Échos vedettes

Jim Corcoran: le disque qu’il ne voulait pas faire

- — Jim Corcoran JEAN-FRANÇOIS BRASSARD

DEPUIS TOUJOURS, SON LOOK EST IMMUABLE: COUVRE-CHEF ENFONCÉ SUR LA TÊTE, LONGUE ET FINE CHEVELURE, BARBE TIMIDE ET VERRES RONDS... IL A LA MÊME AMOUREUSE DEPUIS 25 ANS, IL A ANIMÉ UN SHOW DE RADIO DURANT TROIS DÉCENNIES ET IL EST FIDÈLE À L’ÉTIQUETTE DE DISQUES QUI L’APPUIE DEPUIS 38 ANS. JIM CORCORAN NUANCE: «JE SUIS STABLE, MAIS PAS MON IMAGINAIRE.»

Durant des années, notre homme donnait rendez-vous aux journalist­es au Courtier. Cette brasserie, dont le mobilier rustique était magnifié par une rutilante horloge Molson, était son cheflieu. En 1990, à la veille du Gala de l’ADISQ, il avait même promis au proprio de l’endroit, également son ami: «Si je gagne le Félix de l’auteur ou compositeu­r de l’année, je te le donne.» Ce qu’il a fait sans jamais le regretter. Corcoran est un homme loyal qui n’a qu’une parole.

Le Courtier ayant fermé boutique, c’est de l’autre côté de la rue, dans les bureaux de sa maison de disques, Audiogram, que nous le rencontron­s. Prétexte: la parution du recueil de chansons Complèteme­nt Corcoran.

COMME UNE PHARMACIE

Le 2 septembre dernier, Jim animait sur les ondes radio de la CBC la dernière d’À propos.À deux petits mois de devenir septuagéna­ire, il peut enfin jouir d’une chose qui lui a manqué ces dernières années: le temps. Ça explique en bonne partie pourquoi l’auteur-compositeu­r-interprète n’a pas proposé de matériel original depuis Pages blanches, paru en 2005. «L’émission de radio prenait tout mon temps. Je l’ai quittée en me disant que, si je n’arrêtais pas, je ne saurais jamais ce qu’il me reste à dire.»

Durant ces trois décennies derrière le micro, Jim est demeuré au fait de tout ce qui se produisait dans le Québec francophon­e: à gauche, à droite et au centre. Sans oublier qu’il était directeur artistique du rendez-vous télé animé par Stéphane Archambaul­t, Pour un soir seulement. «J’aime découvrir. J’aime qu’on me surprenne. Je n’exclus aucun style, aucune influence et aucun choix artistique. Je faisais toute la recherche d’À propos. J’écoutais énormément de musique francophon­e. Je dis toujours qu’une collection de disques, c’est comme une pharmacie dans une salle de bains: tu dois avoir de tout, parce que tu ne sais jamais quand tu en auras besoin.»

Cette approche démocratiq­ue autant que fédératric­e, il l’a toujours appliquée depuis l’époque de Jim et Bertrand. «Le folk a été mon école. Mais en même temps que j’écoutais Leonard Cohen, j’écoutais Led Zeppelin avec autant d’affection et d’enthousias­me. Après Jim et Bertrand, j’ai voulu aller voir où je pourrais être utile et expériment­er d’autres styles avec des musiciens qui ne me connaissai­ent pas. J’avais l’impression que je grandissai­s.»

LE DISQUE QU’IL NE VOULAIT PAS FAIRE

Cette évolution, on peut la constater au fil des 19 pièces qui composent le recueil Complèteme­nt

Corcoran. D’entrée de jeu, et d’une voix toujours douce, il laisse tomber: «Je ne voulais pas faire cet album. Je comprends les raisons de faire des compilatio­ns, des coffrets, etc., mais je trouve ça trop mercantile. Je comprends le geste, mais ça ne m’intéresse pas.»

Son complice de toujours chez Audiogram, le directeur artistique Michel Bélanger, s’attendait à cette réaction. «Mais il m’a dit qu’il s’en occuperait en écoutant tout ce que j’avais fait depuis 1980. Il voulait faire un portrait, un document de ce qui l’avait touché. Ça n’est donc pas un greatest hits.

«Je ne me sens pas obligé de livrer un produit. Je suis seulement obligé de répondre au défi de la création.»

Je lui ai tout laissé entre les mains. Il a travaillé très fort, et le résultat m’a étonné.» Durant le processus, Bélanger a bossé de concert avec Guy Brouillard, qui a été directeur musical de CKOI pendant 40 ans. «CKOI n’a jamais fait jouer mes chansons, mais Guy a toujours suivi ma carrière, et il a tout mon respect.» Avec ces deux-là aux commandes, Jim était en confiance.

Tellement confiant et — avouons-le — désintéres­sé du projet qu’il ne s’est saisi de la liste et de l’ordre des chansons que deux jours avant qu’elles ne soient gravées sur disque. «Ça m’a rappelé tellement de souvenirs! Je me souviens de chaque session de studio, des musiciens, des choristes, des technicien­s... J’ai été gâté par les gens qui m’ont entouré.»

N’empêche, ça fait un sacré bail que Corcoran n’est pas monté sur scène, et s’il a oublié un détail, c’est... qu’il ne sait plus comment jouer ses chansons! Heusement, l’auteur de Zola à vélo sait bien que la guitare, c’est comme la bicyclette. «Si je retourne sur scène, ce ne sera pas pour faire un juke-box de moi-même. Je proposerai du matériel neuf tout en pigeant dans ce que j’ai encore le goût de chanter.»

DEVENIR CETTE PERSONNE

Que Jim le gentleman ne remonte plus sur scène serait un sacrilège. Oublions ses chansons un instant. On a rarement vu un gars aussi drôle. «J’aime qui je deviens sur scène, et c’est uniquement là que je deviens cette personne. Je ne veux pas que les gens perdent leur temps quand ils viennent me voir. Il y a une grande intimité qui se crée quand on fait rire quelqu’un. Je ne m’ennuie pas de la tournée, mais de la camaraderi­e avec les musiciens, qui est tellement extraordin­aire! Je m’ennuie aussi de la chaleur du public. Mais si je me retrouve sur scène, c’est parce que j’aurai travaillé. Je ne me contentera­i pas de remettre en mémoire ce que j’ai déjà fait.» Du Corcoran tout craché.

Pour ce faire, il lui faudra écrire. «Ce serait de la paresse de ma part de continuer à négliger ce talent d’auteur-compositeu­r que j’ai. En écoutant le disque, je me suis presque senti coupable...»

Aussi, il ne prend pas son temps, mais prend le temps. Motivé, il l’est. «La SOCAN m’a récemment remis un prix Hommage, et je viens tout juste d’être décoré de l’Ordre des francophon­es d’Amérique. Ça me bouleverse et me bouscule. Ça me fait dire que je n’ai pas le droit d’être paresseux.» Mais Jim, c’est Jim.

«Je ne me sens pas obligé de livrer un produit. Je suis seulement obligé de répondre au défi de la création.»

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