L’avènement de la mode italienne moderne
Sonnet Stanfill, qui préside à la destinée de la mode contemporaine et du XXe siècle au V&A, avait à coeur d’utiliser la collection du musée, l’une des plus importantes et des plus exhaustives au monde, afin de mettre en lumière l’influence cruciale et la puissance jamais démentie de la mode italienne, de la fin de la Seconde Guerre mondiale à aujourd’hui. Cinq ans de labeur ont été nécessaires pour monter l’exposition.
Plus qu’aucune autre, la mode italienne est «un spectacle. L’Italie est imprégnée par la passeggiata, la traditionnelle déambulation du soir devant les cafés et les bars».
Pendant la guerre, l’association EnteNazionaledellaModa tente de promouvoir la mode et l’industrie textile nationales et proclame son indépendance à l’égard de Paris. On commence alors à percevoir ce qu’est l’essence italienne. La croissance économique d’après-guerre entraîne des vagues migratoires depuis les régions rurales vers des régions du nord toujours plus industrialisées. Les gouvernements italien et américain chérissent alors la mode pour son caractère salutaire et « rénovateur » sur les plans économique et diplomatique. Et lui permettent de prendre pied sur un marché américain très lucratif, une étape essentielle pour son développement à venir.
Marqueur de goût et de sophistication depuis des générations, le style italien aurait pu, à n’en pas douter, faire l’objet de nombre d’expositions. Et pourtant… « Il n’en est rien», regrette Sonnet Stanfill, commissaire de l’exposition Eleganza : la mode italienne de 1945 à aujourd’hui qui est à Montréal pour l’été après sa présentation au Victoria & Albert Museum (V&A) de Londres. «Et, dans tous les cas, nous visions cette fois quelque chose de totalement différent ». On recense en effet ça-et-là quelques expositions mineures, mais aucune de cette envergure ni de cette importance.
Le tournant opéré en 1951 à Florence, avec le premier grand défilé de mode, impacte non seulement l’Italie mais le monde entier. Organisé par Giovanni Battista Giorgini, l’événement suscite l’engouement. Dès lors, la création et le style italiens commencent à être suivis de très près. Un an plus tard, Giorgini réitère l’événement mais cette fois à domicile, au coeur de sa Florence natale. Le défilé demeure modeste mais son influence atteint des sommets. Les grands magasins nord-américains y dépêchent leurs acheteurs les plus expérimentés et la presse en redemande. Avec les défilés de 1952, qui se déroulent dans la désormais légendaire Sala Bianca du Palazzo Pitti, « la mode italienne assoit son rang sur la scène internationale».
Cela dit, la production raffinée des grandes maisons de haute couture a commencé bien avant, et Rome n’est pas en reste face à Florence. Le succès médiatique de la Sala Bianca éclipse la sartoria traditionnelle – ou confection traditionnelle – qui, de l’avant-guerre à l’immédiate après-guerre, s’avérait la principale source de pièces de bonne qualité pour des femmes italiennes soucieuses de leur allure.
C’est toutefois le marché américain qui contribue à l’évolution de la mode italienne hors de l’artisanat traditionnel, les «Américaines jetant davantage leur dévolu sur des tenues plus « portables », plus simples d’entretien et davantage adaptées à leur vie active». L’influence américaine se poursuit dans les années 1960 : « Sur les plateaux et en dehors, de Cinecittà à Rome, les acteurs hollywoodiens, leurs expéditions magasinage à Florence et leurs vacances sur la côte amalfitaine, font la une des magazines people et de mode ». Audrey Hepburn et Gregory Peck dans Vacances romaines, Liz Taylor et Richard Burton dans Cléopâtre – sont autant d’ambassadeurs de la mode italienne.
À la même époque, Milan commence à investir le devant de la scène. Rome, Florence, et Turin avant elles, « concourent depuis longtemps au titre de capitale de la mode, mais Milan est désormais l’épicentre des magazines de mode et du secteur de la publicité. » La ville est également proche de « certains des pôles de production textile les plus innovants, qui rivalisent aisément avec Lyon. »
« Albini est l’incarnation d’un nouveau genre de designer, lo stilista, une figure qui émerge dans les années 1970 ». Il est celui qui assure le lien entre le volet pratique de l’industrie, les exigences des acheteurs et les besoins du public, tout en ayant conscience de l’importance des médias. Les stilista servent d’instruments pour orienter les consommateurs élitistes vers une nouvelle catégorie de mode : le prêt-à-porter de designer ». Versace et Armani entrent en piste.