LA FORCE DE L’AMOUR
THÉRÈSE TANGUAY DION, QU’ON APPELAIT AFFECTUEUSEMENT MAMAN DION, EST DÉCÉDÉE LE VENDREDI 17 JANVIER, À L’ÂGE DE 92 ANS, ENTOURÉE DE SA FAMILLE. DÈS LES PREMIERS PAS DE SA FILLE CÉLINE DANS LE SHOW-BUSINESS, ELLE A ÉTÉ À SES CÔTÉS ET A SU SE FAIRE REMARQUER, À SA FAÇON. AVEC SA BIENVEILLANCE, SES CONSEILS, SA FORCE DE CARACTÈRE, SON HUMOUR ET SES BONNES OEUVRES, MAMAN DION S’EST TAILLÉ UNE PLACE SPÉCIALE DANS LE COEUR DES QUÉBÉCOIS.
C’est le 20 mars 1927, à Sainte-Anne-desMonts, en Gaspésie, que Thérèse Tanguay vient au monde, au sein d’une famille modeste. Sixième d’une famille de neuf enfants, elle demeure dans cette localité jusqu’à l’âge de cinq ans et demi, puis les Tanguay vont s’installer à Saint-Bernard-des-Lacs, une petite municipalité en partie fondée par son père. «C’était dans le temps de la colonisation. On habitait dans un camp en plein bois. Mais on ne manquait de rien», évoquera plus tard la maman de Céline.
La petite Thérèse grandit dans ce village entourée de ses parents, Lauréat-Achille Tanguay et Antoinette Sergerie, de ses quatre frères et de ses quatre soeurs. «J’ai été très heureuse là-bas, j’ai de beaux souvenirs d’enfance. À 14 ans, je chantais à l’église de la paroisse avec mes amies», confie-telle en 2012. Saint-Bernard-des-Lacs fait maintenant partie de la municipalité de Mont-Albert, où un lac porte le nom de son père en son honneur.
UN DÉMÉNAGEMENT CHANGE SA VIE
Alors que le père de Thérèse est malade et souffre d’angine, la famille prend la décision d’aller s’installer en Mauricie, au coeur du
Québec. Thérèse entame une formation pour devenir infirmière à l’hôpital du coin, mais, devant l’obligation de s’exiler à Montréal pour terminer ses études et face à la nécessité d’aider sa mère, elle demeure à La Tuque. Avant de rencontrer celui qui deviendra le père de ses 14 enfants, elle a d’autres prétendants. «Quand j’avais 15 ans et demi, un jeune homme me faisait la cour. Il m’était aussi tombé dans l’oeil parce qu’il était beau, blond avec les yeux bleus. Il avait 22 ans. Moi, je ne regardais pas ça, l’âge.» Un jour, après la messe, le jeune homme la raccompagne chez elle. «Un peu avant d’arriver à la maison, il m’a pris le coude. Mes parents ont vu ça et ils ont dit: “On pense qu’elle est assez grande pour marcher toute seule”. Ça voulait surtout dire “touche pas”.»
Peu de temps après, la famille quitte la région pour la Mauricie et là, un certain Lucien Blackburn s’entiche d’elle. Mais, quand Adhémar Dion arrive dans le portrait, le jeune Blackburn, voyant la complicité entre les deux, a ces mots auprès de sa prétendante: «Je pense que j’ai compris!»
UN MARIAGE HEUREUX
C’est un soir de 1944, à l’occasion d’une soirée dansante, que Thérèse Tanguay rencontre Adhémar Dion pour la première fois. Il joue de l’accordéon, elle est au violon. Celui qui va
rapidement devenir son prétendant partage un peu la même histoire familiale qu’elle. Il vient de la Gaspésie et s’est installé en Mauricie pour les mêmes raisons: le travail. Le coup de foudre est immédiat entre les deux. «Ça a cliqué tout de suite», se souviendra Maman Dion. Adhémar va toutefois devoir quitter la région pour aller gagner sa vie sur les chantiers, mais il démontre son côté romantique en écrivant une lettre à sa promise. «Il disait dans cette lettre qu’il était en amour avec moi. Il avait notamment écrit: “Mon seul désir, c’est que tu sois dans mes bras un jour et pour toujours”.» Le souhait du jeune homme sera exaucé 10 mois plus tard. Le 20 juin 1945, les deux amoureux convolent en justes noces à l’église Saint-Zéphirin de La Tuque. Ils vivront ensemble durant 58 ans, jusqu’au décès d’Adhémar, le 30 novembre 2003, à l’âge de 80 ans.
PLUS D’ENFANTS QUE PRÉVU
La volonté de la jeune mariée est d’élever de quatre à cinq enfants, mais Adhémar ne semble pas très intéressé par la paternité, du moins jusqu’à la naissance de son premier enfant. «Mon père a eu une enfance difficile, a raconté Claudette Dion à Échos Vedettes. Pour lui, fonder une famille voulait dire la misère plutôt que le bonheur. Il a vite vu que les enfants rendaient maman très heureuse, et lui aussi a aimé ça. Il a appris comment en prendre soin et à comprendre ce que c’était.»
L’aînée, Denise, voit le jour en août 1946, et la famille s’agrandit rapidement avec l’arrivée, dans
l’ordre, de Clément, Claudette, Liette, Michel, Louise, Jacques, Daniel (décédé le 16 janvier 2016, à l’âge de 59 ans), Ghislaine, Linda, Manon et les jumeaux Paul et Pauline. À 40 ans, Thérèse a déjà 13 enfants et commence à rêver d’une vie professionnelle en dehors de la maison. Mais, à son grand désespoir, elle apprend qu’elle est à nouveau enceinte. Le 30 mars 1968, la famille accueille la benjamine, Céline, et la relation entre la mère et sa fille devient fusionnelle. Au moment de son décès, Maman Dion compte 32 petits-enfants, 48 arrière-petits-enfants et 6 arrière-arrière-petits-enfants.
UN CLAN TISSÉ SERRÉ
Il y a plusieurs années, la matriarche a indiqué que si sa famille formait un clan, ce n’était pas forcément voulu ainsi. «Je pense que c’est simplement comme ça. Quand on se rassemble, il y
a de la chimie. Il y a aussi toujours des fous rires. Il y en a qui font semblant d’être bien sérieux, comme Adhémar, mais en fin de compte, ce sont les plus comiques.»
La mère de famille, toujours remplie de sagesse, a aussi relaté ce doux souvenir faisant référence au caractère unique de chacun de ses enfants. «Il y a plusieurs années, ma mère était venue me voir. Je crois que c’était son anniversaire. Je lui avais acheté 14 fleurs. Je lui avais dit: “Regarde, ce sont mes enfants. Ce sont tous mes petits caractères, il y en a 14 différents.”» Elle a finalement résumé avec cette image: «Mes enfants, c’est un beau bouquet.»
En mars 2017, à l’occasion de son 90e anniversaire, toute la famille est réunie autour de Thérèse. Heureuse, elle dira: «Vous êtes beaux, vous êtes les meilleurs enfants du monde. Il y en a un qui est parti, mais on restera toujours tissés serré.» Et, pour que ce lien solide et fort demeure, Maman Dion s’est fait un devoir de rassembler sa famille aussi souvent qu’elle le pouvait. Elle a toujours répondu présente à chacun de ses enfants quand ils éprouvaient des problèmes ou connaissaient des difficultés. Elle a, par exemple, veillé jusqu’à ses derniers moments sur son fils Daniel, atteint d’un cancer, alors qu’il était hospitalisé à la Maison de soins palliatifs qui porte le nom de son père, Adhémar-Dion.
UNE VIE DE LABEUR
Thérèse Tanguay Dion n’a pas beaucoup chômé dans sa vie. Élever 14 enfants, c’est déjà un emploi à temps plein, et à long terme. Elle a été élevée comme beaucoup de femmes de cette époque: la couture, la cuisine et plusieurs autres activités traditionnellement dévolues aux femmes lui ont été enseignées pour pouvoir «tenir maison» et élever des enfants. «Ma mère m’a montré tout ce que je devais savoir pour être une bonne épouse et une bonne mère», a-t-elle déjà expliqué.
Malgré son imposante famille, Thérèse a aussi trouvé du temps pour devenir restauratrice. Avec son mari, elle est notamment propriétaire d’un restaurant à Le Gardeur, en banlieue de Montréal. L’endroit est baptisé Le Vieux Baril. Très régulièrement, des membres de la famille Dion, qui sont presque tous musiciens, chanteurs ou les deux, s’y produisent. Mais l’aventure du Vieux Baril prend fin abruptement quand l’établissement est détruit par un incendie.
UNE RÉSILIENCE IMPRESSIONNANTE
Malgré les épreuves, Maman Dion a un don pour les affaires et sait comment s’en servir pour se relever. Au début des années 1990, elle se lance dans le domaine de l’alimentation en commercialisant ses fameux pâtés Maman Dion dans
les épiceries de la province. L’entreprise connaît un certain succès, mais, à un moment donné, on cesse la production. «Les gens me parlent beaucoup de ça, nous confiera la femme d’affaires en 2006. Ça a duré deux ou trois ans, c’était une réussite. Ça grandissait tout le temps. Et tout à coup...» La compagnie qui produit les pâtés change de mains et Thérèse prend la décision de cesser d’y prêter son nom. Entre-temps, elle s’implique aussi, comme plusieurs de ses enfants, dans la chaîne de restaurants Nickels.
Grâce à son énergie et sa personnalité, Maman Dion devient ensuite animatrice à la télévision. Elle est la vedette des émissions Maman Dion et Le brunch de Maman Dion à TVA, consacrée à la préparation de plats à la fois simples et réconfortants. Sa benjamine se prête d’ailleurs au jeu et accepte de cuisiner avec sa mère à la télévision. C’est à la suite de l’annonce du cancer de son mari que Thérèse prend la décision d’arrêter sa carrière d’animatrice pour rester à son chevet.
UNE GÉNÉROSITÉ DÉBORDANTE
Dotée d’une grande générosité, Thérèse s’est toujours fait un devoir d’aider les autres. En 1998, elle crée la Fondation Achille-Tanguay, qui porte le nom de son père et qui vient en aide aux familles dans le besoin. «Je faisais des couvertures pour les pauvres, s’était-elle souvenue au cours d’une entrevue. J’ai fait aussi des rideaux, des courtepointes et toutes sortes d’affaires.»
En 2005, l’organisme opère un changement et devient la Fondation Maman Dion. L’objectif principal devient de distribuer des fournitures scolaires aux enfants d’écoles primaires et secondaires de milieux défavorisés aux quatre coins de la province. Grâce aux dons en argent et en matériel de même qu’à divers événements philanthropiques, la fondation aide des milliers d’écoliers chaque année. Et la célèbre maman s’y impliquera pratiquement jusqu’à la fin de sa vie.
L’an dernier encore, elle consacrait du temps à ses bonnes oeuvres. «Quand j’ai commencé l’école, je protégeais déjà les autres enfants parce que j’étais la plus grande, a-t-elle confié à Échos Vedettes. Maman me disait toujours: “Fais attention à tes petites soeurs”! Faire attention aux autres, ça m’est toujours resté, et c’est ce que je continue de faire encore et toujours avec la fondation. [...] La générosité a toujours fait partie de moi. J’ai été élevée comme ça.»
Même si elle délègue certaines responsabilités au fil des ans, Maman Dion garde un oeil sur les activités de sa fondation jusqu’à la fin. «Elle est très présente, confiait sa fille Claudette à l’automne 2018. Elle s’informe de toutes les étapes de nos campagnes et, surtout, elle supervise de très près la façon dont l’argent est utilisé. Elle vérifie toutes les dépenses.»
AU SERVICE DU TALENT
La musique est présente dans la famille Dion depuis toujours: les parents se sont rencontrés lors d’une soirée dansante durant laquelle tous deux jouaient d’un instrument. Thérèse Tanguay et Adhémar Dion réussiront à transmettre à leur progéniture le don et le goût pour la musique et le chant. Plus d’un enfant Dion fera ou tentera de faire carrière dans le show-business. Claudette, qui est aussi la marraine de Céline, a déjà une carrière de chanteuse, de même que Jacques, qui oeuvre autant sur scène que dans l’ombre. Mais c’est Céline qui se démarquera, jusqu’à atteindre une notoriété planétaire.
Très tôt en effet, Maman Dion s’aperçoit que sa benjamine a un don pour la musique et une voix incroyable. Elle se fixe alors l’objectif d’en faire
une vedette. Dotée d’un flair infaillible et d’un sens aiguisé des affaires, elle sait aussi que Céline ne doit pas se contenter de chanter des reprises, comme le font beaucoup de chanteuses de l’époque, si elle veut se faire remarquer. Elle décide donc de lui écrire une chanson sur un coin de sa table de cuisine. Elle demande ensuite à son fils Jacques, qui est déjà dans le milieu, d’en composer la musique. Lancée en juin 1981, sa création, Ce n’était qu’un rêve, deviendra le premier succès de Céline.
LE RÊVE D’UNE VIE
La bienveillante maman comprend vite que pour accompagner sa fille vers le sommet, il faut lui trouver un gérant à la hauteur de son talent.
Elle décide alors de contacter René Angélil, à l’époque gérant de Ginette Reno, déjà très populaire. Tout le monde connaît la célèbre anecdote de la cassette remise au gérant et de la première rencontre entre Thérèse, Céline et René. La suite fait partie de l’histoire!
Maman Dion ne laisse pas sa fille sans surveillance. Jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge de 18 ans, elle accompagne Céline et René dans toutes les conférences de presse, sur tous les plateaux de télévision et dans toutes ses tournées à travers le monde. Elle prend même l’avion pour la première fois à l’âge de 55 ans pour se rendre à Paris, où Céline doit chanter sur le plateau de l’émission de Michel Drucker. Elle aime voyager, et sa benjamine lui permet de voir le monde et de rencontrer des centaines de personnalités. Avec l’entrée de son enfant dans le monde du showbusiness, elle en a en quelque sorte franchi le seuil, elle aussi.
Quand elle apprend la relation existant entre sa fille et son gérant, Maman Dion est un peu inquiète, notamment en raison de leur différence d’âge. Mais elle fait confiance au couple, qui se marie en 1994. Même si elle n’est plus avec sa fille au quotidien, elle conserve une certaine influence, tant sur Céline que sur René.
UNE FIN PAISIBLE
Au cours des deux dernières années, les sorties publiques de Thérèse Tanguay Dion se font plus rares en raison de divers problèmes de santé. Sa fille Claudette nous confie, en juillet 2019, qu’elle est vieillissante, précisant qu’elle a perdu de l’acuité visuelle, de l’énergie, et que sa mémoire n’est plus ce qu’elle était. «Ce qu’elle avait à donner, elle l’a donné. Maintenant, c’est à nous de lui donner de l’attention et de l’amour.»
Deux jours avant la mort de la matriarche, le personnel médical indique à la famille de se préparer à l’inévitable. Maman Dion est finalement partie comme elle a vécu, entourée de l’amour de ses enfants.