PSYCHO
La résilience: la force de la souplesse
ON NOUS A DEMANDÉ DE FAIRE PREUVE DE RÉSILIENCE PENDANT LE CONFINEMENT. ON A DIT DES MEMBRES DU PERSONNEL DE LA SANTÉ QU’ILS ÉTAIENT DES EXEMPLES DE RÉSILIENCE. MAIS ÇA VEUT DIRE QUOI, AU JUSTE, ÊTRE RÉSILIENTE? EST-CE QUE ÇA SE RÉSUME À LA CAPACITÉ D’AFFRONTER UNE ÉPREUVE AU LIEU DE SE LAISSER ABATTRE? DÉCRYPTAGE. Par Amélie Cournoyer
n 1999, le cauchemar de toutes les mères devient réalité pour Jacynthe lorsqu’elle découvre son fils cadet de 21 ans, qui vient de se donner la mort par pendaison. Les jours qui suivent, elle sombre dans une incommensurable tristesse. «Je me sentais m’enfoncer dans un abîme sans fond. À un moment, je me suis dit que soit je me laisse aller et je coule, soit je m’en sors et je vais de l’avant. J’ai vu ça comme un choix», explique la femme aujourd’hui âgée de 69 ans.
Selon elle, la meilleure façon de surmonter cette terrible épreuve a été de reprendre sa vie rapidement pour se concentrer sur les choses qu’elle avait à faire plutôt que sur ses émotions, ses souvenirs et sa culpabilité. Deux semaines après la mort de son fils, l’infirmière retournait au travail. «J’ai eu un bon soutien de la part de ma famille, de mon employeur et de mes copines de travail. J’ai aussi consulté une psychologue. Puis je me suis rendu compte que, de mois en mois, ça allait mieux. Je recommençais à regarder vers l’avenir», affirme celle qui est devenue, sans nécessairement le chercher, un modèle de résilience pour son entourage.
Encaisser… et rebondir!
La résilience est une notion de la psychologie qui a été popularisée à la fin des années 1990 par le neuropsychiatre et psychanalyste français Boris Cyrulnik. Lui qui, à l’âge de cinq ans, a échappé de justesse à la déportation lors de la Seconde Guerre mondiale et dont les parents sont morts à Auschwitz, en connaît un bout sur le sujet. Dans son livre Un merveilleux malheur (Odile Jacob), paru initialement en 1999, il résume la résilience par «la capacité à réussir, à vivre, à se développer en dépit de l’adversité».
Pascale Brillon, psychologue clinicienne, professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal et directrice du laboratoire de recherche Trauma et Résilience, aime bien utiliser la fable de La
Fontaine Le chêne et le Roseau pour illustrer le concept de résilience. En présence de faibles vents, le chêne reste droit et fort, tandis que le roseau plie; mais, dans une violente tempête, le chêne n’a pas d’autres options que de casser ou d’être déraciné, alors que le roseau continuera de ployer pour reprendre sa forme initiale par la suite.
La psychologue et auteure de Développer et renforcer sa résilience (Les Éditions QuébecLivres), Sylvie Rousseau, tient pour sa part à préciser que la résilience n’est pas juste une question de tenir le coup dans l’adversité, c’est aussi la capacité de rebondir et de se reconstruire positivement après l’épreuve. «La vie reprend son cours, mais pas comme avant. Il y a quelque chose en nous qui se métamorphose», souligne-t-elle.
Anémone, 30 ans, en a fait l’expérience en 2016 lors de son hospitalisation. Ses reins fonctionnaient à moins de 30 % de leur capacité à cause du lupus dont elle est atteinte. Les médecins la préparaient alors à une dialyse ou à une greffe. «Ç’a été tout un choc», reconnaîtelle. Même si elle avait reçu son diagnostic deux ans auparavant, elle avait vécu jusque-là dans le déni de sa maladie, en maintenant un rythme de vie effréné, sans trop écouter les »»
E«La résilience est un mélange de capacités innées, de compétences acquises et d’environnement immédiat… mais c’est aussi un concours de circonstances.»
— PASCALE BRILLON, psychologue
signes que lui envoyait son corps. «Lorsque j’ai retrouvé ma fonction rénale, j’ai décidé de ne plus nier ma maladie et d’apporter des changements dans ma vie pour mieux vivre avec. J’ai entre autres choses appris à ralentir mon rythme de vie, à mieux gérer mes émotions, à voir le positif dans les situations au lieu du négatif, à mettre mon énergie sur ce que je peux contrôler et à accepter ce que je ne peux pas changer», constate-t-elle maintenant.
Quand on parle de résilience, on a toutes au moins une personne qui nous vient en tête. Mais qu’est-ce qui explique que celle-ci réussit mieux qu’une autre à affronter l’adversité et à s’y adapter? «C’est un mélange de capacités innées, de compétences acquises et d’environnement immédiat… mais c’est aussi un concours de circonstances», répond Pascale Brillon.
Se basant sur ses recherches et sur sa pratique clinique à l’Institut Alpha, qu’elle a fondé et où elle reçoit des gens qui ont notamment souffert d’actes criminels (séquestration, torture, parent d’enfant assassiné), la psychologue recense plusieurs caractéristiques associées à la résilience. Plus une personne en possède au moment où elle subit une épreuve, meilleures sont ses chances de bien s’en sortir (voir encadré).
Que celles qui réalisent ici que la résilience n’est pas leur force se rassurent: c’est possible de la développer, et ce, à tout âge. «En sachant que toutes ces stratégies d’adaptation sont les fondations de la résilience, on peut se demander si l’on en possède suffisamment, lesquelles on pourrait développer ou améliorer et comment y arriver», propose Sylvie Rousseau.
Malheureusement, la résilience n’est pas une aptitude qui s’acquiert une fois pour toutes. «Si une épreuve survient à un moment où l’on se sent fragile et moins bien entourée, il se peut qu’on ne réussisse pas à maximiser nos stratégies d’adaptation, même si on les a déjà utilisées avec succès dans le passé», indique Pascale Brillon.
Cela dit, ce qu’on a appris ou acquis dans l’adversité peut nous aider à mieux traverser les prochaines épreuves qui se présenteront à nous. «Être immunosupprimée et avoir un conjoint qui habite à l’étranger sont deux grands défis pour moi en ce moment, en temps de COVID-19, admet Anémone. Mais les apprentissages que j’ai faits grâce à ma maladie m’aident à ne pas paniquer, à me concentrer sur le positif et à continuer d’avancer tout en m’adaptant à la nouvelle situation.»
Quant à Jacynthe, elle a encore des flashbacks du moment où elle a retrouvé son fils sans vie. «Mais ça ne m’empêche pas de vivre», assure-t-elle. Sylvie Rousseau rappelle que la résilience n’est ni une absence ni une banalisation de la souffrance. «La résilience ne tient pas les épreuves à distance et ne nous met pas à l’abri des coups durs, mais elle permet de résister quand on affronte le pire et de reprendre une forme de développement par la
• suite», conclut-elle.
La résilience, c’est «la capacité à réussir, à vivre, à se développer en dépit de l’adversité».
— BORIS CYRULNIK, psychiatre