MIEUX VIVRE AVEC la procrastination S
ON A TENDANCE À TOUJOURS TOUT REMETTRE À PLUS TARD? L’ENNUI, C’EST QUE LA PROCRASTINATION PEUT NUIRE À PLUSIEURS SPHÈRES DE NOTRE VIE. DE PLUS, IL N’EST PAS FACILE DE SE DÉBARRASSER DE CETTE HABITUDE. ET SI L’ON COMMENÇAIT À MOINS PROCRASTINER?
i j’ai quelque chose à faire pour le lundi matin, je vais m’y mettre le dimanche soir, nous confie Marie-Andrée. Les tâches que je n’aime pas, que je trouve répétitives ou ennuyeuses, je les repousse le plus longtemps possible. J’ai toujours été comme ça. À l’université, j’étais du genre à étudier la veille de l’examen. Pour que je passe à l’action, il faut que l’échéance approche.» Pire encore, l’enseignante de 48 ans n’a toujours pas rempli ses déclarations de revenus de 2019…
Il nous arrive à toutes d’attendre à la dernière minute pour accomplir une tâche ou même de reporter des choses à la semaine des quatre jeudis. Pour environ une personne sur cinq, ce comportement est toutefois chronique. Et cela n’a rien à voir avec la paresse. «Certains étudiants n’ont jamais une chambre aussi bien rangée que pendant la période des examens», donne en exemple Anne-Louise Fournier, psychologue à l’Université Laval.
En fait, la procrastination est un problème de gestion des émotions. «On procrastine pour se sentir mieux, pour échapper aux émotions difficiles associées à une tâche, explique Frédérick Dionne, professeur-chercheur en psychologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières. On sait que cela peut nous nuire, mais c’est plus fort que nous. On le fait quand même.»
Les personnes anxieuses sont davantage à risque de procrastiner, parce qu’elles ont tendance à dramatiser les choses et à sous-estimer leurs capacités. «Il y a aussi beaucoup de procrastinateurs chez les gens impulsifs, car ils sont dans la gratification immédiate et ils ont de la difficulté à résister aux distractions», dit Frédérick Dionne, qui est coauteur du livre Déjouer la
procrastination pour réussir et survivre à vos études. Parfois aussi, procrastiner est un mécanisme de défense pour préserver l’estime de soi. Mieux vaut travailler au dernier moment et se dire qu’on n’a pas eu le temps de faire mieux plutôt que d’attribuer un éventuel mauvais résultat à un manque de compétences.
LE POIDS DE LA PROCRASTINATION
«Il y a beaucoup de procrastinateurs chez les gens impulsifs, car ils sont dans la gratification immédiate et ils ont de la difficulté à résister aux distractions.»
– FRÉDÉRICK DIONNE, professeur-chercheur en psychologie
Différer une tâche pour en faire une autre réellement plus importante ou pressante, ce n’est pas de la procrastination. Il en est de même quand on retarde un projet pour mieux y réfléchir. «Et lorsqu’on remet quelque chose à plus tard parce qu’on a besoin de prendre soin de soi, j’appelle ça gérer ses priorités», lance Anne-Louise Fournier.
La procrastination, la vraie, s’accompagne d’un sentiment de culpabilité, selon la psychologue. «Notre petite voix intérieure nous dit que notre décision d’attendre n’est pas vraiment justifiée.» Marie-Andrée peut en témoigner: «La tâche que je ne me décide pas à faire, je l’ai toujours en tête. Je n’ai pas la conscience tranquille, et ça me stresse beaucoup.»
Ce poids mental peut avoir des conséquences néfastes: niveau de stress élevé, insatisfaction perpétuelle, perte d’estime de soi… Une tempête émotive qui augmente le risque de souffrir de problèmes de santé physique et mentale, d’autant que certains retardataires chroniques tergiversent aussi au moment de consulter un médecin ou d’adopter de meilleures habitudes de vie. Sans compter que la procrastination malmène les relations interpersonnelles. «Des amitiés se brisent, des conflits éclatent, des couples se défont», constate Anne-Louise Fournier.
Au travail, la procrastination peut nuire aux relations avec les collègues, à la performance, aux possibilités d’avancement. Enfin, certaines personnes s’attirent de sérieux ennuis en remettant indéfiniment les tâches administratives (payer ses factures, renouveler sa carte d’assurance-maladie, faire ses déclarations de revenus, etc.). En France, on commence même à qualifier de «phobie administrative» la procrastination extrême concernant la paperasse.