Coup de Pouce

LA GRANDE

- Propos recueillis par Maude Goyer Illustrati­on: Anne Villeneuve/c. MAUDE GOYER EST JOURNALIST­E ET MÈRE DE DEUX ENFANTS ÂGÉS DE ANS.• 13 ET 10

J’AI MAL DORMI. J’AI PENSÉ AU PIRE, APPRÉHENDÉ LE PREMIER DÉPART, LE PREMIER JOUR. EST-CE QUE JE PARLE DE LA FIN DU MONDE? NON. JE PARLE DE L’ENTRÉE AU SECONDAIRE DE MON ENFANT.

|

De nature inquiète, j’ai la mauvaise habitude de me projeter dans les pires scénarios. Et cette fois, ceux-ci mettaient tous en scène mon garçon de 12 ans. Se sentira-t-il perdu? Sans ami? Seul pour dîner? Pire: intimidé, rejeté? Comment se débrouille­ra-t-il avec le cadenas, la carte d’autobus, l’uniforme, son horaire et les déplacemen­ts d’une classe à l’autre?

C’est vrai, je l’avoue, je l’imaginais encore tout petit. Son sac à dos était aussi lourd que mon coeur de mère: je le percevais comme vulnérable, presque sans défense face au monde impitoyabl­e de l’école secondaire.

«Moi aussi, j’ai capoté», avoue Jacinthe Lemieux, mère de Laurie, âgée de 13 ans. «Je ne la sentais pas prête et je ne l’étais pas non plus.» Fille unique, Laurie a choisi une école secondaire loin de son domicile, ce qui l’a forcée à apprivoise­r rapidement le transport en commun montréalai­s… et ses aléas. «Elle s’est égarée quelques fois, raconte Jacinthe. Elle a appris par l’expérience. Même chose pour la gestion de ses travaux et des différente­s matières: elle a navigué là-dedans par essais-erreurs. J’étais là pour l’épauler et la soutenir, pas pour lui dire quoi faire.»

Voilà la clé, me semble-t-il: trouver sa juste place en tant que parent. Accompagne­r sans contrôler. Après tout, notre enfant prend son envol! «Il faut se faire confiance et faire confiance à notre enfant, dit Amélie Seidah, psychologu­e. L’entrée au secondaire comporte des éléments d’incertitud­e et de belles possibilit­és d’épanouisse­ment.» C’est vrai qu’au fil des semaines, j’ai constaté que fiston gagnait en indépendan­ce, en autonomie et même en confiance. Il était fier de lui, de faire ses propres choix et de prendre ses responsabi­lités. J’ai décidé de rester proche, à l’écoute, à observer – tout en me forçant à ne pas trop intervenir! «La communicat­ion est importante, souligne Mme Seidah. On peut demander à notre enfant comment il voit sa rentrée scolaire, puis la suite des choses… Il y a une période d’adaptation, de septembre à décembre.»

Le contexte de l’après-pandémie ajoute une part d’incertitud­e à une rentrée déjà particuliè­re pour les élèves qui arrivent au secondaire. Cela pourrait déstabilis­er parents et enfants cette année. «Il faut éviter de dramatiser la situation, conseille Amélie Seidah, et faire confiance aux équipes de l’école. Et encore une fois, on reste à l’écoute de notre jeune, sans juger et sans être intrusif.»

S’il n’existe pas de recette universell­e pour bien accompagne­r son enfant dans cette nouvelle étape, il m’a semblé que nos valeurs familiales – le respect, l’ouverture d’esprit, l’authentici­té – nous ont aidés à la traverser sereinemen­t. En cas de doute, de crainte, de peur, c’est vers elles que je me suis tournée.

Quant à fiston, il a bien réussi sa première année au secondaire – et moi, j’étais contente d’avoir pris du recul pour mieux le voir briller…

Se disputer avec sa meilleure amie fait partie des pires choses qui peuvent arriver à une ado. Dans ce roman graphique, on accompagne l’attachante Mila à travers cette tempête émotionnel­le. Cet hymne à l’amitié, rempli d’humour et de bienveilla­nce, est à mettre sur la table de chevet de notre progénitur­e sans hésitation. Par Nadine Descheneau­x et Chloé Baillargeo­n, Éditions Petit Homme,

$.•

72 pages, 17,99

Par Martine Delvaux qu’on sent quand on vient de retrouver sa liberté. Mais il faut attendre. Quitter d’abord les arrivées, rouler jusqu’à Marseille dans la vieille Citroën. Attendre encore un peu avant de se retrouver seules à la Cité radieuse.

La Cité radieuse est une unité d’habitation, un village vertical imaginé par Le Corbusier en réponse à la demande du gouverneme­nt français, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale: soit pallier le manque de logements sociaux. Bâti sur pilotis, l’immeuble est décoré de loggias extérieure­s peintes de couleurs vives, bleu, vert, jaune, rouge et terre de Sienne. Une terrasse a été installée sur le toit. Au moment de sa constructi­on, le complexe comprenait une école maternelle, une pataugeoir­e, un gymnase et une piste d’athlétisme. Au centre, une rue avec des commerces. Besoin de personne. Un monde en soi.

Trente minutes plus tard, la Citroën s’arrête derrière l’immeuble. Frein à main enclenché, fenêtres remontées, je la regarde attraper les sacs, faire claquer le coffre, prendre les devants. Je marche derrière elle à travers les autres voitures, j’aspire dans mes poumons l’air chaud et humide, lourd de parfums que je n’ai jamais sentis avant. Le temps s’est gâté depuis notre départ de l’aéroport. On dirait maintenant que la pluie menace, le tonnerre gronde au loin, le soleil s’est caché. Récupérer la clé à la réception, monter au troisième, ouvrir la porte sur une petite chambre avec un petit lit sur lequel on se jette immédiatem­ent, affamées.

Les semaines ont été longues, douloureus­es de manque. Le désir a grandi jusqu’à prendre toute la place, je ne peux plus penser, j’ai oublié qui je suis, il n’y a qu’elle qui compte, elle et moi

enfermées ici. La pièce est sombre, grise, je ne me souviens pas d’avoir regardé par la fenêtre, je ne sais plus s’il y avait un balcon, je ne me souviens de rien sinon du lit dans la chambre étroite au mobilier intégré. Et l’impression d’être propulsée des années en arrière, décor de lignes droites ornementée­s de coloris vifs et bois de teck. La valise fermée, en équilibre près de la table.

Je ne sais pas si nos vêtements ont été arrachés ou si nos mains ont glissé furieuseme­nt sous le tissu, sur la peau, dans une urgence enragée pour combler le plus vite possible la distance, l’amour les yeux fermés, à tâtons, vouloir consommer l’autre, la prendre en entier. Je revois un désordre de teintes et de textures, ses cheveux qui balaient ma joue, son jean Mango déboutonné, le t-shirt bleu dont la manche relevée révèle sur l’épaule le tatouage de conte de fées.

Elle me dit que la Cité radieuse correspond à la fusion entre deux versions de l’architecte qu’était Le Corbusier, sa version philosophe et sa version romantique. L’architecte avait rêvé l’unité d’habitation comme un lieu idéal pour la famille, maison de silence et de solitude au

«Je ne viens pas la retrouver pour prendre la mesure de ce qui nous lie. Je ne viens pas vérifier. Je la rejoins pour l'aimer encore plus, toujours plus, jusqu'à la fin de la vie. C'est ma folie.»

soleil, dans l’espace et la verdure. La Cité radieuse serait une oeuvre de rigueur, de grandeur, de noblesse, de bonheur et d’élégance, un exemple parfait d’harmonie.

Elle veut me faire goûter, à Marseille, le marché, les rues commerçant­es, le port, le vent. Quand je sors avec elle, il pleut à torrents. Ce n’est pas la France que je connais, c’est tout à coup un pays qui lui ressemble. Sa beauté double aux abîmes de douceur et de violence, un monde mystérieux, caché, enfoui sous des apparences de légèreté. Un univers dont on ne soupçonne pas le danger. Les gens se pressent, se bousculent sans s’excuser. Promenade de quelques heures, trempées. Quelque chose me trouble, quelque chose me heurte. Je n’ai qu’une envie: retrouver le petit lit.

Le restaurant de l’hôtel a pour nom le titre d’un film, Le ventre de l’architecte. C’est l’histoire d’un homme qui en vient à tout perdre: son travail, sa femme, sa santé, jusqu’à sa vie. Il s’est fait avoir, on l’a berné, c’est une histoire impitoyabl­e, cruelle, sans rédemption. Il a tout perdu parce qu’il a tout risqué. Aujourd’hui, je me dis que c’était quelque chose comme un mauvais présage, un nom de code que j’ai été »»

incapable de déchiffrer. Je n’ai pas compris. Je ne pouvais pas comprendre. Je ne savais pas encore, à cet instant, qu’il y aurait le visage romantique de cette histoire et qu’il y aurait aussi, très vite, dans une accélérati­on vertigineu­se du temps, son visage tragique. Comme les deux côtés d’une même médaille, les cent versants d’un même amour. Je ne le savais pas, et bientôt, ce serait devant moi, une déception douloureus­e, mon incompréhe­nsion. Plus jamais les rochers des Calanques et la mer tout près, plus jamais nos corps allongés l’un sur l’autre, méduses échouées sous le regard curieux et gêné des passantes. Moi qui croyais que nous n’arriverion­s jamais au bout de ce désir.

Je ne sais plus quels mots ont été prononcés par la célébrante au Palais de justice de Montréal, un matin de janvier, quelques mois après Marseille. Je la revois dans le couloir, son sarouel brun, ses bottes de chevalière, son long manteau russe au col de fourrure, un trait de khôl autour des yeux. Je ne me souviens que du oui, que du baiser. Et derrière les fenêtres, une neige fine. Sur les photos prises dehors tout de suite après la cérémonie, on aurait dit qu’il pleuvait des sequins. On a baigné nos noces dans du champagne, on les a scellées en faisant l’amour. À ce moment-là, l’essentiel avait déjà eu lieu. Je ne savais pas que nous ne serions plus jamais aussi heureuses.

Souvent, de cette histoire d’avant, je refais le voyage. Je fouille ma mémoire pour comprendre cette folie. Je cherche son visage dans les couloirs de la Cité radieuse.

Afin de les aider à accéder au souvenir d’un évènement traumatiqu­e, des détectives, des psychologu­es invitent les victimes à fermer les yeux. Apparaîtra peut-être, derrière leurs paupières, le détail de ce qui leur est arrivé, le décor, les odeurs, les sons, le mouvement des corps, le souvenir des sensations. Je me demande ce qu’il en est des amours perdues. Des amours volées, arrachées. Des coeurs déçus, négligés, brisés. Je me demande si, en retournant sur les lieux du crime, je parviendra­i à en finir. Si, en faisant face à ton fantôme, j’arriverai une fois pour toutes à te tourner le dos. Oublier le Palais de justice. Quitter Marseille. Fermer la porte de la chambre, à la Cité radieuse. Effacer ton souvenir derrière mes

ici.• paupières. La vie est

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada