Patrick Norman: drames et bonheurs partagés
ILS NE SONT PAS NOMBREUX, LES ARTISTES POUVANT CÉLÉBRER UN DEMI-SIÈCLE DE CARRIÈRE! CONTRE VENTS ET MARÉES, PATRICK NORMAN A SU SE FRAYER UN CHEMIN DANS LE COEUR DES QUÉBÉCOIS. ET, 50 ANS APRÈS SES DÉBUTS, IL EST TOUJOURS LÀ, AVEC DE NOMBREUX SUCCÈS INTEMPORELS DANS SA BESACE. IL A ACCEPTÉ DE REVENIR AVEC NOUS SUR QUELQUES MOMENTS IMPORTANTS DES DERNIÈRES DÉCENNIES ET DE SE CONFIER SUR SES PROJETS POUR LA PROCHAINE ANNÉE.
S’il y a une chose qui n’a pas changé pour Patrick Norman en 50 ans de carrière, c’est sa passion. «Je suis toujours un gamin fasciné par la musique. J’ai l’impression que je viens tout juste de commencer et je suis encore étonné qu’on porte autant attention à ce que je fais. Mais j’ai toujours ressenti un grand bonheur à me retrouver sur scène.»
Le chanteur a pourtant mis du temps avant de s’affirmer comme auteur-compositeur-interprète, étiquette qui ne s’appliquait pas encore à lui au milieu des années 1960. «J’ai commencé à jouer avec des copains d’école. On se produisait dans des bars et, les fins de semaine, on jouait aussi dans des salles de bal. Je me souviens que, lorsque je n’étais pas à mon affaire à l’école, j’avais des retenues pour faire mes devoirs. Mais le vendredi, je ne pouvais pas faire la retenue, parce que je travaillais au cabaret. J’ai toujours eu ce désir de travailler comme musicien.»
Par contre, pour répondre au souhait de ses parents, il a aussi eu des jobs de jour. «J’ai commencé par travailler dans une quincaillerie, dans le village de Sainte-Geneviève, puis dans une imprimerie, avant d’être vendeur de pièces de machinerie lourde pour des compagnies forestières. À l’époque, la musique était une passion pour moi, quelque chose que je faisais en parallèle; ce n’était pas une job. Mes parents me disaient que c’était bien, la musique, mais que ça me prenait un travail qui m’apporterait plus de sécurité.» Assez rapidement toutefois, Patrick a compris qu’un emploi dans une compagnie n’était pas forcément un gage de sécurité, surtout quand la situation économique devient plus difficile et que le taux de chômage augmente.
UNE RENCONTRE DÉTERMINANTE
Au début des années 1970, Patrick Norman est embauché par Gilbert Bécaud pour une série de spectacles. «J’étais un de ses choristes et je faisais un numéro à l’avant avec lui. Gilbert Bécaud m’a beaucoup inspiré; il m’a fait voir les choses autrement. Il avait une belle énergie. C’était un gars solide qui aimait beaucoup ce qu’il faisait. J’ai beaucoup appris en le regardant travailler depuis les coulisses.»
Avant d’être un chanteur et de s’installer en avant de la scène, Patrick Norman souhaitait surtout être un musicien. «Quand j’ai commencé à faire des disques, il fallait que je prenne ça au sérieux. C’est surtout mon entourage qui voulait que je change. J’ai même laissé tomber la guitare à un moment donné, parce qu’on me disait que je devais me concentrer sur le chant. J’étais rendu un chanteur de charme, alors que je me trouvais laid! Ce n’était pas du tout moi... J’étais tellement gêné et timide! Heureusement, malgré tout, je m’en suis bien sorti.»
UNE PÉRIODE TRÈS DIFFICILE
Après avoir animé à la télévision l’émission Patrick et Renée avec son amie Renée Martel, le chanteur a connu une période difficile, autant dans sa vie personnelle que dans sa vie professionnelle. «À un moment donné, ça ne marchait plus. On n’engageait plus les musiciens, notamment à cause de l’arrivée des discothèques et des pianos-bars. Mon premier mariage s’est terminé à la même époque, et je me suis senti extrêmement responsable de ce qui arrivait. Je me suis mis en mode autodestruction pendant cinq ou six ans. Je ne me permettais pas de m’aimer. Je me suis finalement ramassé sans le sou, sans gérant... Je n’avais plus rien. C’était une période très difficile pour moi.»
Il a toutefois su trouver une issue positive à cette période noire en se mettant à l’écriture. «Jusque-là, je ne faisais que la musique et les
chansons des autres. Durant cette période creuse, j’étais dans la boisson et la drogue. Je me détestais et je me faisais souffrir. Mais il a fallu que je passe par là pour que le processus d’écriture se déclenche. Je me suis d’abord mis à adapter des chansons de Kenny Rogers, parce que c’étaient des chansons qui me touchaient. Je les ai adaptées sans les dénaturer, en gardant le même message.» Il avoue même que cet album l’a sauvé.
UN SUCCÈS INESPÉRÉ
Quelques années plus tard, c’est le hasard qui lui permettra d’écrire son plus grand succès, la chanson Quand on est en amour. «En 1983, je travaillais dans un restaurant. On venait de finir notre set et j’étais en train de placer mes affaires pour le prochain. Mon ami Robert Laurin, qui était policier, est venu me voir en me remettant une cassette sur laquelle il y avait la chanson Better Love Than Be Free. Il m’a dit: “Si elle te plaît, je te la donne.” J’ai aimé ça, il y avait quelque chose d’intéressant...»
Comme les arrangements originaux étaient vraiment mauvais, Patrick Norman s’est invité à souper chez son ami pour retravailler la chanson. «Sur le coin de la cuisine, j’ai joué les premières notes, et la chanson est née. On l’a restructurée ensemble et c’est devenu mon plus grand succès. Mais à ce moment-là, j’étais le gros chanteur frisé qui jouait dans des clubs. On me regardait de haut et je n’étais pas très accepté.» Le milieu du show-business lui a en effet tourné le dos, si bien que la chanson est restée sur les tablettes durant deux ans. «On en avait vendu seulement 12 000 exemplaires. Puis, un jour, JacquesCharles Gilliot (ancien réalisateur de Jeunesse d’aujourd’hui) a demandé qu’on mette la chanson en ondes à la radio. Les gens ont fortement réagi et c’est devenu un gros succès. Cette chanson appartient désormais au public et je vais toujours la faire durant mes spectacles.»
UNE ÉMISSION EMBLÉMATIQUE
Au tournant de l’an 2000, Patrick Norman s’est fait offrir l’animation d’une nouvelle émission à la télévision, Pour l’amour du country. «J’étais entouré de passionnés, de maniaques de musique: les techniciens l’étaient autant que le producteur et les invités. On partait pour une vingtaine de jours à Halifax (en Nouvelle-Écosse) et on enregistrait une émission par jour. J’étais immergé dans la musique; on tripait ensemble. On répétait, puis on jammait après l’émission. On a eu des méchants partys! C’était extrêmement nourrissant.»
En février dernier, il a toutefois appris que l’émission s’arrêtait abruptement après 16 saisons, même si les cotes d’écoute étaient très bonnes. «D’abord, ça m’a fait mal, parce que je perdais quelque chose qui me procurait beaucoup de plaisir. Ensuite, ça m’a attristé, car je n’ai pas eu l’occasion de remercier tout le monde, de faire mes adieux avec élégance et de passer le flambeau à quelqu’un d’autre. J’insiste pour dire un gros merci à tous ceux avec qui j’ai travaillé: le producteur, les techniciens et les musiciens, ainsi que le public, qui était très fidèle et grandissant. Je suis tellement heureux d’avoir fait cette émission!»
UN ALBUM À NASHVILLE
À bientôt 73 ans, Patrick Norman a toujours plusieurs projets sur la table. Le prochain prendra la forme d’un album qu’il souhaite enregistrer à Nashville. «Je vais sélectionner mes chansons les plus connues et je vais les envoyer en version
guitare-voix à des musiciens là-bas. Je vais voir ce qu’ils vont en faire. C’est un cadeau que je me fais. Je vais aussi faire quelques chansons originales, mais ce sera principalement mes grands succès revisités façon Nashville.» Il va aussi participer à une croisière country dans les Caraïbes en janvier prochain.
Étonnamment, le musicien acquiesce lorsqu’on avance que sa musique n’est pourtant pas vraiment du country. «On me classe en général dans le style country, mais moi, je dis simplement que je fais de la musique. Pendant longtemps, je n’ai pas été pris au sérieux par l’élite du showbusiness, qui pensait que je ne faisais rien d’intéressant. Mais Willie Lamothe m’aimait beaucoup et il m’invitait souvent à son émission. Je suis donc rentré dans ce métier par la porte du country. C’est pour cela que j’ai cette étiquette, que j’assume aussi. En fait, j’ai toujours eu du country dans mon répertoire, mais je fais aussi plein d’autres choses.»