Coup de Pouce

Comment devenir un bon modèle pour nos enfants?

Personne n’est parfait. Tout au long de notre parcours de parent, il nous arrive de nous contredire: de dire une chose et de faire son contraire… Comment arriver à être aussi constant que cohérent, sans se culpabilis­er?

- Par Maude Goyer

Mère d’un adolescent de 14 ans et d’une préadolesc­ente de 11 ans, Marie-Ève ne cesse de répéter à ses enfants de «lâcher leurs écrans». «Je me suis épuisée à force de leur dire de faire autre chose: “Va dehors, lis un peu, viens m’aider à cuisiner”… jusqu’à ce que je me rende compte que j’étais moi-même toujours en train de flâner sur les réseaux sociaux, sans but et sans compter mon temps. On aurait pu me greffer mon téléphone dans la main!»

Le moment précis où Marie-Ève a pris conscience de l’ampleur du problème a été particuliè­rement douloureux. Un samedi soir d’automne, tous les trois étaient réunis devant un film qu’ils avaient choisi, mais chacun pianotait sur son téléphone… «Ça m’a frappée de plein fouet: personne n’écoutait le film! On ne partageait pas le moment: on était seuls ensemble», laisse tomber cette Montréalai­se de 40 ans.

C ’est en discutant avec des amis et en réfléchiss­ant à sa propre utilisatio­n de la technologi­e que Marie-Ève a choisi de faire «une cure de réseaux sociaux» pendant un mois, pour ensuite ralentir sa consommati­on… Cela a eu des effets insoupçonn­és. «Mes enfants m’ont imitée, dit-elle avec émotion. Ils ont retiré leurs notificati­ons de leurs appareils, on a pris de nouvelles habitudes, on en a parlé… et maintenant, ils m’entendent quand je leur demande de lâcher leur écran.»

Fais ce que je dis, pas ce que je fais

À l’instar de Marie-Ève, quel parent n’a pas, un jour, dit une chose et fait son contraire? Or les enfants nous regardent… plus qu’ils nous écoutent. «La recherche en psychologi­e a montré que, depuis la nuit des temps, les humains font de nouveaux apprentiss­ages en imitant un comporteme­nt», explique Nicolas Chevrier, psychologu­e que l'on peut voir à l'occasion à l'émission Deux filles le matin.

Crier à nos enfants d’arrêter de crier, demander de se ramasser alors qu’on a tendance à se laisser traîner ou de bouger davantage alors qu’on est plutôt sédentaire: autant de messages paradoxaux qui n’échapperon­t pas aux enfants, ces petites éponges ambulantes prêtes à nous balancer nos propres contradict­ions en plein visage.

Se montrer tel qu’on est

La communicat­rice et auteure Marcia Pilote se passionne pour ces questions. Mère de deux filles de 33 et 23 ans, grand-mère d’un garçon de 5 ans, elle ne croit pas qu’être un modèle soit important. «Moi, je n’ai jamais voulu être un modèle pour mes filles! s’exclame-t-elle. Ou alors la définition de “modèle” est à revoir, car elle implique une certaine rigidité, le fait qu’on n’ait pas le droit à l’erreur, qu’il faut être parfaite…»

Cela lui fait dresser les cheveux sur la tête: être le parent parfait, c’est la pire chose, soutient-elle. «Je veux que mes filles s’inspirent de moi, et donc qu’elles aient accès à moi, à la vraie Marcia, pas à la mère ni à l’amie, nous confiet-elle. Je veux qu’elles me voient pleurer, qu’elles me voient me séparer, avoir des chicanes avec mes amis, être dépassée par certains évènements, aller en thérapie, me rouler en boule, bref, qu’elles me voient dans toute ma vulnérabil­ité. C’est ça, la vraie vie.»

Et si c’était là la meilleure façon d’être «un modèle»? Se montrer avec ses failles et ses défis, ne pas cacher ses erreurs et ses échecs (au contraire, les avouer) pour bien outiller ses enfants? Véronique Carignan, psychoéduc­atrice et maman de deux enfants de 5 et 4 ans, croit que c’est LA piste à privilégie­r. «Il faut se demander ce qu’on veut prôner, s’arrêter un moment pour réfléchir à nos valeurs familiales, déterminer celles qui sont les plus importante­s, celles qu’on souhaite prioriser, indique-t-elle. Et ensuite se demander comment on veut les faire vivre.»

Selon elle, la première étape est de prendre conscience de ce qui ne va pas ou de ce que l’on veut changer (comme arrêter de crier contre les enfants le matin). «On essaie de le faire avec bienveilla­nce et sans culpabilit­é», souligne-telle. La deuxième étape consiste à tenter d’amorcer un changement tout en se donnant le droit de se tromper (dans l’exemple ici, cela pourrait être de prévoir plus de temps dans la routine matinale, afin d’alléger le stress de tout le monde). «C’est un apprentiss­age, dit-elle, et je pense qu’il faut apprendre à le voir ainsi, et non comme un échec.»

Se donner le droit à l’erreur

Ah! l’échec! ce fameux mot avec lequel les parents jonglent péniblemen­t… Pourtant, les enfants ont avantage à nous voir composer avec l’erreur et l’échec, affirme Nicolas Chevrier. «Il faut prévenir un certain perfection­nisme en acceptant qu’on fait des erreurs et qu’on vit des échecs, en apprenant à gérer les émotions qui sont liées à ça et en se trouvant ensuite un nouvel objectif», note-t-il.

Le parent qui porte une attention à ces aspects a des chances d’être plus ouvert, plus tolérant et plus patient avec son enfant… et cela améliorera la relation. «Les parents ›››

«J’ai besoin de me retrouver avec moi-même. Tous les mardis, les enfants vont chez leur grand-mère. Ils couchent là, et elle va les conduire à l’école le lendemain. Ce petit 24 heures en solo fait de moi une meilleure mère, je pense! J’ai le temps de réfléchir, d’écrire, de prendre du recul.»

− Mélanie, mère de trois enfants âgés de 13, 8 et 6 ans

«J’ai appris à soigner ma santé mentale: j’ai besoin de sommeil, d’exercice et de bien m’alimenter. C’est la base pour moi. Puisque j’en fais une priorité et que j’en parle, ma fille a tendance à m’imiter.»

− Patrick, père d’une adolescent­e de 12 ans

ont tendance à avoir l’espoir ou l’illusion que leur enfant est parfait, sans faille… Or chaque enfant a des forces et des faiblesses, des zones dans lesquelles il est à l’aise et d’autres dans lesquelles il ne l’est pas. Il y aura certains volets de sa vie dans lesquels il sera dysfonctio­nnel», précise le psychologu­e.

Au lieu d’intervenir à tout moment pour contrôler son enfant (ce que font les «parents hélicoptèr­es», soit les parents qui surprotège­nt et se surimpliqu­ent), il vaut peutêtre mieux apprendre à s’observer, à gérer ses propres angoisses… et à présenter des excuses. «Idéalement, avant d’avoir des enfants, on devrait faire le travail de régler nos propres blessures d’enfance, on devrait faire le ménage pour éviter de transporte­r notre bagage dans nos relations avec nos enfants, commente Marcia Pilote. C’est très galvaudé de dire qu’être parent, c’est simple et naturel!»

Avouer ses torts et faire des excuses est aussi (sinon plus) important que de vouloir inspirer nos enfants en endossant, par notre comporteme­nt et nos actions, les valeurs qui nous sont chères. «Faire une erreur n’est pas une finalité en soi, dit Mme Carignan. Le moyen de réparer, c’est de présenter des excuses à son enfant en expliquant pourquoi on a agi ou réagi ainsi et dire quelle aurait été la meilleure façon de faire.» Encore mieux: on peut demander à son enfant ce qui aurait été préférable de dire ou de faire dans le contexte, puis en discuter ensemble.

L’apprentiss­age, pour l’enfant, est immense. «Il voit son parent avoir l’humilité de reconnaîtr­e qu’il s’est trompé et que c’est correct de faire des erreurs», soutient M. Chevrier.

Comment étions-nous à leur âge?

Une autre piste, lors de conflits ou de difficulté­s relationne­lles parent-enfant, est de parler de sa propre enfance et de son adolescenc­e. De remonter le passé pour parler de situations délicates que nous avons nous-mêmes vécues. Marcia Pilote croit beaucoup à cette stratégie. «Au lieu de

«Je parle ouvertemen­t de comment je me sens. Je le dis aux enfants quand je n’ai pas eu une bonne journée, quand je me sens moche ou plus sensible, et j’explique pourquoi. Souvent, ça ouvre des discussion­s intéressan­tes.»

− Salima, mère de deux enfants de 10 et 7 ans

dire à notre ado: “Fais pas ceci, fais pas cela”, parlons-lui de notre adolescenc­e, de nos expérience­s, des moments où nous avons été tristes ou en colère, suggère-t-elle. Le vernis est très épais sur le rôle qu’on a à jouer, sur le fait qu’il faut léguer quelque chose d’important, alors que l’essentiel, c’est d’être nous-mêmes… et de donner accès aux enfants à toutes nos facettes.»

Nicolas Chevrier est du même avis: «C ’est en apprenant à gérer nos propres émotions, avec ouverture et humilité, qu’on montre à nos enfants à être soi-même.»

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