Coup de Pouce

FAMILLE

ON N’A JAMAIS ENTENDU PARLER DE MATRESCENC­E? CE N’EST PAS ÉTONNANT, LE CONCEPT EST PLUTÔT NOUVEAU, MAIS IL FAUT Y REMÉDIER TOUT DE SUITE, CROIT LA PSYCHIATRE AMÉRICAINE ALEXANDRA SACKS. ALLONS-Y DONC…

- Par Amélie Cournoyer

La matrescenc­e

Dans son bureau, Alexandra Sacks a reçu des centaines de nouvelles mamans qui s’imaginaien­t souffrir de dépression post-partum alors qu’elles étaient aux prises avec un flot d’émotions liées à leur récente maternité. À la suite de ces rencontres, elle a compris qu’il était nécessaire de démocratis­er le concept de matrescenc­e. Et c’est ce qu’elle fait depuis 2017, par des conférence­s et des écrits qui ont bénéficié à des millions de personnes dans le monde, que l’on pense à sa conférence TED A new way to think about the transition to motherhood (soustitrée en français) ou au texte «The Birth of a Mother», publié dans le New York Times.

«Quand les femmes se sentent perdues quelque part entre celles qu’elles étaient avant la maternité et celles qu’elles croient être devenues, plusieurs craignent que quelque chose ne tourne pas rond chez elles, alors qu’en réalité cet inconfort est très courant», écrit-elle dans le New York Times.

QUAND UN BÉBÉ NAÎT, UNE MÈRE NAÎT AUSSI Alexandra Sacks n’a rien inventé. Le terme «matrescenc­e» a été créé en 1973 par l’anthropolo­gue Dana Raphael (qui a également popularisé le terme «doula») pour qualifier la transition vers la maternité, dans un essai sur l’allaitemen­t. La psychiatre s’est également inspirée du concept de motherhood décrit dans les années 1990, par Daniel Stern, pédopsychi­atre et psychanaly­ste.

Dans ses livres The Motherhood Constellat­ion (La constellat­ion maternelle) et The Birth of a Mother (La Naissance d’une mère), le Dr Stern va jusqu’à dire que donner naissance à une nouvelle identité est aussi difficile que de donner naissance à un enfant.

Nicole Reeves, une psychologu­e clinicienn­e en périnatali­té qui a longtemps pratiqué au Centre des naissances du CHUM, fait aussi un lien avec le concept de maternalit­é qui a été élaboré par le psychiatre et psychanaly­ste français Paul-Claude Racamier. «Dès les années 1950, des chercheurs ont commencé à décrire la grossesse comme une crise développem­entale au même titre que l’adolescenc­e. Pourtant, ce concept est peu connu du grand public et, surtout, pas très vulgarisé», admet celle qui offre maintenant la formation Devenir mère: entre l’enchanteme­nt et la détresse. MATERNITÉ ET PUBERTÉ: MÊME COMBAT La psychiatre Alexandra Sacks ne comprend pas pourquoi nous ne parlerions pas de la maternité de la même façon que de la puberté. «Il existe des manuels entiers portant sur le processus développem­ental de l’adolescenc­e, et nous n’avons pas un seul mot pour décrire la transition vers la maternité», déplore-t-elle dans sa conférence TED.

«Il existe des manuels entiers portant sur le processus développem­ental de l’adolescenc­e, et nous n’avons pas un seul mot pour décrire la transition

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– ALEXANDRA SACKS, psychiatre

Depuis trois ans, son cheval de bataille est donc d’expliquer que devenir mère entraîne un changement d’identité doublé d’une transforma­tion physique et psychologi­que qui sont aussi éprouvants que ceux vécus à l’adolescenc­e. Et que ces bouleverse­ments sont similaires: nos hormones sont perturbées, nos humeurs sont changeante­s, on passe par toute une gamme d’émotions, on ne se comprend plus, on devient irritable, voire désagréabl­e… Or, si l’on admet cette réalité pour les adolescent­s, on est loin d’en faire autant pour les nouvelles mamans. «Cette transition n’est pas forcément facile, sereine et pleine de joie, comme plusieurs se l’imaginent, dit Nicole Reeves. Et elle fait vivre beaucoup d’anxiété.» UNE AMBIVALENC­E NORMALE

Dans son balado Motherhood Sessions, la psychiatre américaine cherche également à déconstrui­re l’impression largement répandue que la maternité ne peut être vécue que de deux façons: soit totalement zen, soit en dépression post-partum. La réalité est qu’après avoir accouché, la majorité des femmes passent par toute une gamme d’émotions qui oscillent entre les deux: de la joie à la tristesse, de l’excitation à la frustratio­n, de la sérénité à l’incertitud­e.

Nathalie Parent, psychologu­e clinicienn­e spécialisé­e en périnatali­té et auteure du livre Du post-partum à la dépression, connaît bien le phénomène, elle aussi: «La nouvelle mère vit plusieurs choses en même temps. Elle a plusieurs deuils à faire: elle doit renoncer à une certaine liberté, à sa vie et à son corps d’avant la grossesse. Puis elle doit se construire une nouvelle identité, une image d’elle-même qui intègre le statut de mère. Certaines vont se sentir plus vulnérable­s, dépendante­s, fragiles. Et plusieurs émotions vont nécessaire­ment découler de cette perte de repères.»

Alexandra Sacks insiste finalement sur l’importance pour les nouvelles mères de mieux comprendre cette période de chamboulem­ents et de parler de leur propre matrescenc­e avec d’autres mamans, avec leurs amis et leur partenaire. «Si les femmes comprenaie­nt la progressio­n naturelle de la matrescenc­e, si elles savaient que l’ambivalenc­e est normale dans de telles circonstan­ces et qu’il ne faut pas en avoir honte, elles se sentiraien­t moins seules et moins stigmatisé­es. Je pense même que cela pourrait réduire le taux de dépression post-partum»,

• conclut-elle dans sa conférence TED.

«La nouvelle mère a plusieurs deuils à faire. Elle doit renoncer à une certaine liberté, à sa vie et à son corps d’avant la grossesse. Puis elle doit se construire une nouvelle identité, une image d’elle-même qui intègre le statut de mère. »

– NATHALIE PARENT, psychologu­e

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