Échos vedettes

Charles Lafortune: des petits deuils à faire

Il se dévoile dans Autiste, bientôt majeur

- − Charles Lafortune

LA NAISSANCE DE MATHIS A CERTAINEME­NT ÉTÉ LE PLUS BEAU MOMENT DE LA VIE DE CHARLES LAFORTUNE, MAIS LE JOUR OÙ IL A APPRIS QUE SON FILS ÉTAIT ATTEINT D’UN TROUBLE DU SPECTRE DE L’AUTISME (TSA) RESTE SON PIRE CAUCHEMAR. DANS LA SÉRIE DOCUMENTAI­RE AUTISTE, BIENTÔT MAJEUR, LE PÈRE DÉVOILE SA VIE AU QUOTIDIEN AVEC UN ENFANT AUTISTE.

Si Charles Lafortune et Sophie Prégent ont accepté que des caméras filment leur quotidien, ça n’a pas forcément été avec enthousias­me; c’était avant tout pour faire avancer la cause et parler de ce que tous les parents d’autistes vivront quand leur enfant atteindra l’âge fatidique de 21 ans. «C’est l’enjeu de cette série documentai­re, explique l’animateur. Quand les enfants autistes sortent du système scolaire, on se retrouve à l’intersecti­on des soins de santé, des services sociaux et du système scolaire pour adultes et du ministère des Finances. Lors du tournage, j’ai d’ailleurs appris la différence entre le bien-être social et la solidarité sociale (qui est une toutes dotation les ressources pour les pour enfants se débrouille­r qui n’ont seuls).» pas La série suit sept jeunes atteints d’un trouble du spectre de l’autisme à différents niveaux ainsi que leurs parents dans leur quotidien. Pour Charles, qui est aussi le producteur, il fallait commencer par parler des parents pour que ceux qui n’ont pas d’enfant autiste comprennen­t leurs difficulté­s et leur quotidien. Il y avait aussi la volonté de démystifie­r ce qu’est un autiste. «On voulait que ce soit vrai, lumineux, touchant, tout en espérant pouvoir changer certaines choses. Notre premier souci était aussi de ratisser large dans le spectre de l’autisme; c’était très important pour nous. Les gens croient souvent, à tort, qu’un autiste, c’est Rain Man, Atypical ou The Good Doctor... Mais ce n’est pas vraiment ça. Dans le documentai­re, on présente notamment une petite fille violente envers elle-même et les autres, qui est placée, Mathis, qui est non verbal, Benjamin (le fils de Patricia Paquin et Mathieu Gratton) et Raphaël, qui habite en appartemen­t.»

UNE INTIMITÉ PARTAGÉE

Dans le documentai­re, Charles Lafortune montre un côté plus émotif de lui-même, notamment quand il parle de la journée où il a reçu le diagnostic concernant Mathis. «Chaque fois que j’en parle, ça me ramène à ce moment. Sophie et moi, on a fait nos entrevues séparément pour le documentai­re et, en visionnant la série, je m’aperçois qu’on dit la même chose. L’histoire se raconte à deux voix: l’un pourrait finir la phrase de l’autre.

Émotivemen­t, on est aussi à la même place. C’est toujours l’émotion du choc de l’annonce. Mon fils, je l’adore, je ne verrais pas ma vie sans lui. Mais raconter ce moment-là reste encore difficile.»

D’ailleurs, l’animateur a l’impression qu’il n’a pas fait entrer des caméras seulement dans sa maison. «Je ne les ai pas seulement laissées entrer chez nous, dit-il. Je les ai laissées entrer en moi, dans ma tête. Bizarremen­t, c’est la chose qui me rend le plus nerveux. J’ai l’impression que ma famille, notre vie, nos rapports familiaux sont mis sur la table, mais je pense que, quand on descend en soi-même, le plus profondéme­nt possible, on tombe dans l’inconscien­t collectif.»

LE COUPLE A SONGÉ À L’ADOPTION

S’ils ont décidé de rester ensemble et de maintenir leur couple malgré un quotidien difficile quand Mathis était plus jeune, Charles Lafortune et Sophie Prégent ont toutefois mis de côté l’idée d’avoir un autre enfant. «On a eu Mathis. Ensuite, on a voulu adopter et on a entamé le processus. On a même déménagé, on a acheté une maison... On avait une pièce peinte en rose avec une petite robe dans le garde-robe. Mais Mathis ne dormait pas, c’était épouvantab­le. Il n’a pas fait ses nuits avant l’âge de huit ou neuf ans. On se réveillait tout le temps et on se levait souvent durant la nuit. À un moment donné, Sophie et moi, on s’est dit que ça n’avait pas de sens de mettre un autre enfant là-dedans, qu’on allait casser si on poursuivai­t le processus d’adoption. Le plus difficile a été de repeindre la pièce. C’est devenu mon bureau, avec un petit vert tendre aux murs. Mais la vie est parfois drôle. Ma soeur a eu une fille à peu près au même moment, et on lui a donné la robe. C’est ma nièce qui l’a portée.»

L’animateur confie qu’il a eu un deuil à faire après cet événement, mais son plus gros deuil n’a pas forcément de rapport avec Mathis. «Je sais quel genre de père d’enfant autiste je suis, mais je ne saurai jamais le genre de père d’enfant neurotypiq­ue j’aurais été. Je le vis avec mon frère, qui a deux enfants, et ma soeur, qui en a deux aussi. Parfois, je me pose des questions. L’aîné de mon frère joue au basket et il est même devenu meilleur que mon frère, qui l’a initié à ce sport. Moi, je ne ferai jamais ça. La première peine d’amour, la première brosse, le party des finissants, le choix déchirant de trouver sa voie, je ne connaîtrai jamais ça. Ce sont des petits deuils à faire, mais on relativise aussi les choses.»

UNE FUITE CONSCIENTE

Chacun réagit différemme­nt à l’annonce d’un diagnostic de TSA pour son enfant. Charles a trouvé sa porte de sortie dans le travail. «Je me suis mis à travailler constammen­t. Je suis tombé dans le travail, mais j’aurais pu tomber dans une autre dépendance. Ça me donnait une prise sur le réel, un contrôle sur quelque chose. Je me disais: “Je vais faire telle chose et ça va donner ça.” Je n’avais plus à négocier avec l’inconnu. C’était aussi une fuite. Je me disais aussi que je le faisais pour lui, mais ça m’arrangeait.» Il se disait également qu’il allait ainsi gagner de l’argent pour sécuriser l’avenir. «C’était un peu vrai, mais en même temps, ça restait une excuse.»

Si Autiste, bientôt majeur constitue une série documentai­re éclairante sur le quotidien des enfants autistes et sur les problémati­ques liées à leur avenir une fois qu’ils sont adultes, c’est notamment grâce à cette franchise et à cette ouverture de la part des parents qui témoignent. La série est diffusée les mercredis à 19 h 30, à MOI ET CIE.

«La première peine d’amour, la première brosse, le party des finissants, le choix déchirant de trouver sa voie, je ne connaîtrai jamais ça.»

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