symptôme de notre vide existentiel ici.»
Comment, dans ce cas, sensibiliser une personne emballée à l’idée d’aller aider son prochain au fait qu’elle s’apprête plutôt à perpétuer le cliché du «sauveur blanc» et qu’elle risque de faire plus de mal que de bien? «On a énormément de difficulté à critiquer les gens qui disent partir pour aider», admet M. Audet. Suggérer à cette personne de s’informer adéquatement – au-delà du bouche-à-oreille et des réseaux sociaux – en consultant, par exemple, des ressources comme l’AQOCI avant de passer à l’action serait toutefois un bon départ.
«On comprend que la bonne volonté est là, enchaîne Martín Portocarrero. C’est d’ailleurs nécessaire à l’heure actuelle, à un moment où il y a des changements sur le plan social, climatique, etc. Mais il faut savoir comment investir cette bonne foi pour avoir une réelle influence. Donner de l’argent ne suffit pas. Envoyer de la nourriture n’est pas une bonne idée non plus.»
LES CRITÈRES À GARDER EN TÊTE
Martín Portocarrero rappelle l’importance de se tourner vers un organisme crédible et expérimenté, qui encadre les bénévoles sur le terrain et qui offre une formation avant le départ ainsi qu’un post-mortem. «L’élément clé est le travail avec des partenaires du Sud, insiste-t-il. Il faut rechercher des initiatives misant sur la solidarité et l’échange. On ne part pas pour changer le monde et dire aux gens quoi faire: on va plutôt collaborer avec la société du Sud. Cet aspect est très important. Ça va dans les deux sens.» »»
Dans cette optique, le programme Québec sans frontières, qui envoie depuis vingt-cinq ans des bénévoles âgés de 18 à 35 ans faire des séjours de solidarité internationale, accueille de plus en plus de jeunes du Sud au Québec. «On a tout à apprendre des communautés du Sud, de leurs initiatives, de leur sens des responsabilités et de leur résilience», croit pour sa part Marie Brodeur Gélinas, elle aussi chargée de programmes à l’AQOCI.
BÉNÉVOLES À LA RESCOUSSE!
Quand une catastrophe naturelle ou humanitaire survient, la dernière chose à faire est de se ruer pour aller offrir son aide sur place. Si l’on se rend sur les lieux de son propre chef, on risque fort de compliquer le travail des gens sur le terrain, qui en ont déjà plein les bras. Par contre, si l’on possède l’expertise recherchée, poser sa candidature auprès d’organismes reconnus peut être une bonne idée.
Et que penser des courts séjours? Selon M. Portocarrero, ce qui compte surtout est que le projet auquel on prend part soit piloté en partenariat avec des organismes locaux et qu’un suivi soit effectué après notre départ. «L’important est que ce soit géré par les communautés locales. Peu importe la durée du séjour, c’est l’élément clé. Pour un projet à long terme, qui existe depuis longtemps et qui est géré par un organisme fiable, on pourrait avoir besoin d’aide ponctuelle.»
Le contexte culturel et le respect de ses codes sont aussi des éléments essentiels. De là l’importance d’être entouré de professionnels et de partenaires locaux qui pourront nous initier aux réalités sur place.
«Si l’on veut aider, mieux vaut agir sur les systèmes inéquitables dont on fait partie, conclut Marie Brodeur Gélinas. Les populations du Sud ont besoin
• de justice, pas de charité.»