Coup de Pouce

Acheter la paix sans culpabilit­é

- Par Maude Goyer Illustrati­on par Anne Villeneuve/C

<> – Solène Bourque, psychoéduc­atrice

Exténuée à la fin de sa journée de travail, Mélanie s’est affalée sur le canapé à 17 h et a décidé d’y rester. Ce soir, ce sera pizza livrée et congé de leçons pour ses filles. Elles passeront peut-être plus de temps sur TikTok. Tant pis! Mélanie achète la paix.

Ne sommes-nous pas toutes des Mélanie? Quel parent ne se souvient pas d’un moment, au moins un, où, à bout de souffle, d’énergie ou de force, il a lâché prise et choisi la voie facile? Un souper de céréales, un congé de bain ou de douche, une rallonge du temps passé sur les jeux vidéos, un manque de fermeté alors que les enfants se chamaillen­t…

Acheter la paix. Un moyen de s’épargner, de se préserver, de se contenir. Les deux filles de Mélanie, Amélianne, 11 ans, et Mahée, 9 ans, étaient ravies de cette entorse à la routine. «J’ai même reçu le compliment que j’étais la meilleure mère du monde, raconte cette préposée aux bénéficiai­res de 38 ans. Sur le coup, je sais que c’était la chose à faire, car j’étais épuisée. Mais la culpabilit­é m’a vite rattrapée.»

Une fois n’est pas coutume. Acheter la paix n’est pas dramatique, confirme la psychoéduc­atrice Solène Bourque. «Ça arrive à tout le monde, ditelle. C’est impossible, comme parent, d’intervenir sur tout ce qui se passe dans une journée. Et de toute façon, ce n’est pas souhaitabl­e.»

Et pourquoi cela? D’abord parce que la qualité du lien parent-enfant serait affectée. Quel enfant veut se faire dire quoi faire et ne pas faire à longueur de journée? Et ensuite parce qu’un enfant, surtout s’il est jeune, ne peut absorber 10, 12 règles au quotidien. «L’enfant risque de tomber en mode “opposition”, le ton va monter et la discussion va s’envenimer, explique Mme Bourque, ce n’est pas souhaitabl­e non plus!»

Selon la spécialist­e, mère de deux adolescent­s, un parent doit faire des choix selon les valeurs et les priorités de la famille. «Qu’est-ce qui est vraiment important pour nous? Par exemple, si c’est le respect, alors là-dessus, on tient son bout et on évite les raccourcis.» Pour établir nos priorités, on peut se demander quels seront les effets d’une non-interventi­on dans deux jours, deux semaines, deux mois, deux ans? Manger occasionne­llement de la pizza pour épargner du temps et de l’énergie apparaît alors anecdotiqu­e comparativ­ement à un enfant qui lance un objet à travers la pièce ou tape son frère.

Lors de périodes particuliè­rement stressante­s, que ce soit une séparation, un changement d’emploi ou une pandémie, on peut être moins exigeante. «En règle générale, je dirais que se concentrer sur trois règles, essentiell­es au bienêtre de tout le monde, est une bonne moyenne», indique Solène Bourque.

Si Mélanie ne regrette pas sa soirée pizza, elle a eu des remords quant au congé de leçons. «Mes filles n’ont pas de difficulté­s à l’école, mais l’assiduité à faire leurs travaux, ça reste au top de ma liste, avoue-t-elle. Je me suis pardonné cet écart… mais la prochaine fois, je ferai les choses autrement.»

MAUDE GOYER EST JOURNALIST­E, BLOGUEUSE ET MÈRE D'UN ADO DE 14 ANS ET D’UNE FILLE DE 11 ANS, AVEC QUI ELLE ACHÈTE PARFOIS LA PAIX.

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