GÉRANT BIENVEILLANT OU EXPLOITEUR SANS VERGOGNE?
IL N’ÉTAIT PAS PLUS COLONEL QUE VOUS ET MOI. UNE CHOSE EST SÛRE: TOM PARKER ÉTAIT UN HOMME D’AFFAIRES TRÈS HABILE. MAIS A-T-IL ÉTÉ LE GÉRANT QUE LE ROI DU ROCK MÉRITAIT? Le nom d’Andreas Cornelius van Kuijk ne vous dit probablement rien... Et celui de Thomas Andrew Parker? Peut- être guère plus. Mais si on évoque le nom de Tom Parker, dit le Colonel Parker, tout le monde sait qu’il est l’un des managers les plus célèbres de l’histoire du showbiz. Et l’un des plus controversés aussi! Nombreux sont ceux qui déplorent qu’il ait fait de son poulain, Elvis, une bête de cirque. Une expression qui n’est pas anodine, compte tenu du passé de l’imprésario. Les origines de l’homme sont pour le moins nébuleuses. Il serait né aux Pays- Bas en 1909. On sait aussi qu’il est entré illégalement aux États- Unis avant d’être engagé au cirque Barnum. C’est alors qu’il s’est familiarisé avec les techniques de publicité et de mise en marché avant de mettre sur pied sa propre entreprise, la G Great Parker Pony Circus. C’est au début des a années 1950 qu’il est devenu im imprésario. Il a d’abord géré la carrière d’Eddy Arnold, puis ce celle de Hank Snow. Ces ar artistes jouissaient déjà d’une ce certaine notoriété, mais Parker dé désirait porter un grand coup.
En 1955, lorsque le Colonel le vit pour la première fois en spectacle, Elvis Presley n’avait que 19 ans. C’est sur lui qu’il jeta son dévolu. Et Elvis s’est laissé séduire par son bagou et ses promesses.
UN FIN RENARD
À cette époque, celui qui ne revendiquait pas encore le titre de King était sous contrat avec Sun Records, propriété de Sam Phillips. Le 15 mars 1955, Parker signait une entente de représentation exclusive avec Elvis d’une durée de 20 ans, qui prévoyait qu’il toucherait 15 % de tous les revenus de son protégé. Il décrochait aussi une entente avec RCA. Pour ce faire, Parker avait racheté le contrat le liant à Sun pour 35 000 $, et Elvis reçut une avance de 120 000 $ de RCA — une somme colossale pour ces années- là!
Dès lors, le succès d’Elvis fut aussi instantané que phénoménal, et ses revenus furent proportionnels. La demande pour le King était forte, et les cachets que commandait son imprésario ne connaissaient pas d’égal.
Elvis était au faîte de sa gloire lorsque, en 1958, il s’envola vers l’Allemagne pour faire son service militaire. Il en revint en mars 1960. Pour plusieurs, c’est à ce moment précis que la couronne du Roi du rock a commencé à perdre de son lustre.
Durant le séjour prolongé outre- mer d’Elvis, Parker avait préparé le terrain pour son retour à la vie publique. Et c’est par le biais du cinéma qu’Elvis revint sous les feux de la rampe. Au boxoffice, les résultats étaient spectaculaires, mais les films étaient généralement d’une navrante qualité. Durant toute la décennie 1960, Elvis en tourna deux, trois, voire quatre par année. Insensible aux critiques et à la direction que prenait la carrière de son poulain, le Colonel se contentait de se frotter les mains en pensant aux liasses de billets verts qui entraient à pleins camions. En effet, avec le producteur Hal B. Wallis, il avait signé une entente de sept ans selon laquelle Elvis toucherait un million de dollars par film, plus un pourcentage sur les recettes. Il devenait ainsi le premier artiste à jouir d’une telle clause. Mais à quel prix!
Dans une entrevue qu’il accordait à Échos
Vedettes en juillet 2002, son directeur de tournée et membre de la Memphis Mafia, Joe Esposito, faisait valoir: «Il faut se rappeler qu’à l’époque les médias de masse avaient nécessairement moins d’impact qu’aujourd’hui. Pour Elvis, le cinéma était une façon de demeurer présent, même lorsqu’il n’était pas en spectacle. Mais je crois qu’il a joué dans beaucoup trop de films qui ne lui rendaient pas justice. Ça l’a mal servi.»
HOLLYWOOD ET LAS VEGAS
Lorsqu’on pense à la direction que le Colonel a fait prendre à son protégé après son service militaire, deux images nous viennent en tête: Elvis à Hollywood et Elvis à Las Vegas. C’est lui qui a eu l’idée d’établir en résidence son protégé dans la capitale du jeu dans les années 1970. Et ça n’était pas anodin puisque Parker fréquentait assidûment les casinos et était un joueur invétéré.
Durant quatre ans, le succès fut au rendez-vous, même si la santé du King déclinait inexorablement et qu’il était sous l’emprise des médicaments. Encore là, plusieurs ont jugé que le Colonel se servait d’Elvis pour maintenir son train de vie et renflouer ses pertes au jeu. Toutefois, dans l’entrevue qu’il nous accordait en juillet 2002, Joe Esposito donnait un autre son de cloche: « On a dit que le Colonel l’avait d’une certaine façon “emprisonné” là- bas, mais c’est tout à fait faux. Elvis adorait être sur scène, et c’est tout ce qui importait rtait pour lui.lui Malheureusement, il avait pris énormément de poids et n’était plus vraiment en santé.»
LA VIE APRÈS ELVIS
Après la mort de Presley en 1977, le Colonel dut dédommager les parties avec lesquelles il était lié par contrat. Les choses allèrent de mal en pis pour lui. Il déposa le bilan de sa société, BoxStar, et vendit les droits sur Elvis à Warner Bros. Pictures en vue du documentaire This Is Elvis, paru en 1981. (Rappelons que le Montréalais David Scott y incarnait le King à 18 ans.) Mais le Colonel n’était pas au bout de ses peines! Cette même année, il était poursuivi par les héritiers d’Elvis pour mauvaise gestion. Dans un jugement rendu en 1983, Tom Parker fut définitivement relevé de ses fonctions d’agent d’Elvis et reçut deux millions de dollars pour sceller l’affaire. La succession du défunt était disposée à faire ce compromis pour ne plus entendre parler de lui.
Tom Parker s’est éteint dans une totale indifférence en 1997 après avoir perdu au jeu plus de cinq millions de dollars.