Serge Fiori: apprivoiser le bonheur
Le spectacle et l’album Serge Fiori, Seul ensemble voient le jour
CES JOURS-CI, IL FÊTE SES 67 ANS, SOULIGNE LES 45 ANS DE LA PARUTION DU PREMIER LONG JEU D’HARMONIUM ET CÉLÈBRE LE SPECTACLE SERGE FIORI, SEUL ENSEMBLE,
DU CIRQUE ÉLOIZE, ET L’ALBUM QUI L’ACCOMPAGNE. HEUREUX, LE MONSIEUR? LA QUESTION EST MOINS SIMPLE QU’ELLE N’Y PARAÎT... SERGE FIORI PREND LE TEMPS D’Y RÉPONDRE AVEC SA BLONDE.
Durant les années 1970, pour ceux qui allaient camper devant sa maison de Saint-Césaire, il était un gourou. Depuis, certains l’élèvent au rang de génie. Tantôt comme un fou, tantôt comme un sage, il porte aussi l’auréole d’une icône.
La vérité est que Serge Fiori est un gars parmi tant d’autres qui vit en banlieue avec sa blonde. C’est pas glamour, mais c’est ça. Oui, son entourage est imposant. Il y a toujours Mario, Serge, Stéphane... parfois s’ajoutent Élizabeth et Junior. Non pas des portiers, mais des accompagnateurs conviviaux et pas intimidants pour deux sous.
Serge Fiori ne demande pas grand-chose au bon Dieu ou à son entourage, à part avoir le temps de fumer entre deux engagements. «C’est pas ça, le bonheur?»
***
Le journaliste d’Échos Vedettes arrive à l’heure pile au rendez-vous, serre les mains qui entourent Fiori et embrasse la belle Hélène. La belle Hélène, c’est la blonde de Serge. Celle que l’on croise partout et qui avait largement contribué à faire du lancement de L’Heptade XL, le 15 novembre 2016 au Métropolis, un événement unique et mémorable.
Avant de se rendre au local prévu pour s’entretenir avec son chum, le représentant d’Échos Vedettes lui demande:
− Veux-tu venir faire l’entrevue avec nous? − Moi? Pourquoi? Ça intéresse qui?
− Ben... Ce serait le fun que les gens te connaissent.
− ...
***
Ça reste de même. Trente secondes plus tard, Fiori rejoint le journaliste. Avec sa blonde.
− Tu es là?
− Ben... Pourquoi pas?
***
On y va au feeling.
Tu es à l’aise, tu y vas. Tu ne l’es pas, tu t’abstiens. Pas plus compliqué que ça. Le journaliste pose des questions. Parfois.
Sinon, il écoute ce que ces deux-là ont à conter le plus spontanément du monde.
À LA MÊME PLACE
Originaire du Lac-Saint-Jean, Hélène habite avec son Serge sur la Rive-Sud de Montréal depuis huit ans. Le couple est aussi fier propriétaire d’un chalet au Lac depuis quelques années. «Serge et ma famille sont fous les uns des autres. C’est un Bleuet d’adoption. Si ça continue, il va être élu maire de Saint-Henri-deTaillon!» lance-t-elle en riant.
La rencontre entre le musicien et la chorégraphe a été favorisée par les réseaux sociaux. «Elle m’a fait un clin d’oeil en me disant qu’elle faisait des chorégraphies sur mes musiques. On s’est mis à
chatter et on a tout de suite réalisé qu’on était à la même place. On voit la musique pareil, on voit la danse pareil. Même chose pour le cinéma. C’est un échange comme je n’en ai jamais connu. C’est débile», s’étonne-t-il encore. Hélène renchérit: «C’est une “jumellerie”. On n’a pas besoin de se parler.» Pourtant, ce monde-là en a beaucoup à dire! «Le soir, il se sert son whisky et on s’assoit l’un en face de l’autre. On parle de psychologie jusqu’aux petites heures... On écoute de la musique en la décortiquant... On tripe!»
Des ados. On vous le dit: des ados! À la différence près que Serge a 67 ans. Et Hélène, qui en a 17 de moins, est maman d’une magnifique jeune femme de 27 ans. Elle illustre: «On est comme les morceaux d’un casse-tête qui se sont trouvés. Les pièces s’imbriquent naturellement et on avance avec ça. Il y a quelque chose qui a pris forme. Serge me calme et je le calme. Chaque jour, on s’aime encore plus. Mes parents sont ensemble depuis 60 ans et c’est l’exemple que j’ai eu toute ma vie. Je suis en train de vivre la même chose avec lui.»
LA FAMIGLIA
Serge Fiori. Fils unique. Orphelin de père et de mère. Plein de sang italien dans les veines. Et qui dit Italien dit famiglia. Et la sienne, elle est où? Elle est qui? Ça commence avec Marie-Claude. «Je la connais depuis 50 ans. C’est ma soeur spirituelle. On a toujours cohabité en partageant des duplex ou des maisons. Maintenant, Hélène et moi avons le haut et Marie-Claude, le bas. C’est le noyau de ma famille. Tout ça est pour moi très important.»
Et que dire de Frédérique, la fille de sa belle? «Elle vient nous achaler les fins de semaine avec ses problèmes de fille.» Foutaise. Il est fou d’elle. Pour une très rare fois, Fiori, l’authentique, masque sa pudeur par une boutade. Sa blonde corrige le tir: «Il s’en occupe comme si c’était sa propre fille. Quand elle vit quelque chose de difficile, il s’assoit avec elle et ils parlent toute la soirée. Serge est à la fois maternel et paternel. Il prend soin de tout le monde. Si un ami est dans le besoin, on a toujours une chambre pour lui.»
Effluves de Saint-Césaire lorsque Fiori ajoute: «C’est impossible pour moi d’accepter que quelqu’un de mon entourage n’aille pas bien. J’ai toujours eu un esprit communautaire. Je suis incapable de faire autrement. Je suis fils unique et je n’ai pas de famille.» Ceci explique en bonne partie cela.
UN FILS UNIQUE ET SES TROIS ENFANTS
La rencontre dont nous faisons le compterendu a eu lieu à une semaine de la première représentation du spectacle du Cirque Éloize, Serge Fiori, Seul ensemble. Le travail qui s’est effectué en amont a permis à notre homme de se découvrir une nouvelle famille. Musicale, cellelà. Le Padre est maintenant père de trois fils: Louis-Jean Cormier, Alex McMahon et Guillaume Chartrain. «On ne se lâche plus. On se demande comment on va faire pour vivre le blues de ne plus être ensemble en studio tous les jours...»
En plus de 45 ans de carrière, avait-il déjà connu cet esprit? Il hésite. Ses yeux se posent sur la table. Puis, il émet le rire mal à l’aise d’un gars pas trop sûr de ce qu’il va répondre. «Je vais plonger.» Et il devient intarissable. Ça sort comme ça sort. Il faut que ça sorte. «J’ai vécu cet esprit aux débuts d’Harmonium et de FioriSéguin. Mes projets commençaient par une amitié, puis ça devenait du travail avant que tout ne devienne houleux. Cette fois, ce n’est que du bonheur, de l’amour et de la créativité. C’est la première fois que ça se passe comme ça. Il n’y a pas d’ego. Dans un band, tôt ou tard, tout le monde commence à tirer sur la couverte pour s’approprier des choses. J’ai une collaboration de 45 ans avec Louis Valois (un des trois membres fondateurs d’Harmonium), qui est mon frère et mon pote. Je l’adore et on s’est soutenus tous les deux à travers ça. Dans les tournées avec Harmonium, on se tenait collés en hostie pour se protéger. Aujourd’hui, je suis tellement content de vivre tout ça dans la joie. J’ai trouvé une famille, et c’est filial. Ce ne sont pas des potes, ce sont mes garçons. Je veux faire attention à eux. Je veux les protéger.»
«Serge est à la fois maternel et paternel. Il prend soin de tout le monde. Si un ami est dans le besoin, on a toujours une chambre pour lui.» − Hélène
Il prend soin d’eux en même temps qu’ils sont les gardiens de son intégrité artistique en magnifiant ses classiques. C’est pas banal. «C’est très émotif. Ce qui me touche le plus, c’est de revisiter mon écriture. Tu réécoutes ça après 40 ans. Tu passes à travers toutes tes périodes créatives, ta vie... Les gars ont 30 ans et ils entrent là-dedans avec un tel bonheur! Chu p’us du monde...»
Hélène écoute en le regardant. Puis, elle se tourne vers le journaliste: «Ce n’est pas vrai qu’il n’est plus du monde. Il est touché et vit un grand bonheur. Il ne sait juste pas comment le gérer.» Et vlan!
UNE FORCE TRANQUILLE
Hélène est toute douce et tout assumée. Une force tranquille. Lorsqu’elle parle, on écoute. Ses mots ont du poids. Son chum s’en sert comme levier. «En fait, ce qui manque à mon bonheur, c’est d’accepter mon bonheur. C’est ça, mon hostie de problème. Là, je suis angoissé parce que je suis heureux. Je suis tout excité et je ne sais pas quoi faire avec ça. Je panique. Accepter mon bonheur, c’est mon gros problème de vie. Je me demande toujours si ça va tomber, quand ça va arrêter...»
Il ne fait pas ses 67 ans, le Fiori. Mais, inexorablement, le temps suit son cours. «J’arrive à un âge où ça va vite en criss. Et je réalise que c’est maintenant que je suis heureux... Ça fait que je me dis: “Ha! J’aurais fait un autre 15, 20 ans”. On règle tellement d’affaires en vieillissant. On lâche prise et on apprécie plus ce qu’on a.»
L’âge. «Je capote. Ça va beaucoup trop vite. Je n’aime pas ça.» Et Hélène de lui rappeler l’importance de profiter de chaque instant. Il l’écoute en acquiesçant. Rationnellement, il le sait. Mais c’est un état qu’il lui reste à intégrer pour le ressentir. Comme un sage.
HARMONIE
Harmonie. Ça s’applique à la musique de Fiori et à sa relation avec ses proches. «J’ai besoin de ça. Je suis très famille. Si j’entre dans une situation où il y a de la résistance, je capote. Soit je défonce la porte et je dis tout ce que j’ai à dire, soit je m’en vais.»
Bien sûr, il a subi des blessures. L’une d’elles s’est refermée le 25 octobre dernier à la faveur du Félix hommage remis à Harmonium par l’ADISQ. Après des années et des années de froid, réconciliation avec Michel Normandeau, troisième membre fondateur du groupe. «Quand il est entré, il m’a pris dans ses bras. La barrière était levée. À partir de ce moment, la boucle était bouclée. Quand j’ai pris la parole sur scène, je me suis tourné vers le band en disant: “Cette gang-là...”. Et j’ai craqué. Je réalisais tout ce qu’on avait fait et l’effort que chacun y avait mis. C’est pas rien, tenir un band de même. Ça m’a frappé à ce moment-là. C’était une libération.»
Ce soir-là, dans les larmes de Fiori coulaient des années de silence, de mésentente et d’acrimonie. Il va au bout de sa pensée en ajoutant: «Si tu veux niaiser, niaise tout seul. Écris-moi pas pour me dire que quelque chose n’est pas correct. Appellemoi pas pour chialer, parce que tu vas parler tout seul. Je ne suis plus là. Cela étant dit, les liens sont à la même place. On ne passera pas Noël ensemble.»
EGO? QUEL EGO?
Aujourd’hui, tant personnellement que professionnellement, Fiori est bien entouré. Ses relations sont fluides. Il les choisit. «Philosophiquement, Seul ensemble, ça veut dire qu’on arrive seul, qu’on repart seul, et entre les deux, on est ensemble. Si on n’est pas ensemble, c’est rien. C’est juste nous autres. Il faut vivre cette communauté et cet échange entre êtres humains. Sinon, ça ne donne rien. Ceux qui passent leur temps à défier l’autre, je trouve que c’est...» Les mots lui manquent. Ou affluent trop. Il les réprime. Puis reprend: «Ça m’atteint, là... La prétention me tue. Pas capable. Je ne comprends pas ça.»
Pas d’ego. Même qu’il aime qu’on le mette au défi. Ce n’est pas pour rien qu’il s’est entouré de jeunes avec de nouvelles idées pour concevoir la trame musicale du spectacle et de l’album Serge Fiori, Seul ensemble. Prenons exemple sur le premier extrait, De la chambre au salon, que l’on retrouve originellement sur le premier long jeu d’Harmonium, paru le 20 février 1974. Bien sûr, cette chanson marque le 45e anniversaire. Mais pourquoi avoir choisi celle-là plutôt qu’une autre? «Parce que c’est la toune que j’haïssais le plus! s’esclaffe-t-il. En show, je la faisais seul sur scène, et elle couvre quatre octaves. Elle me terrassait. Je ne l’ai plus jamais réécoutée depuis que j’ai arrêté de faire des spectacles. Puis, l’année dernière, quand j’ai fait la liste des chansons pour le show, je les ai placées dans trois catégories: les “Sûres”, les “Peut-être” et les “Jamais”. De la chambre au salon était en haut de la liste des “Jamais”. Serge Grimaux, mon gérant, m’a dit: “T’es malade! C’est ma préférée!” Ensuite, je rencontre Louis-Jean, et il me demande: “Elle est où, De la chambre au salon? C’est MA toune!” Enfin, Antoine Gratton se met à faire des arrangements de cordes, j’entends ça et... c’est devenu une de mes préférées!» Il conclut dans un éclat de rire: «C’est le premier single, et mon hommage à ma connerie!»